lundi 22 septembre 2008

La mentalité révolutionnaire. Société et mentalités sous la Révolution Française - Michel VOVELLE

Allez, je livre ici une revue de lecture d'un livre déjà quelque peu daté mais pionnier sur la Révolution Française, parce qu'il s'intéresse à la perception et à la réception de cet événement, comment il a été vécu, subi, accepté, refusé... Il montre bien que tout mouvement social, aussi révolutionnaire fut-il, n'est pas univoque. Quelle part prennent conservation, évolution, révolution ? Comment l'idéologie dominante manoeuvre et avec quelle efficacité ? Tout le monde en 89 ne prend pas son destin en mains... mais la société française n'en est pas moins bouleversée...

Michel Vovelle est un historien français spécialiste du XVIIIè siècle. Il est né en 1933, et obtient son agrégation d’histoire en 1956. A partir de 1976, il enseigne l’histoire moderne à l’Université d’Aix en Provence, puis, à partir de 1984, il est titulaire de la chaire d’histoire de la Révolution française à la Sorbonne. Il a beaucoup travaillé sur la Révolution française, publiant par exemple des textes choisis de Marat en 1975, ou des ouvrages tels que Religion et Révolution. La déchristianisation de l’an II en 1976, La Révolution française en 2003, etc. Il s’est principalement penché sur les mentalités, la culture, les idées, les mots que recouvrent cette période, et ce avec une approche d’histoire marxiste ou plus globalement sociale, très largement influencée par Ernest Labrousse dont il vante l’approche quantitative et l’histoire sociale précise et scientifique. Il redonne alors du poids à l’acteur individuel, notamment avec ses publications des années 1990, qui n’est plus englué dans des contraintes économiques et sociales trop fortes. De ses nombreuses publications et de son statut de professeur émérite, il a obtenu la direction de l’Institut de la Révolution Française pendant dix ans et a présidé la commission de recherche scientifique pour la célébration du bicentenaire dela Révolution.


Nous retrouvons ces grandes lignes dans son ouvrage publié en 1985 : La mentalité révolutionnaire. En 1985, l’histoire des mentalités est une nouveauté historiographique. Cela ne fait en effet qu’une vingtaine d’années que les historiens s’y intéressent vraiment. Par certains côtés toutefois, des prémisses se font remarquer, dès l’histoire romantique de Michelet par exemple. En réalité, c’est peut-être une histoire conservatrice productive de mythes et justifiant des manipulations qui a détourné les historiens de cette approche par les mentalités. L’objet de cet ouvrage, nous le devinons fort bien, sera alors de se réapproprier une approche de la Révolution par les mentalités qui doit permettre d’en expliquer à la fois changements brutaux, qu’ils soient provoqués, acceptés, subis ou refusés, et les héritages et résistances que l’on peut remarquer. Bien sûr, une nouvelle orientation scientifique comme celle-ci ne peut qu’exiger de s’attaquer à de nouvelles problématiques, de nouvelles sources d’investigation. Si bien que cet ouvrage ne se révèlera être qu’un travail de défrichage, posant les bases de travaux à mener ultérieurement. Michel Vovelle est ici porteur de l’ambition « [d’]ouvrir la voie ».


Cet ouvrage s’articule alors en six grandes parties pour une réflexion en trois temps : les origines et le fait révolutionnaires, les acteurs de la Révolution, la Révolution subie ou refusée.

C’est donc fort logiquement que Michel Vovelle s’attache d’abord à étudier les prémisses de la Révolution. Il montre tout d’abord la Révolution comme un héritage des mentalités populaires dans les formes de comportements et dans les rêves. Mais si un changement s’opère dans les mentalités entre 1750 et 1789, la Révolution est un changement radical, brut et irréversible, Saint Just ne parle-t-il pas d’une « idée nouvelle » ? Donc plus qu’un héritage des Lumières et/ou de comportement populaires changés, la Révolution est jugée comme une création de l’instant reposant sur un sentiment d’invincibilité. D’ailleurs, la Révolution amène à autre chose que ce qu’avaient prévu les Lumières.
Pas vraiment un héritage donc, mais le rôle d’une mentalité pré-révolutionnaire apparaît indiscutable. En effet, c’est donc dans le second XVIIIè que l’on constate un décollage culturel d’une part, mais aussi des évolutions d’attitudes collectives d’autre part. La famille est repensée, rétrécie, l’enfant y occupe une place plus grande et L’Emile marque un point d’orgue de cette évolution. Les femmes effectuent un certain rattrapage également. Le rapport à la mort se désocialise de manière importante. En filigrane apparaît donc une certaine déchristianisation d’après Michel Vovelle. L’inquiétude, la méchanceté, ces notions se développent aussi dans le second XVIIIè. Manifestement, une sensibilité nouvelle, avec ses affectivités, inquiétudes et tensions, apparaît avant la Révolution, et ce alors que les Lumières ont une diffusion limitée.
Les origines établies, il s’agit désormais de montrer que la Révolution va s’inscrire en rupture avec elles, c’est justement le fait révolutionnaire basé sur les rapports ambivalents entre peur et espérance. La peur tout d’abord est un élément central de la sensibilité révolutionnaire, même si ce n’est évidemment pas une idée neuve. Par exemple, la Grande Peur consécutive à la prise de la Bastille se répand en 15 jours seulement sur ¾ du territoire. La peur se constate après Varennes, puis les massacres de septembre 92 dans le contexte de la chute de la royauté et de l’invasion marque une nouvelle étape avec la violence. La peur semble ensuite disparaître… pour être remplacée par la Terreur ? Il s’agit plus vraisemblablement d’un transfert culturel : maturation politique et responsabilisation individuelle qui empêchent les paniques d’ancien temps. Mais la peur reste omniprésente, on le repère aux craintes de complots par exemple.
La peur se manifeste par les foules révolutionnaires qu’il faut distinguer en foules parisiennes et foules provinciales. A Paris, le recrutement est populaire, jeune et les femmes participent, les anciennes émotions de la misère sont essentielles. La spontanéité est caractéristique, avant d’observer une organisation et une maturation progressive de foules qui vont démontrer leur force, sans forcément de volonté insurrectionnelle. Il ne s’agit pas des mêmes foules, à partir de 1791 que de celles de 1789. En province, les notables sont plus présents, la misère et les revendications paysannes sont plus prises en compte, la violence semble plus fréquente. Clairement, la misère n’explique pas tout. L’automne 92 est le point culminant des foules : frustration par la suite ? contentement au contraire ? départ des jacobins militants aux frontières ?
La violence est donc ultra présente, qu’elle soit subversive ou répressive. Marat la théorise pour sauver la Révolution. En 93, on passe de la violence à la Terreur mais la violence persiste (Machecoul…). Par contre, les Thermidoriens veulent une paix civile, ils ne sont pas suivis et l’insécurité et la violence cachée apparaissent. Sous le Directoire, on passe d’une violence politique à du brigandage. Cependant, l’impression de violence incontrôlée est trompeuse, car la nécessité de faire table rase était bien présente. La peur, la foule, la violence, la table rase et le rêve d’un nouveau monde nivelé : il y a une logique, il y a du sens.

C’est donc ici que la peur rejoint l’espérance. Le peuple, l’égalité, le bonheur sont des idées nouvelles. L’idée de peuple évolue de l’unanimisme à un élargissement (citoyen passif à citoyen tout court) et un rétrécissement (citoyen à sans-culotte engagé). Le tournant est Thermidor puis le Directoire où on fait appel au peuple contre les sans-culottes. Mais ce retour n’est qu’illusion et « rien ne sera jamais plus comme avant ». De l’image du sans-culotte peut se dégager l’impression surprenante d’une révolution des pères de famille. En tout cas, ce groupe est socialement composite et il semble donc qu’un syncrétisme éphémère entre les Lumières et un mouvement populaire se soit opéré.
Du militant, Michel Vovelle s’intéresse ensuite à l’héroïsation. Les héros sont détruits… pour en faire apparaître de nouveaux types : héros collectifs anonymes, héros populaires, héros fondateurs. En revanche ; le césarisme est violemment rejeté malgré un culte de la personnalité pour l’Incorruptible. Thermidor sera la rupture, celle où les Lumières et le peuple vont se séparer et une méfiance à l’égard du grand homme dictateur s’instituer. Cet esprit ne durera pas longtemps… héros militaires, les jacobins clandestins héroïseront Caïus Gracchus.
La Révolution arrive-t-elle à une cité idéale ? Y a-t-il déjà de nouvelles sociabilités ? Déjà les confréries étaient sur le déclin, de nouveaux lieux de rencontres laïcisés s’instituaient. Le club des Jacobins et son immense réseau de correspondances est essentiel. Modéré au départ, il va glisser à gauche, puis jouer un rôle dans la victoire de la Montagne sur la Gironde, avant de connaître son apogée jusqu’à la chute de Robespierre. Le club sera alors fermé. Son recrutement est plus écrémé que celui des sans-culottes. Le club des Cordeliers, est lui l’écho des faubourgs, et invente une sociabilité politique populaire mal comprise. Malgré leur échec, ces sociabilités ont un devenir, difficile à cerner : conspiration de Babeuf ? restauration des confréries ? L’image du Jacobin est durable en tout cas.
Quelle place pour la fête ? Primordiale dans les sociabilités, et l’influence de Rousseau se fait sentir : on veut la fête partout et nulle part. La Fête de la Fédération le 14 juillet 1790 est essentielle. En 91, la cassure est nette entre fête et anti-fête, la fête se cherche alors une nouvelle expression, que lui donnera le 20 prairial an II avec la fête de l’Etre Suprême, grand succès. La Réveillère-Lépeaux, lui, imposera plus d’organisation, un conditionnement collectif pédagogique. L’idée rousseauiste est battue en brèche : la fête reste un spectacle.
Une nouvelle religion s’installe-t-elle ? Il semblerait en l’an II, et le Directoire va poursuivre. D’ailleurs, la révolte face à la déchristianisation est violente, montrant que le mouvement avait été reçu. Des images maternelles s’imposent, les cultes des martyrs de la liberté ont été reçus, un transfert de sacralité s’opère donc, la Révolution est une « bonne nouvelle ». Certes il n’y a pas la connotation millénariste des niveleurs ou diggeurs mais un mouvement irréversible vers une religion civique s’installe.

Mais la Révolution est autant agie que subie. Au quotidien, c’est surtout la vie chère. On subi aussi beaucoup le changement de temps et d’espace, même si le calendrier révolutionnaire n’a jamais vraiment été reçu. Finalement, pour ceux qui n’agissent pas sous la Révolution, qu’est-ce qui change ? Les attitudes certainement. Car la Révolution fait appel à la fraternité, l’amour des autres, la vie brève est pensée, la mort semble proche, il faut alors vivre intensément. Mais le changement dans les mœurs ne sera pas brutal. Mais la laïcisation partielle opère : plus de mariages, de divorces (et pour cause), moins de naissances.
La Révolution produit sa société rêvée. L’amour évolue, on s’interroge sur le statut de la femme, on passe de l’amour de soi à l’amour des autres. Oui mais cela n’abouti pas et le renouvellement de l’héritage chrétien n’est pas complet. Peut-on dire pour autant que le monde n’a pas changé ? Certainement pas. En particulier, la sensibilité de la mort évolue. La Terreur joue un rôle puisque la mort devient un moyen de Salut de la Patrie. La guillotine est censée abréger les souffrances. La mort par guillotine est le revers de la mort héroïque. Robespierre défendait l’abolition de la peine de mort puis a été le champion de la Terreur. Surtout, il semble que Enfer et Paradis apparaissent désormais comme étant ici-bas. Robespierre oppose à cela le culte de l’Etre Suprême, on crée le Panthéon. Tout va se désorganiser sous le Directoire mais on reviendra aux idées des Lumières : la mort doit servir à l’éducation des vivants. Puis une fuite en avant romantique se fait jour : on héroïse à l’antique. Mort-sommeil, mort héroïque, mémoire collective, mort familiale : l’impact se fera ressentir lors du XIXè.
Mais la Révolution n’est pas que subie, elle est aussi parfois refusée. Même, elle peut apparaître comme phénomène minoritaire. Certes l’engagement sera croissant avant de diminuer. Les contrastes sociaux et géographiques de réception de la Révolution sont frappants. Les refus sont importants, la vie en marge de la Révolution encore plus. Il y a toute une sensibilité du refus avec les émigrés de l’extérieur et ceux de l’intérieur qui vivent dans l’autre camp. La constitution civile du Clergé et le schisme constitutionnel sont des césures fondamentales. Là encore, Thermidor sera un tournant, on assistera à la revanche des « jeunes gens ». Et puis, les émigrés de l’extérieur vont vivre la solitude, le contact à d’autres cultures et en dégageront une sensibilité nouvelle à l’œuvre au XIXè. Cependant, la grande faiblesse de la contre-Révolution était de ne pas avoir de projet commun mobilisateur, au contraire des Révolutionnaires. Il y a aura des régressions partielles ou momentanées après la Révolution, mais nombreuses sont les nouveautés indéracinables provoquées par la Révolution dans les mentalités.
Si la méthode employée par Michel Vovelle semble très intéressante, les résultats, bien que très encourageants, nous laissent sur notre faim, comme d’ailleurs Michel Vovelle l’avait prédit puisque ce travail est en quelque sorte pionnier. Il est aussi prisonnier, semble-t-il, d’une connaissance moins grande de la deuxième révolution, après la chute de Robespierre. En effet, les informations sur la Convention Thermidorienne et le Directoire sont très peu nombreuses en comparaison de ce que nous offre cet ouvrage sur la période allant de 1789 à Thermidor. Une voie donc à explorer, puisque loin de tomber dans des travers qui traiteraient une Révolution par ses « héros » ou au contraire par des déterminismes sociaux-économiques uniquement. Des allers-retours ou plutôt une approche problématique synthétique des conceptions « par le haut » et « par le bas » me paraissent très pertinents, et c’est ce à quoi s’est adonné Michel Vovelle.

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