jeudi 3 mars 2011

Et puis Péguy...

Portrait de Péguy par Jean-Pierre Laurens
En voilà un, en voilà encore un, duquel je n'avais rien lu et c'est une erreur désormais et heureusement réparée. L'Argent, 1913 (Édition des Équateurs). Très grand petit livre. D'une, il est écrit en français, je veux dire il est vraiment écrit, et vraiment en français. C'est le cas des livres que j'ai l'habitude de lire, mais imagine-t-on le livre d'un équivalent actuel (impensable) de Péguy écrire ainsi ? Je me dispense de répondre. 

Péguy est aussi socialiste que catholique, ce qui revient à comprendre comme il se doit chacun de ces deux qualificatifs, et c'est déjà tout un programme. Je reviendrai plus tard là dessus quand j'en connaîtrai plus sur lui que ces cent pages. Mais ces cent pages sont extraordinaires. Il y a quelque chose qui m'échappe, c'est la haine pour Jaurès, non qu'il soit interdit de haïr Jaurès, mais il le hait comme un traitre à sa patrie, alors même que, de mon point de vue en tout cas, il était extrêmement patriotique de s'élever contre cette guerre abominable qui ne concernait pas le peuple français qui est allé s'y faire massacrer en masse. Là encore, il me faudra y revenir plus tard, avec plus d'éléments de compréhension. 

Je reste sur le texte. Et en même temps, j'ai envie d'en peu dire, et de vous conseiller de gagner, de gagner oui, de gagner une à deux heures de votre temps en le lisant. C'est admirable. Il fait démonstration de la liquidation du peuple par le pouvoir de l'Argent. C'est terrible parce qu'il décrit quelque chose, en 1913, que nous pourrions décrire aujourd'hui. Il n'a pas tort, nous n'avons pas tort, c'est simplement que nous sommes tombés bien plus bas encore. C'est la catastrophe. 

Définition du peuple, au passage : 
"[...] j'essaierai de représenter ce qu'était alors tout cet admirable monde ouvrier et paysan, disons-le d'un mot, tout cet admirable peuple." (p. 24)
Or, le peuple qui existait encore vers 1880 n'existe plus en 1913. "Tout le monde est bourgeois", qu'il dit : 
"Quant aux ouvriers ils n'ont plus qu'une idée, c'est de devenir des bourgeois. C'est même ce qu'ils nomment devenir socialistes. Il n'y a guère que les paysans qui soient restés profondément paysans." (p. 25)
Voilà, répété en 1913 ce qu'on ne comprend toujours pas aujourd'hui en croyant que la gauche et la droite sont deux choses différentes. Répété parce que c'est Nietzsche qui les a renvoyés dos-à-dos le premier, les socialistes et les libéraux. Au passage, les paysans restés paysans seront liquidés par la Première Guerre mondiale, puis par la Deuxième, puis par le plan Marshall... J'ai vraiment envie de suivre Péguy pour dire que Jaurès avait raison... m'enfin...

Je n'allonge pas ce qui ne sera que mon introduction à la lecture de Charles Péguy, (je reviendrai sur ce qu'il dit des "maîtres d'école", notamment, ça me concerne et intéresse), je termine en revenant sur cette fausse distinction entre socialistes et libéraux, et plus précisément sur ce mot libéral. Je faisais hier une sorte de bilan idéologique, dont j'ai ressenti le besoin parce que parti de très à gauche j'étais passé par la gauche "libérale" pour revenir à "l'extrême-gauche", cela parce que les mots sont trompeurs. L'emploi du mot libéral comme équivalant moderniste est un abus de langage, et Péguy le dénonce parfaitement : 
"Je ne hais rien tant que le modernisme. Et je n'aime rien tant que la liberté." (p. 86)
Je ne saurais mieux dire. Il explique en quoi ces deux mots sont opposés. Croyant promouvoir et/ou défendre la liberté, je penchais vers les libéraux-libertaires à la Cohn-Bendit, vers la "deuxième gauche" (Rocard, DSK), etc. Redoutable erreur ! Ces gens-là ne sont pas libéraux, mais modernistes. Et moi, je ne hais rien tant que... Et pourtant, j'avais lu mon Friedrich... Il m'a fallu "la crise" pour comprendre leur déroute, et donc la mienne.

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