mercredi 30 mars 2011

Un crime qui ne restera pas impuni

La décadence dans le Satyricon de Fellini
Monsieur (ou Madame) de chez Ticketnet,

Je reçois aujourd'hui un message électronique promotionnel de votre part et je vous en remercie. Généralement, je traite avec le mépris qui convient ce genre de commerce pour lequel je ne savais pas être abonné. Cette fois fera exception. On n'imaginerait pas, et même dans cette époque décadente et dégénérée, subir une pareille insulte au bon goût.

Me voilà donc invité à profiter d'une « offre de dernière minute », 40% de réduction, pour le spectacle, le dernier appris-je à l'occasion, de la troupe de « Mozart Opéra Rock ». Bien. Je sais résister aux insultes. Je connais la bassesse du commerce, toujours prompt à nous vendre jusqu'au bruit du ruisseau. Cette lettre a donc pour seule valeur votre information. Sachez qu'en d'autres temps, la place publique n'aurait pas offert ce lamentable spectacle pour lequel il faut manifestement offrir un porte-clé dans l'espoir d'y faire venir des zombies qui rechignent sans cela à se déplacer, pourtant tout habitués qu'ils sont à ce matraquage omniprésent de médiocrité culturelle ; non, elle aurait présenté le spectacle de l'écartèlement de pareils blasphémateurs.

L'idée d'un tel opéra – l'idée de nommer cela opéra, ne pouvait survenir que dans le champ de ruines civilisationnelles que nous sommes contraints de traverser. Qu'autant de, comment dites-vous ? « artistes » soient capables de boire la mer de leur honte, est une chose des plus extravagantes. Qu'autant de spectateurs (1 million ?) y viennent salir leurs oreilles ferait l'édification du plus singulier des personnages. Cependant, tout cela semble normal. Mozart et -40% dans la même phrase. Continuez.

Je vous adresse mes salutations commerciales,

Un admirateur de Mozart.

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J'ai besoin d'une preuve pour y croire :




 

samedi 26 mars 2011

Le loup y sera. Les colibris aussi (espérons-le).

La catastrophe. La Chute. 

Comme disait Léon, il y a des moments où ce qui se passe est à faire vomir les volcans.

La violence de la dégringolade n'a d'égale que l'achèvement de la soumission. C'est vraiment la fin, les Mayas avaient raison, le périphérique nord sera fermé à la circulation en 2012, la fin du Monde. 

J'étais on-ne-peut plus opposé à Sarkozy en 2007, je comprenais toutefois l'adhésion (rupture, volontarisme, etc.) qu'il pouvait susciter, tout en étant persuadé qu'elle serait déçue. Aujourd'hui en revanche, il me semble absolument impensable d'imaginer, même un pistolet sur la tempe, voter pour lui. C'est la Bérézina. Et pourtant, il s'en trouvera encore, des soutiens. Je ne comprends pas. Je ne sais pas, peut-être des gens qui croient qu'il expulse vraiment ces voleurs de poules de manouches (au lieu de leur payer des vacances en Roumanie et le voyage du retour), qu'il éradique les paradis  fiscaux, qu'il sauve notre politique sociale, qu'il vole au secours de ces pauvres Libyens, que... Tout cela me paraît la plus franche absurdité qui soit, il est im-po-ssible d'y croire, manifestez-vous bête curieuse, expliquez.

Tant pis pour Guignol, on ne va pas pleurer sur son sort. Mais sur ce qu'il nous laisse, un pays dans un état lamentable. Cette guerre libyenne équivaut à un acte de décès. Des dizaines et dizaines de décisions (une prime pour le Traité de Lisbonne) auraient à mon avis justifié une prise de l’Élysée ou du Fouquet's (c'est pareil), mais celle-là... Terrible. 

Il aura suffit que notre philosophe à chemise ouverte aille ne pas la salir là-bas pour que la propagande classique et éculée s'enclenche. Elle est ridicule et grotesque, et assez peu subtile pour ne pas s'y attarder plus longtemps que ne le fait Jean Bricmont. Et pourtant, on ne sent aucune réaction. Comme si nous n'étions pas en train de bombarder un pays, un de plus. Comme si c'était vraiment pour sauver des civils. Déroutant. 

En revanche, comme la situation dégénèrera inévitablement, l'hostilité à cette agression militaire ira grandissante. Et qui récoltera les fruits politiques de l'affaire ? Ceux qui s'y sont opposés, à savoir : personne, sauf le Front National. (L'extrême gauche est inaudible). C'est la catastrophe. UMP et PS ont déserté tout discours économique et social. UMP et PS n'ont plus aucune crédibilité lorsqu'ils parlent de valeurs (de droite, ou de gauche). UMP et PS désertent toute logique de politique étrangère. Le désert Libyen serait-il celui de leurs électeurs qu'ils le mériteraient amplement. Mais qui va bien pouvoir voter pour eux ?
La part du colibri

Quel boulevard ! C'est désolant. C'est l'histoire du sauteur sans parachute qui ne peut même plus dire "jusque-là tout va bien". Ça ne va plus. Comment se sortir de là ? Quand tout est foutu, il ne reste plus que l'histoire gandhiste du colibri, contée par Pierre Rabhi :

mercredi 16 mars 2011

Loup y es-tu ?

Un Kurosawa peut en cacher un autre - voici Madadayo. Un peu le genre : "Loup y es-tu ? Pas encore". J'en profite pour revenir sur les fameux sondages mettant Le Pen au deuxième tour, maintenant que tout le monde parle d'autre chose. Quand on parle du loup...

Premièrement, un sondage est par définition faux, est par nature une manipulation idéologique. Déjà les statistiques, ça n'a rien de la scientificité qu'on leur prête, pour l'unique raison qu'il y a des chiffres. Grâce aux statistiques, on peut "démontrer" que le nombre d'églises au km² au Brésil dépend de la consommation de pommes de terre à Londres. Des démonstrations qui n'ont aucun sens. On se sert de l'outil statistique pour faire de la science, bien entendu, mais ce qui fait la scientificité de la démarche, c'est le questionnement, pas l'outil.

Deuxièmement, les sondeurs prennent en plus des libertés extravagantes avec l'idée de statistique. Je ne vais pas m'amuser à tout démonter point par point, entre la représentativité de l'échantillon, les marges d'erreurs, etc. etc. C'est une multitude de sondages aberrants qui sont propulsés comme vérité. Et comme, maintenant, les gens ne répondent plus à ces sondages stupides, les sondeurs payent les sondés pour qu'ils acceptent de mentir en leur répondant (ça ne s'invente pas et les sondeurs le savent, il y a même un sondage qui a montré que la majorité des sondés mentaient en répondant aux sondages, ha ! ha !).

Voilà donc les sondages de Harris interactive qui propulsent Marine Le Pen. D'une, ça ne vient pas de nulle part. Marine Le Pen est aidée, mais aidée ! par le système médiatique, d'une façon invraisemblable, depuis des mois. On lui offre les plateaux TV sur un plateau, en même temps qu'on dit d'elle qu'elle est plus dangereuse que son père parce que plus moderne. On voit même des reportages hagiographiques sur France Télévision. Tous ces journalistes sont certainement très hostiles au FN, il n'empêche qu'ils aident Marine Le Pen. Donc, ces sondages ne sont pas une surprise, ça va dans le même sens. On peut se demander pourquoi...

La manipulation est évidente. A vrai dire, on l'attendait même. Il était clair qu'on allait nous jouer la carte du grand méchant loup, pour forcer Mélenchon à voter PS, et autres diableries de ce genre. Chantage au vote utile. Donc, voilà, on y est. DSK sera le sauveur. Eh bien non.

Non, parce que ça suffit. Il n'y a rien de plus évident aujourd'hui que le pouvoir bancaire est la principale nuisance, et il faudrait voter pour le banquier impérialiste en chef ? A d'autres. 

Agiter le spectre FN, ça suffit. On sait très bien maintenant comment Mitterrand s'en est servi. Ça suffit. Je ne conteste pas que les idées de Marine Le Pen progressent, ni que c'est très inquiétant, mais je conteste la hiérarchie des menaces. Si on ne parle de que racisme, j'ai toujours trouvé moins grave le racisme lourd de type qui veut casser du bougnoule, que le racisme insidieux, officiel et impensé de la société en général. Un gugusse qui va insulter trois "négros", c'est à mon avis plus grave pour lui-même, et la bêtise qu'il révèle ce faisant, que pour les trois personnes ainsi insultées, ou "le noir en général", ce qui n'existe pas, justement. On ne peut ressentir que du dégoût envers le racisme abruti d'extrême droite, mais moi, je considère ceci : qui a colonisé ? pas l'extrême droite, les Rrrrrrrrépublicains, au nom de la supériorité raciale. On reproche à Le Pen la torture en Algérie. Oui, sans doute, mais Soral a raison de rappeler qu'il était combattant là-bas sous les ordres du gouvernement socialiste (Guy Mollet, Mitterrand). Faut pas oublier la forêt sous prétexte qu'on a mis un gros arbre dégueulasse devant pour la cacher. 

Bref... les idées fascistes, en France, en 2011, je ne connais pas. Les idées racistes, certainement, mais jamais de quoi faire une cohorte suffisante pour se faire élire. Si Marine Le Pen progresse, c'est pour deux raisons, d'ailleurs contradictoires : 
- elle tape sur l'islam
- elle a un discours anti-système bancaire

Or, Emmanuel Todd a raison en craignant qu'elle ait le "programme économique le plus raisonnable". Avec Dupont-Aignant et Mélenchon. J'ai déjà parlé de tout ça ailleurs. Tous les autres sont clairement des employés de banque, c'est-à-dire sont prêts à accélérer le TGV allant dans le mur. Ces trois-là font semblant de s'opposer à ce système, personnellement je ne les crois nullement. Mais ils tiennent ce discours, qui peut séduire, tant est insupportable le discours contraire, le catéchisme UMPS ("Union Pour le Maintien du Système" bonne trouvaille de NDA). Simplement, si on tient ce discours anti-impérialiste, on ne peut pas taper sur l'islam, puisque cette histoire de choc des civilisations sert justement à diviser les peuples entre eux et en eux, au lieu qu'ils se fédèrent contre la Banque.

Mais je ne suis pas certain que la contradiction coûte des voix à Marine Le Pen. Je pense plutôt que ça lui apporte des gens de gauche (pour le discours économique) et des voix de droite (pour le discours identitaire). Mais certainement jamais assez pour devenir présidente.

Donc, il n'est pas l'heure de céder au chantage au vote utile, mais bien celle d'exprimer son opinion. Peut-être écrirai-je bientôt un billet pour dire à quelles conditions je pourrais voter pour un candidat. Elles paraissent inaccessibles à ceux qui pointent le bout de leur nez. 

Il n'est pas l'heure de voter DSK, loin s'en faut. Au fait, la manipulation de ces sondages était évidente. Certains (François Asselineau, pour ne pas le nommer) ont fait des recherches sur Harris interactive. Cette agence américaine présidée par une membre du CFR regroupant les grands manitous de l'impérialisme, fait parallèlement la promotion de DSK. Comme c'est bizarre ! Vraiment bizarre !

jeudi 10 mars 2011

"Mais voici des paroles d'or..."

Dersou Ouzala, Kurosawa, 1975
Voilà un petit Kurosawa qui n'est pas tombé dans l'oreille d'un sourd. Dersou Ouzala raconte la vie d'une homme de la taïga, qui vit en parfaite harmonie avec la nature. Jusqu'à ce qu'il doive tuer un tigre, dépérir moralement et physiquement, et devoir se réfugier chez son ami de capitaine, au milieu de la "civilisation". Dersou devient fou quand il rencontre des gens qui vendent du bois, et court au parc public pour abattre un arbre - ce qui le fait arrêter par la police. Cette anecdote pour crier quelle est l'attitude normale, logique, juste, simple, naturelle : c'est pure folie que de vendre la nature. Des millénaires de civilisation pour intérioriser cette absurdité... c'est quand même malheureux. 

Et je transite pour le Thoreau - Walden ou la vie dans les bois. J'avais lu de lui sa Désobéissance civile, très pertinente, et notamment cette réflexion selon laquelle il n'était pas normal qu'un homme comme lui, et son conflit avec la société, ne soit pas emprisonné. C'est en effet la moindre des choses, que connaissent bien tous les résistants dignes de ce nom. Bref, me revoici avec cet auteur, pour une tentation forestière - je n'ai d'ailleurs besoin de personne pour la ressentir... 

Je passe sur la première partie "Économie", un peu fastidieuse à vrai dire quoique pas inintéressante. Là où on entre dans le vif du sujet, c'est avec le chapitre "Où je vécus, et ce pour quoi je vécus". Je m'y arrête. D'une, parce que les vacances aussi, s'arrêtent, et de deux : parce que le passage mérite qu'on s'y arrête. 

La page 107 notamment marque le début de la floraison des guillotines littéraires comme je les aime.

"Car pour la plupart, il me semble, les hommes se tiennent dans une étrange incertitude à son sujet, celle de savoir si elle est du diable ou de Dieu, et ont quelque peu hâtivement conclu que c'est la principale fin de l'homme ici-bas que de "Glorifier Dieu et de s'En réjouir à jamais"."

Je voudrais la citer entièrement, mais lisez !

"De la simplicité, de la simplicité, de la simplicité !"

Encore...

"Les hommes croient essentiel que la Nation ait un commerce, exporte de la glace, cause par un télégraphe, et parcoure trente milles à l'heure, sans un doute, que ce soit eux-mêmes ou non qui le fassent ; mais que nous vivions comme des babouins ou comme des hommes, voilà qui est quelque peu incertain."
Et :

"Ce n'est pas nous qui roulons en chemin de fer ; c'est lui qui roule sur nous.

Évidemment, puisque :

"si nous restons chez nous à nous occuper de ce qui nous regarde, qui donc aura besoin de chemins de fer ?"

Élémentaire, mon cher Watson. Mais va faire comprendre ça à un progressiste. Il termine le chapitre en s'en prenant au besoin de "nouvelles" (qu'en dire, aujourd'hui ? Enfer et damnation ! C'est comme avec Péguy, leur description, datée, est déjà épouvantable, mais c'est mille fois pire encore aujourd'hui...) que le "philosophe", en connaissant le principe, balaye comme autant de "commérages".

Quelques pages plus loin, lors du chapitre "Lecture", cette dernière sentence :

"Un homme, tout homme, s'écartera considérablement de sa route pour ramasser un dollar d'argent ; mais voici des paroles d'or, sorties de la bouche des plus grands sages de l'Antiquité, et dont le mérite nous a été affirmé par les sages de chaque siècle l'un après l'autre [...]"

Humanité : coupable !

jeudi 3 mars 2011

Et puis Péguy...

Portrait de Péguy par Jean-Pierre Laurens
En voilà un, en voilà encore un, duquel je n'avais rien lu et c'est une erreur désormais et heureusement réparée. L'Argent, 1913 (Édition des Équateurs). Très grand petit livre. D'une, il est écrit en français, je veux dire il est vraiment écrit, et vraiment en français. C'est le cas des livres que j'ai l'habitude de lire, mais imagine-t-on le livre d'un équivalent actuel (impensable) de Péguy écrire ainsi ? Je me dispense de répondre. 

Péguy est aussi socialiste que catholique, ce qui revient à comprendre comme il se doit chacun de ces deux qualificatifs, et c'est déjà tout un programme. Je reviendrai plus tard là dessus quand j'en connaîtrai plus sur lui que ces cent pages. Mais ces cent pages sont extraordinaires. Il y a quelque chose qui m'échappe, c'est la haine pour Jaurès, non qu'il soit interdit de haïr Jaurès, mais il le hait comme un traitre à sa patrie, alors même que, de mon point de vue en tout cas, il était extrêmement patriotique de s'élever contre cette guerre abominable qui ne concernait pas le peuple français qui est allé s'y faire massacrer en masse. Là encore, il me faudra y revenir plus tard, avec plus d'éléments de compréhension. 

Je reste sur le texte. Et en même temps, j'ai envie d'en peu dire, et de vous conseiller de gagner, de gagner oui, de gagner une à deux heures de votre temps en le lisant. C'est admirable. Il fait démonstration de la liquidation du peuple par le pouvoir de l'Argent. C'est terrible parce qu'il décrit quelque chose, en 1913, que nous pourrions décrire aujourd'hui. Il n'a pas tort, nous n'avons pas tort, c'est simplement que nous sommes tombés bien plus bas encore. C'est la catastrophe. 

Définition du peuple, au passage : 
"[...] j'essaierai de représenter ce qu'était alors tout cet admirable monde ouvrier et paysan, disons-le d'un mot, tout cet admirable peuple." (p. 24)
Or, le peuple qui existait encore vers 1880 n'existe plus en 1913. "Tout le monde est bourgeois", qu'il dit : 
"Quant aux ouvriers ils n'ont plus qu'une idée, c'est de devenir des bourgeois. C'est même ce qu'ils nomment devenir socialistes. Il n'y a guère que les paysans qui soient restés profondément paysans." (p. 25)
Voilà, répété en 1913 ce qu'on ne comprend toujours pas aujourd'hui en croyant que la gauche et la droite sont deux choses différentes. Répété parce que c'est Nietzsche qui les a renvoyés dos-à-dos le premier, les socialistes et les libéraux. Au passage, les paysans restés paysans seront liquidés par la Première Guerre mondiale, puis par la Deuxième, puis par le plan Marshall... J'ai vraiment envie de suivre Péguy pour dire que Jaurès avait raison... m'enfin...

Je n'allonge pas ce qui ne sera que mon introduction à la lecture de Charles Péguy, (je reviendrai sur ce qu'il dit des "maîtres d'école", notamment, ça me concerne et intéresse), je termine en revenant sur cette fausse distinction entre socialistes et libéraux, et plus précisément sur ce mot libéral. Je faisais hier une sorte de bilan idéologique, dont j'ai ressenti le besoin parce que parti de très à gauche j'étais passé par la gauche "libérale" pour revenir à "l'extrême-gauche", cela parce que les mots sont trompeurs. L'emploi du mot libéral comme équivalant moderniste est un abus de langage, et Péguy le dénonce parfaitement : 
"Je ne hais rien tant que le modernisme. Et je n'aime rien tant que la liberté." (p. 86)
Je ne saurais mieux dire. Il explique en quoi ces deux mots sont opposés. Croyant promouvoir et/ou défendre la liberté, je penchais vers les libéraux-libertaires à la Cohn-Bendit, vers la "deuxième gauche" (Rocard, DSK), etc. Redoutable erreur ! Ces gens-là ne sont pas libéraux, mais modernistes. Et moi, je ne hais rien tant que... Et pourtant, j'avais lu mon Friedrich... Il m'a fallu "la crise" pour comprendre leur déroute, et donc la mienne.

mercredi 2 mars 2011

Bilan idéologique

Mammon par George Frederic Watts
Je viens de lire le dernier livre d'Alain Soral : Comprendre l'Empire - Demain la gouvernance globale ou la révolte des Nations ?
C'est un petit livre très intéressant (mais Soral est meilleur à l'oral, niveau écriture, ce n'est pas ça) qui répond très bien à son titre - l'Empire est dévoilé - sans donner aucune leçon. On (les censeurs) essaye de faire passer ce livre et son auteur pour quelqu'un d'extrême-droite, ce qui est une parfaite absurdité : il est passé au FN, mais en provenance du PCF, et il faut vraiment être gravement formaté par le discours UMPS pour y voir quelqu'un d'extrême-droite nouvel exemple des extrêmes qui se rejoignent.

Personnellement, je n'y ai pas appris grand'chose, j'avais déjà décortiqué avec des auteurs plus proches de moi idéologiquement d'ailleurs (Debord, Castoriadis, Chomsky, etc.) le système de domination des banksters, la société du Spectacle, l'oligarchie politico-médiatique, l'imposture de la gauche "morale", etc. En revanche, il me pousse à la réflexivité idéologique. 

L'anti-impérialisme amène logiquement, en tout cas chez Soral, vers la religion (en l'occurrence l'islam, puisque le catholicisme est mort), et la nation. Or, au départ, instinctivement, voilà deux notions contre lesquelles je pense. Athéisme et internationalisme étaient à la base de ma réflexion. Pourtant, il m'est vite apparu de plus en plus évident que le capitalisme fonde ses cathédrales (piteuses) sur les décombres de toutes les structures qui conduisent ailleurs que vers la consommation. Mai 68, par exemple : c'est très bien de liquider la Famille, la Patrie, le PCF... mais ce sont autant de barrières nous séparant de Mammon qui tombent. Et Démocratie = Marché. Tout ce qui fait obstacle à la consommation, toute éthique, finalement, toute spiritualité, toute transcendance, est à détruire, pour vivre ici et maintenant dans cet hédonisme consommateur (dégénéré, et même sataniste : c'en serait risible, mais on pourrait presque dire que la religion majoritaire mais non avouée dans la société du Spectacle est le satanisme). 

Une expression est largement revenue à la mode : "être l'idiot utile". Laissons les serviteurs impériaux l'employer à tort et à travers, mais elle nous sert à comprendre comment en portant de belles valeurs de gauche, on sert en réalité le capitalisme financier globalisé. Un exemple simple : l'immigration. Qui a voulu l'immigration ? La gauche ? Pas du tout : le grand patronat, au contraire, pour exploiter une main-d'œuvre pas chère, et faire pression à la baisse sur les salaires de tous. Ça me pose problème. Non pas, bien entendu, pour vouloir fermer le pays, renvoyer les étrangers chez eux, que sais-je ? mais pour savoir qui on sert. On comprend alors pourquoi Besancenot est extrêmement utile au système. Comment ne pas tomber dans cette contradiction quand ses valeurs servent les porteurs des valeurs contraires ?

Bref... je ne pense pas avoir changé depuis les temps de mes premières consciences politiques il y a une dizaine d'années, je comprends simplement mieux aujourd'hui qui je suis. Athée, oui, mais plus proche des mystiques soufis, de Gandhi, de Nietzsche, de chrétiens comme Léon Bloy ou Georges Bernanos, que de tous les mécréants modernistes et matérialistes (socialistes ou libéraux) qui peuplent notre période contemporaine. Internationaliste, d'accord, mais à mille lieues de l'idéologie des élites néo-nomades ("gauche kérosène" comme dit Michéa). Il est donc évident que je ne vais pas devenir nationaliste musulman, mais c'est clairement de spiritualité et d'ancrage territorial qu'il faut parler, pour opposer un Principe égal (au moins) mais contraire au Principe capitaliste de satisfaction promise (et non tenue) des désirs.

Le crépuscule de toutes les idoles, en somme, vers la Vérité. Voilà comment je comprends mon athéisme : mystique. Tout le reste en découle. Tiens, Edgar Morin vient de sortir La Voie. "Marcheur, il n'y a pas de chemin, le chemin se fait en marchant", je parie qu'il y est cité...


"Oh Jeanne, quel drôle de chemin il m'a fallu prendre, pour aller vers toi !" - Michel dans Pickpocket de Robert Bresson