samedi 15 septembre 2012

Reconstruisons le Taj Mahal

Langue fantôme débute par une très bonne trouvaille littéraire autour de la figure d'Umberto Eco. Le sieur, auteur entre innombrables autres du Nom de la rose, qui s'était plaint lui aussi d'Internet où le vrai et le faux ne se distinguent pas, alors que dans un livre, un panneau est placé par Dieu devant chaque phrase, tantôt "VRAI", tantôt "FAUX", à la télévision également, le sieur a ainsi entrepris de réécrire son roman-phare à l'usage des lecteurs de la génération Internet.

Une écriture simplifiée, "plus légère et accessible", et un grossier élagage des citations latines furent pensées par le penseur - à moins que ce ne soit par son éditeur, ou quelque autre belle personne envisageant les menus profits de quelques millions d'exemplaires supplémentaires. 

On comprend mal, quoiqu'il en soit, ce qui peut pousser un écrivain à avoir un style, une philosophie, une psychologie, et autres absurdités desquelles abusèrent jusqu'à la nausée des auteurs si ringards que Dostoïevski. Franchement, son Raskolnikov, il nous prend la tête. Comment voulez-vous balancer ses "clashs" sur Twitter ? Alors, des citations latines ?! Horresco referens !... Un tel écrivain devrait être interné sur-le-champ.

Et en un sens, il faut bien donner raison à Eco : le lecteur, abruti par un gigantesque travail de sape culturel, validera son Nom de la rose pour les nuls. Alors, bravo Umberto, c'est superbe. Pour garder des lecteurs, les écrivains détruisent ce qu'il leur restait de littéraire. 

Péguy écrivait, contre les Républicains, qu'il est important que les Républicains l'emportent, certes, mais qu'il est plus important encore que les Républicains soient effectivement Républicains. Ça nous la baille belle que la >> littérature << se vende encore : elle n'a plus rien de littéraire. 

De la même façon, je pense que les touristes n'iront plus admirer le Taj Mahal, monument beaucoup trop beau et trop complexe pour l'humain du XXIe siècle. Je propose donc qu'on le rase, lui aussi, et qu'on le reconstruise de manière à le rendre plus léger et accessible : 

Le futur Taj Mahal, accessible à homo twitterus

mercredi 12 septembre 2012

Lettre ouverte à Monsieur Millet

Monsieur Millet,

Permettez-moi de vous appeler Monsieur, j'y suis quasiment contraint par d'étranges forces qui me poussent au respect, plus encore que par mon souci, toujours présent, de la Bienséance. 

Une armée de fantastiques Géants, venus aussi bien de l'ouest que de l'est, du haut et du bas, vous attaque, courageusement, à mille contre un. Nous commençons à les bien connaître, ils nous surprennent pourtant éternellement, capables de surpasser leurs exploits à chaque bataille - et ils en mènent, des batailles. C'est qu'ils ont la machinerie moderne pour les conduire, alors que notre pauvre, pauvre, Rossinante commence à fatiguer. 

Je suis de gauche démocrate anti-raciste et internationaliste. Tout devrait donc me pousser contre vous, et dans le camp du Bien, des belles personnes, des bienpensants, des honnêtes gens, des gens de bien, et pourtant : non. Eux aussi se proclament cependant de gauche, démocrates, anti-racistes, internationalistes. 

Je le répète, les honnêtes gens en mènent, des batailles. J'ai pu comprendre, au fil des années, et des défaites, qu'ils ne parlaient pas la même langue que moi. 

Ça a débuté comme ça : Edgar Morin était attaqué pour "incitation à la haine raciale". Et pourquoi pas Gandhi, tant qu'on y est ? D'autres affaires, innombrables, du même acabit, avant et après l'affaire Morin, firent monter la crispation. Le cas Dieudonné est exceptionnel : un métis qui se pense comme tel (donc un pont entre deux continents, deux cultures, donc une négation vivante du racisme) dont le patronyme est devenu synonyme de racisme, quoi de plus tragi-comique ? Mais l'histoire est pleine de ces grands renversements, de ces transferts. Il est facile d'accuser l'Autre d'être ce que nous ne voulons pas voir que nous sommes.

Je ne vous avais encore pas lu. Je vous avais entendu, je crois, dans l'émission Ce soir ou jamais, à propos de cette désormais fameuse complainte du seul blanc. Je n'en avais rien pensé de particulier, si ce n'est que c'est une chanson qui ne peut me toucher. Je ne suis pas attentif à ces détails, je ne les remarque pas, et je suis incapable de réduire un individu à une quelconque communauté. Je crois que je suis nietzschéen par réflexe : dans "Deviens ce que tu es", le terme important est "deviens". Un Homme à la peau noire n'est pas noir tant qu'il ne l'est pas devenu. Sous le regard éhonté du colonisateur (lequel était de centre-gauche, ce conflit idéologique ne date pas d'hier, et j'estime ainsi mon positionnement tout à fait cohérent dans ma critique du racisme et du colonialisme depuis Jules Ferry jusqu'à SOS Racisme), il est devenu nègre. La négritude et le jazz font plus pour ridiculiser le colonialisme que toute la bienpensance anti-raciste réunie - et pour cause !

Ce qui m'intéresse donc chez les autres, c'est leur devenir, leur liberté, pas leur passé ni leur communauté. Je suis d'ailleurs tout à fait infirme quand il s'agit de décrire une personne, avant que cette personne ne m'ait révélé sa façon de se décrire. Quand bien même, je vis dans un quartier assez peu blanc, idem dans mon travail, je n'écoute quasiment que de la musique de nègres et de bougnoules, et j'aime ça. Je suis, je l'espère, curieux de l'Autre, et les ponts historico-géographiques qui nous permettent de les rencontrer, de les connaitre, c'est là une chance. Je ne me suis jamais interrogé, en tant que "seul blanc", et même après réflexion, ça me paraît tout à fait incongru. Obama est plus blanc que Jean Genet, non ? Ah ! j'exagère ?! C'est à cause de Nabe.

Vous enfoncez d'ailleurs le clou, cet été, avec vos pamphlets, et toujours la complainte du seul blanc. Mais cette fois-ci, l'acharnement médiatique contre vous dépasse l'entendement. Toute la bienpensance déglinguée rivalise d'abjection. Tout y passe : vous faites de Breivik un héros, vous êtes raciste, vous insultez la mémoire des victimes, vous êtes fasciste. Des témoins vous auraient vu à plusieurs reprises chez Marc Dutroux, et des amis d'enfance déclarent - horresco referens ! -  que vous torturiez déjà des chats pendant les récréations à l'école. 

Je ne supporte plus ces médiacrates, leur propagande et leur tartuferie, de laquelle Molière lui-même s'étonnerait. Il me fut surtout pénible d'encaisser la chronique de Fabrice d'Almeida sur France Inter, lui qui est historien, et spécialiste des médias et de la propagande. Il est lugubre, lugubre de penser qu'il peut, malgré cela, servir la plus infecte soupe propagandiste sauce Val, préparée du mélange Millet, Dieudonné, Faurisson, Céline, avec pour résultat une clownerie iconoclaste et néanmoins nazifiée.

Quant au coup de grâce, c'est bien entendu au journal Le Monde qu'il revenait de le donner. Après les sous-fifres de itélé, des Inrocks, et compagnie, c'est la maison-mère qui attaque. Trouver 119 écrivains, 119 écrivains !... pour fustiger avec Annie Ernaux votre "fascisme", aucun écrivain au monde n'aurait pu l'imaginer. Cette fois-ci, les choses sont claires, le fond est touché, la partie est terminée, Babylone est brûlée, en cendres. Les mots n'ont plus de sens. La guerre c'est la paix. 

Ils s'y mettent à 119, et pas un, pas un, pas un de ces 119 écrivains n'a compris l'ironie du titre, ne sent que l'anéantissement de la littérature par le Nouvel Ordre moral, selon votre expression, est la condition sine qua non de l'émergence d'un Breivik, et donc que la situation logique, non ironique, voudrait que ce soit un cultureux mondain et mondialiste qui fasse l'éloge de Breivik. Quant à l'écrivain, dinosaure de la littérature, les faits lui ayant donné raison (la montée de l'insignifiance conduisant entre autres à des pratiques terroristes monstrueuses), il ne peut que redoubler de virulence dans ses alertes, ce que le Nouvel Ordre moral, pour se perpétuer, ne peut que prendre comme une justification et un éloge du monstre terroriste. Le piège est terrible, et magnifiquement déjoué par l'ironie de votre titre.

Pas un de ces 119 écrivains n'a le moindre commentaire à faire sur le contenu de vos trois pamphlets. L'histoire littéraire du XXe siècle, la théorie du Spectacle, celle des simulacres de Baudrillard, le rôle de Mai 68, les relations entre les médias, le Culturel et la politique, l'industrie culturelle, l'illusion démocratique, la surestimation totalitaire, Lévi-Strauss, René Girard, rien, il n'y a rien de pertinent à dire. En un sens, je m'en félicite, et vous aussi, assurément, c'est toujours ça de "débat" et de "commentativite" en moins.

La littérature, la langue, l'altérité ? il n'y a personne non plus, ces sujets n'existent pas. Il est beaucoup plus important de chasser le racisme. Pourtant, en cherchant bien, le racisme pourrait être trouvé là où ils ne l'attendaient pas. Vos livres transpirent en effet d'une idée centrale : la défense de l'altérité et la critique de l'indifférentiation. Vous pleurez la disparition de l'Autre. C'est du racisme, ça ? C'est d'extrême-droite, ça ? Si on prend cette propagande au pied de la lettre, cela signifie alors que l'anti-racisme, c'est la tolérance de tous (ceux qui boivent du Coca, écoutent de la pop, et lisent le Da Vinci Code). Quel magnifique exploit que de tolérer le même ! Quel humanisme ! Quel raffinement ! Si j'osais, je citerais la première phrase de Bagatelles pour un massacre. Boum ! Vrang !

Vous vous affirmez au fil des pages comme défenseur de la biodiversité des idées et des cultures. Grâce notamment à Péguy, j'en comprends bien les implications. Je me disais internationaliste - mais pour aller à la rencontre, et au-delà des nations, il faut bel et bien que les nations existent. L'inter-nationalisme, ce n'est pas le mondialisme, c'en est le contraire : l'échange dans l'altérité d'un côté, et la communication globish de l'autre. 

J'en finis, maintenant. Les honnêtes gens ne sont pas démocrates, ils sont voltairiens ; ils ne sont pas internationalistes, ils sont mondialistes ; ils ne sont pas de gauche, ils sont l'instrument de résignation sociale du capitalisme financier. Pasolini nous répèterait que là est le vrai fascisme. C'est pourquoi il est extrêmement important pour eux que leurs opposants passent pour fascistes, d'extrême-droite, racistes. 

Nous le savons. Soyons les plus forts. Enfilons le heaume de Mambrin. Et en avant !

"En avant. […] Puissé-je ne rien garder à mes semelles de tout ce que je quitte, et ne rien emporter que mes belles douleurs, mes belles conquêtes, toutes mes victoires sur moi-même en tant de combats où j’ai été vaincu selon le monde, défait par la laideur et révolté par le bruit. […] En avant !"
André Suarès

Très cordialement,

mardi 11 septembre 2012

Altérité, racisme et anti-racisme

Je tourne autour depuis quelques temps, et je les ai désormais lus, les pamphlets de Richard Millet. J'en donne les titres, ne serait-ce que pour la polémique qu'ils ont créée - à juste titre, c'est à propos, d'ailleurs, puisqu'ils sont aussi le sujet : la littérature. 

Langue fantôme

Éloge littéraire d'Anders Breivik

De l'antiracisme comme terreur littéraire 


Je me suis déjà agacé du traitement subi par Millet, à la sauce Inrocks aussi indigeste qu'à la sauce itélé. La logique était alors ô combien respectée, les médias peuvent en effet facilement être amalgamés autour de la même bienpensance, mais entre ces deux-là, le meilleur des microscopes ne permettrait pas de déceler la moindre différence idéologique. 

France Inter s'est également occupée de son cas. Qui pourrait s'en étonner ? Moi pas, qui ai Philippe Val dans le collimateur, alors qu'on peut même estimer que sans lui, Millet aurait de toute façon reçu le même accueil sur cette station. C'est Fabrice d'Almeida qui s'y est collé, et qui justifie la citation comme témoin de Val, tant sa critique singe celle de l'ancien patron de Charlie Hebdo.

Fabrice d'Almeida est historien. Je trouve toujours désagréable de devoir critiquer un historien, et pourtant il faut bien le faire. Je veux dire : en tant qu'historien, on est confronté nuit et jour, pour ainsi dire, à des constructions plus ou moins mythologiques, il faut démêler le vrai du faux, recouper, confronter, c'est terrible. Il y a donc une chose à laquelle l'historien devrait être naturellement attentif : ne pas servir la soupe propagandiste. L'historien ne peut pas être objectif, c'est absurde. Il ne peut pas, non plus, dire la Vérité, c'est tout aussi dénué de sens. Il peut, en revanche, comme le lui demandait Victor Hugo, dire "le vrai", c'est-à-dire ne pas mentir. C'est peu, et c'est tant !

Fabrice d'Almeida est un spécialiste des médias et des manipulations. Vous trouverez les divers ouvrages qu'il a écrit sur le sujet. Et là, je dois l'avouer, j'en suis complètement déprimé. Il me parait insensé, mais complètement extravagant, c'est un défi à tout sens logique, qu'un spécialiste de la Propagande dans l'histoire, nous offre une chronique aussi visiblement affiliée à la Propagande du pouvoir actuel. C'est désespérant. 

J'ai honte, j'ai honte pour lui, quand j'entends sa chronique. Peut-être n'a-t-il pas lu les pamphlets de Millet, je l'espère sincèrement. Vendredi, quelqu'un lui a envoyé par e-mail les trois extraits dont se gargarisent les médias, et samedi matin il a fait sa chronique dessus. Est-il possible qu'il en soit autrement ?

Éloge littéraire d'Anders Breivik. Millet précise que l'ironie du titre n'a pas été saisie par les médiacrates. Il a raison. Imagine-t-on Millet la mitraillette à la main ? Il a une plume ! L'ironie : l'anéantissement de la littérature par le Nouvel Ordre moral amène à l'insignifiance, condition sine qua non de l'émergence d'un Breivik, et l'écrivain médusé dont les faits valident son diagnostic ne peut que redoubler de virulence contre ce Nouvel Ordre moral, lequel aura vite fait d'assimiler l'écrivain au terroriste, dans une inversion, dans un grand renversement si classique. 

Pour être plus clair : Breivik n'aurait pas été Breivik dans un monde où la littérature, la langue, l'altérité auraient encore été des valeurs. Ce sont donc les ennemis de la littérature, de la langue, de l'altérité qui pourraient avoir à répondre de Breivik, qui pourraient avoir à se justifier de ne pas l'avoir fait apparaitre. Mais c'est la littérature, la langue, l'altérité, l'écrivain qui se retrouvent accusés de sympathie, de collusion, d'approbation pour Breivik.

Hélas ! Fabrice d'Almeida ne l'a pas compris, et confond qui plus est ironie et comique, pour ne retenir qu'une chose de ces trois pamphlets : Millet est un humoriste, un clown, enfin quelqu'un de pas sérieux, et assez dangereux pour tout dire, avec ses idées nauséabondes. Tiens, mais, c'est comme Dieudonné. C'est parti pour un tour de grand huit. Dieudonné, c'est un bouffon. Comme dans une cour de maternelle, Fabrice d'Almeida pense décocher une flèche empoisonnée en direction de Millet, lequel se prendrait pour un grand écrivain, alors qu'il ne vaut pas mieux qu'un pauvre bouffon. Et la compagnie d'un nègre lui sera sans doute difficile à supporter, doit penser Fabrice. 

Ce qui me vient d'abord à l'esprit, c'est que sur une radio qui se veut de qualité, dans une émission où un historien tient une chronique sur les controverses de l'histoire, l'historien en question, invité à parler de trois livres, ne trouve rien de sérieux dans ces trois livres, mais uniquement de la bouffonnerie nauséabonde. L'histoire littéraire du XXe siècle, la théorie du Spectacle, celle des simulacres de Baudrillard, le rôle de Mai 68, les relations entre les médias, le Culturel et la politique, l'industrie culturelle, l'illusion démocratique, la surestimation totalitaire, Lévi-Strauss, René Girard, rien, il n'y a rien de pertinent à dire pour un spécialiste des sciences "humaines" ? Bon, d'accord...

"[...] la culture occidentale vouée à ne plus exister que sous deux formes : des écrits qu'on qualifiera de dissidents (ou, pour parler comme Pasolini, d'hérétiques) et un divertissement généralisé, capable d'inclure dans son économie sa critique "urgente" et bien entendu consensuelle, de quoi la nullité de l'art contemporain, par exemple, ou celle, revenons-y, du roman, est exemplaire, qui fait de la rébellion le fondement de son geste, lequel est dès lors sacralisé comme "dérangeant", maître mot de ce qui tient lieu de critique littéraire, en France." - Langue fantôme

Rien à dire là-dessus, Fabrice ? Puisque les médias aiment les débats, que Millet déteste (il a raison ! la littérature est l'anti-débat), ces livres offrent mille et une occasions de "débats". Et pourtant...

Ce qui me semble central, dans ces trois pamphlets, est la question de l'altérité. Millet défend la littérature comme altérité, contre le Culturel mondialisé et indifférencié. Ce qu'il combat, c'est le globish, ce qu'il défend, l'anglais, l'italien, l'espagnol, le français, etc. Il pleure la disparition de l'Autre. C'est du racisme, ça ? C'est d'extrême-droite, ça ? Si on prend cette propagande au pied de la lettre, cela signifie alors que l'anti-racisme, c'est la tolérance de tous (ceux qui boivent du Coca, écoutent de la pop, et lisent le Da Vinci Code). 

Pourtant, il y a autre chose, dans la vie. Il y a autre chose, dans le monde. Quand il s'agit des papillons ou des ours, la bienpensance est tout à fait d'accord (en surface tout au moins) pour préserver la biodiversité. En revanche, la biodiversité des idées, des cultures, il est devenu raciste d'y être attaché. 

Je n'ai aucun intérêt à démontrer que Richard Millet n'est pas raciste. Je n'éprouve aucune difficulté à admirer Louis-Ferdinand Céline malgré le racisme vociférant de ses pamphlets, je n'ai pas à partager les idées des écrivains, des musiciens, etc. Je sais faire la part des choses. Toutefois, je pense qu'il ne l'est pas, et il me semble très problématique qu'il soit jugé unanimement raciste par la médiacratie. Fabrice d'Almeida n'a pas tort en fin de compte de le rapprocher de Dieudonné ; c'est le même cas, la même inversion. A force de procéder ainsi, de faire un grand amalgame de gens si divers, d'extrême gauche, d'extrême droite, de droite, de gauche, de tous les nazifier de manière aussi ridicule, l'extrême-centre bienpensant va finir par se retrouver bien à l'étroit. Ce sera la révolution...


P.-S. : il y a pire encore qu'un historien des médias, comme Torquemada. Le Monde a trouvé 119 écrivains, 119 écrivains !... pour fustiger avec Annie Ernaux le "fascisme" de Richard Millet. Au secours !

lundi 10 septembre 2012

Ma rentrée littéraire

Je fus quasiment incapable de répondre à la question : "quel est le dernier livre que tu as lu ?" J'en fus tout perturbé et effrayé. Oh ! certes, j'ai fini par retrouver D'un retournement l'autre, de l'ami Frédéric Lordon, lequel a le défaut d'être économiste, mais défaut largement compensé par son adoration, à juste titre (parce que Philippe Val aussi l'adore), pour Spinoza, ainsi que pour Céline puisque le titre rend hommage à l'élusion célèbre de D'un château l'autre.

Rentré chez moi, je retrouvai une pile de livres relus, partiellement ou non, récemment, ce qui eut un effet légèrement rassurant. Et puis, j'ai toujours le Journal de Léon Bloy et Au régal des vermines de Marc-Edouard Nabe, en cours, c'est vrai.

Et finalement, la rentrée littéraire n'est arrivée à moi que par le skandal Richard Millet, dont je n'ai pas fini de parler. Pour me rattraper, j'ai commencé par aller acheter les pamphlets scandaleux. Il me fallut donc aller en librairie, et la parcourir - les parcourir. 

On y remarque qu'un kilogramme de lessive est offert pour trois livres du Guillaume Lévy achetés. Je cèderai lorsque ce sera de la lessive bio, ce qui ne saurait tarder. Je feuillette alors quelques livres de la "rentrée littéraire", le livre d'Angot, par exemple. Je recommence : 

Un kilo. De lessive. Trois livres. Guillaume Lévy. Pas de la lessive bio. Pas encore. Bientôt. D'autres livres de la rentrée littéraire. Angot. Par exemple. 

Je ne me souvenais plus ce que je n'aimais pas dans son écriture. J'ai vite trouvé. Des "phrases" nominales. Millet en parle, d'ailleurs, on se demande bien qui il cible...

Ecoeuré, je me rends au rayon "Littérature française". "A, comme Artaud", pensai-je naïvement. Mais Antonin Artaud n'a pas l'heur de figurer dans les rayons de cette librairie, ni dans les deux autres parcourues ce jour. Je suis persévérant, jusqu'à une certaine limite, c'est entendu. "B comme Bloy, ou Bernanos" ! Rien ! Il n'y a rien, absolument rien. La littérature française se passera d'eux. 

Guy Debord, reviens !

samedi 8 septembre 2012

Ma petite Nelly - du racisme et de l'anti-racisme

N'importe quel rapace a mille et une fois plus d'allure qu'un médiacrate. 

Sans doute avez-vous remarqué qu'ils me fatiguent. 

Leur dernier méfait fut de s'en prendre à Richard Millet. 

Attention je vais citer : 





"Dans le fond et la forme, ses pamphlets rappellent ceux, antisémites, de Céline : même litanie haineuse, nationaliste, paranoïaque, suicidaire."
Nelly Kaprièlian, Les Inrocks, 29 août 2012

Ah ! Nelly... Nelly ! Nelly... "Le monde est plein de gens qui se disent raffinés et puis qui ne sont pas, je l'affirme, raffinés pour un sou". Oui, parce que j'ai lu les pamphlets, antisémites, de Louis-Ferdinand Céline. Qui s'étonnera que je pense à toi, Nelly, en lisant cette phrase pour ainsi dire introductrice de Bagatelles pour un massacre ? Ah, ces raffinés ! les bien-pensants ! Les hommes de bien ! (ou les femmes, si tu veux, Nelly...) - les honnêtes gens ! les belles personnes... Ils sont démocrates, tolérants, anti-racistes, l'axe du Bien finalement.

Prenons-la au mot, et commençons par la forme. Je vais chercher dans "le plus abject" (dixit Nelly) des trois pamphlets de Millet (De l'antiracisme comme terreur littéraire), et je vous fais juges : 

"Il existe dans toute nation une identité onomastique, laquelle est aujourd'hui bradée, en France, avec la langue, les journalistes et les écrivains ayant renoncé à nommer le monde en français pour en adopter la version anglo-saxonne et signifier à l'Empire leur consentement à la condition de sous-homme américain : comment, dans ces conditions, les immigrés extra-européens désireraient-ils s'assimiler à des vaincus qui aiment leur propre défaite ?" (De l'antiracisme..., page 35)

et 

"- Intelligents, quoi ?... que je m'insurge. Ils sont racistes, ils ont tout l'or, ils ont saisi tous les leviers, ils se cramponnent à toutes les commandes... C'est ça leur intelligence ?... Y a pas de quoi reluire !... Ils se filent admirablement le train, ils éliminent, dégoûtent, pourchassent, traquent... tout ce qui peut rivaliser, leur porter le plus petit ombrage... [etc.]" (Bagatelles)

Qu'un critique littéraire, quelqu'un de sérieux !... vienne m'expliquer en quoi la forme du premier extrait rappelle celle du second. Penaud, je cherche, je cherche sans comprendre, sans repérer la moindre ressemblance formelle. Aidez-moi !

Peut-être aurais-je plus de succès, si je m'occupais du fond. A priori, ça paraît logique. Les Inrocks sont anti-racistes. Alors réfléchissons : s'ils s'attaquent à quelqu'un, c'est qu'il est raciste, et certainement même antisémite et hitlérien. Oui, c'est tout à fait logique. Et qui, dans la littérature française, rappelle mieux ces heures-les-plus-sombres-de-notre-histoire ? Céline ! 

Hélas ! mille et mille fois hélas ! Céline déploie des efforts surhumains pour étaler racisme et antisémitisme à toutes les sauces. C'est à un point tel que certains (Gide) ne l'ont pas pris au sérieux, et d'autres estiment qu'il a voulu être le plus grand antisémite de tous les temps. Le racisme, dans les pamphlets, ne revient jamais par la fenêtre : il n'a jamais été mis à la porte. Mais chez Millet ? c'est tout le contraire ! Le sieur passe son temps à nier son racisme, c'est-à-dire à nier une hiérarchie de races humaines ; cependant qu'il défend sa position que l'on peut qualifier de conservatisme identitaire - les musulmans en musulmanie, les chrétiens en chrétienté. C'est son truc.

Alors sur le fond, je me sens tout aussi bête. Nelly, éclaire-moi ! 

Oh ! certes il y a des points communs. Millet s'oppose à l'homogénéisation mondialiste par la sous-culture pop anglo-saxonne. Céline aussi. Mais combien d'autres ? Tous ceux qui aiment Beethoven, Thelonious Monk, Ravi Shankar, Oum Kalsoum, etc. mais pas le globish. Idem en littérature, architecture, cuisine, tout ce que vous voulez. Il suffit d'être curieux de l'Autre, et le rejet du Nouvel Ordre Mondial est évident, épidermique. Et c'est cela, que la bienpensance appelle aujourd'hui "racisme" : la curiosité de l'Autre (car il faut bel et bien que l'Autre existe, qu'il y ait des différences). 

On peut donc se demander pourquoi on invoque Céline pour le cas Millet. Est-ce par ignorance ? Nelly, je ne puis le croire. Est-ce par malfaisance ? Nelly, je ne puis le croire. Est-ce alors par stupidité ? Nelly, je ne puis le croire. 

Je reste idiot. En attente d'une explication, je ne peux que me contenter d'en montrer les conséquences. Tout écrivain s'attaquant au mythe de l'indifférentiation (tout écrivain, en somme) sera taxé de racisme, ce qui revient à appeler à un monde où nous serons tous identiques, clonés, robotisés. Donnons-leur raison, il n'y aura, alors, plus de racisme. Permettons-nous de nous étonner du moyen employé : pour supprimer la pédophilie, supprimons les enfants ; pour échapper à la maladie, euthanasions les malades ; et donc, pour abolir le racisme, supprimons les races. 

J'ai peur, j'ai peur de sombrer tragiquement dans le racisme le plus primaire, mais je préfère, moi, qu'il y ait des blancs, des noirs, des métisses bien sûr, des grands, des petits, des musulmans, des athées, des hindous, des Russes, des Portugais, des royalistes, des anarchistes, des hommes, des femmes, des...

Et Reggiani, quel raciste lui aussi qui voulait rencontrer des enfants des femmes des grands hommes des petits hommes des marrants des tristes des très intelligents et des cons, c'est drôle les cons, c'est comme le feuillage au milieu des roses. 

Nelly, Nelly, tu ne peux être sérieuse... Je me trompe où je dépasse ton anti-racisme par la gauche ?


samedi 1 septembre 2012

Oh mon Dieu ! je suis devenu raciste

J'ai peur du noir
Horresco referens !... je frémis en l'écrivant. C'est pourtant vrai. Je n'ai pas encore lu Richard Millet, dont les pamphlets ont "la forme et le fond" de ceux de Louis-Ferdinand Céline, dixit Les Inrocks (soit à peu près l'équivalent moderne du Saint Tribunal de l'Inquisition), mais l'écouter dix minutes ont suffit.

Le terrain était assurément propice, depuis ma lecture des-dits pamphlets. Mea culpa ! Bagatelles pour un massacre ! L'école des cadavres ! Les beaux draps ! N'en jetez plus ! Je me suis laissé piéger à l'époque. J'étais seul, trop seul, je les ai lus - je n'aurais pas du, mais comme pour ne me laisser aucune chance, je les ai lus sans aucun Journaliste ni Intellectuel au-dessus de mon épaule pour m'arrêter avant de sombrer dans la folie antisémite carabinée. J'aurais du contacter... peut-être pas Bernard-Henri, mais au moins Philippe Val. Je n'aurais pas tourné fou ! Aujourd'hui, c'est terrible. Tout le monde sont juifs, je suis complètement paranoïaque, et même les psys sont juifs ! Oh ! misère... Enfer et damnation... 

Mais ce n'était rien encore, comparé à ce que je vis depuis hier. Mon racisme s'est étendu. J'ai entendu la complainte du seul blanc. (Im-)médiatement, mon sang aryen n'a fait qu'un tour. Encore une fois, j'ai commis l'erreur fatale : j'ai écouté l'infâme Richard seul. Quelle abomination ! Son angoisse m'a envahi. Et je me suis identifié à lui, totalement, mais complètement. Je vis, depuis lors, un affreux cauchemar. C'est vrai, je suis moi aussi le seul blanc, le seul blanc dans mon appartement. Je ne cesse de trembler. Je n'ose à l'heure actuelle pivoter sur ma chaise. Une horde de nègres barbares et cannibales me scrute et n'attend que le moment propice pour me dévorer. Du coin de l’œil, je les observe. Jugez plutôt - et appelez vite la police pour me délivrer : il y a là Miles Davis, Louis Armstrong, Charlie Christian, Thelonious Monk, Sonny Rollins, Milt jackson, Art Blakey, Cannonball Adderley, Wayne Shorter, Charlie Parker, Duke Ellington, Sydney Bechet, Dizzy Gillespie, Oscar Peterson, Yusef Lateef, Chet Baker, Bud Powell, ils sont tous noirs !, Ahmad Jamal, Archie Shepp, Billie Holliday, Ella Fitzgerald, il y a même des négresses mon Dieu !, Charlie Mingus, Ornette Coleman, John Coltrane, encore et encore !... Anthony Braxton, Geoffrey Oryema, Nat King Cole, J.-B. Lenoir, Lester Young, Count Basie, Wes Montgomery, Albert Ayler, d'autres encore mais je souffre trop, j'agonise d'angoisse à les citer

Pire encore, si c'était Dieu possible, ceux qui ne sont pas noirs, sont, j'ose à peine l'écrire, d'infâmes bougnoules ! Oum Kalsoum ! mon cœur se serre, j'ai l'impression que mon appartement va être soufflé dans un attentat, commis par quelque Anouar Brahem, Khaled AlJaramani, Ali Reza Ghorbani ! Nusrat Fateh Ali Khan ! même des Iraniens bordel ! Faiz Ali Faiz... Ibrahim Maalouf...  Ustad Mahwash, etc. 

J'ai encore l'impression que d'autres pourraient s'allier à eux pour m'agresser : des romanichels, des latinos, des Mongols ! autant avoir Gengis Khan directement dans sa cuisine, prêt à vous égorger. La touche finale, bien sûr, c'est que parmi les quelques disques de rock qu'il me reste, s'impose... Noir désir. Je pleure.

Je suis pris au piège. Je ne peux même pas sortir. A Mermoz-Laennec, figurez-vous que c'est plein de nègres et de bougnoules. Affreux, affreux, affreux ! 

Tout ça à cause d'une vidéo ! J'essaye, j'essaye de surmonter - je n'y parviens pas. Je remets la vidéo, je coupe le son quand Richard Millet parle, et je bois les paroles des journalistes. Rien n'y fait ! c'est trop tard. Encore un peu, et je commande des armes pour faire un carnage. Tout ça parce que ce malfaiteur de l'humanité a fait de Breivik un héros. Les journalistes veillent, mais n'ont pas le pouvoir, hélas ! de brûler ces sorcières modernes qui exercent une si mauvaise influence sur nos cerveaux populo sans défense. Voltaire demandait la tête de Rousseau qui propageait des idées scandaleusement démocratiques dans ses livres, dont auraient pu s'inspirer les rues basses de Genève. Restaurons la guillotine. Que Millet serve d'exemple ! On en trouvera bien 105 autres, en hommage à la restauration thermidorienne. Internet pullule de mécréants de la pire espèce : populistes, fascistes, conspirationnistes, ce n'est pas ça qui manque. 

Appelons enfin de nos vœux la création d'un Tribunal de la Bienpensance, financé par Goldman Sachs, Total et Coca Cola, et dirigé par un collège de journalistes cooptés lors du Dîner du Siècle. Plus aucun pauvre ne doit mal penser.

Sic transit gloria mundi, amen.