mardi 18 septembre 2007

L'ADN, la France, la gauche et les impensés

« Là où croît le péril croît aussi ce qui sauve. » Merci à M. Mariani de nous donner une chance de vérifier cet adage hölderlinien et de nous ressaisir. En effet, le vote solennel du 23 octobre n’y fera rien, seul le Conseil Constitutionnel peut sauver les meubles en supprimant cet amendement « ADN ». Je ne veux pas revenir longuement sur le débat direct, tout a été dit et redit à propos du droit du sol, du droit familial, de la protection de la vie privée et des libertés individuelles ; mais aussi sur la suspicion jetée sur les immigrés ; et encore sur la banalisation de l’utilisation de la génétique jusque-là strictement confinée à la médecine et à la justice ; et enfin sur l’illusionnisme d’une mesure si « édulcorée » qu’elle ne sert plus à rien, en admettant qu’elle ait eu une utilité au départ. Tout cela fait de cet amendement quelque chose de parfaitement absurde, néfaste, et stupéfiant. Tant d’acharnement pour imposer un « détail » ! Ne reste plus que le symbole (mais un symbole qui occulte le reste de la loi, dont la tentative, avortée fort heureusement en CMP, de durcir les conditions du droit d’asile).
Il faut dire que l’équipe en place est multirécidiviste sur ces terrains : ne sont pas oubliés les 4 lois en 4 ans sur l’immigration (celle-ci n’est toujours pas votée qu’une cinquième est annoncée, ce sujet devant visiblement rester sous les projecteurs), n’est pas oubliée la volonté de détecter les délinquants en bas-âge, n’est pas oubliée la prétendue prédisposition génétique à la pédophilie et au suicide, n’est pas oublié l’hallucinant discours de Dakar (l’homme africain n’est pas entré dans l’Histoire), n’est pas oubliée la grand-guignolesque communication du Ministère Hortefeux sur les chiffres « à faire » en matière d’expulsion, ne sont pas oubliées les déclarations du candidat Sarkozy innocentant la France de la solution finale, n’est pas oubliée l’absence d’inauguration officielle de la Cité Nationale de l’Histoire de l’Immigration… Oh ! je sais, il s’agit de bousculer les tabous, d’en finir avec la pensée unique, et se placer du côté du peuple, pas de parler de principes de philosophes, ceux qui feraient réfléchir avant de fournir une centrale nucléaire à un dictateur dont les hobbies semblent être le terrorisme et la torture.
A ce stade de la lecture, le sarkozyste aura reconnu l’intellectuel (de bas étage) et ses questions de principe, il pourra donc fuir la suite, car lui parle « bon sens », « pragmatisme » et « sondages » tels ceux réalisés par OpinionWay montrant que 56 % des Français sont favorables à cet amendement. Arrêtons-nous un instant sur ce sondage. La question posée était : « êtes-vous favorable ou opposé au fait de faire passer un test génétique pour s'assurer de la filiation des enfants et lutter contre la fraude dans le cadre du regroupement familial. » Et pourquoi pas : « êtes-vous favorable ou opposé au rétablissement de la peine de mort pour lutter contre le terrible fléau qui menace vos enfants qu’est la pédophilie ? » Bref, un sondage parfaitement biaisé par la question posée, mais seuls quelques chercheurs en sciences sociales seront là pour ne pas être écoutés sur la question. Peu importe, M. Hortefeux en conclu qu’il est du côté du peuple contre les intellectuels. Vous avez dit populisme ?

Je voudrais désormais en venir au cœur de mon sujet : ce que dit ce débat sur la France, et surtout ce qu’il dit sur la gauche. La France d’abord, comme chacun sait, pays des Droits de l’Homme, porteur à lui seul de la pensée universel, terre d’accueil s’il en est. Je ne peux m’interdire une pointe d’ironie, pourtant tout cela comporte une incontestable part de vérité. Cependant, la même pensée républicaine universaliste est aussi à l’origine de la colonisation (puisque nous sommes porteurs de l’universalisme, il faut l’apprendre aux sauvages). Cependant, comme le rappelle Alain Touraine, la France terre d’accueil a aussi envoyé Hannah Arendt et Walter Benjamin, entre autres, en camps de concentration alors qu’ils fuyaient le nazisme. Sans m’étendre davantage, je veux simplement rappeler que notre histoire est profondément ambivalente (plus encore même que ma présentation ne le suggère, puisque ce sont par exemple aussi des idées européennes qui sont à l’origine des mouvements de décolonisation) et qu’il s’agit d’en faire la critique raisonnable qui permettrait de ne pas se retrouver en position de grand écart entre notre statut autoproclamé de « Pays des Droits de l’Homme » et une perception de plus en plus négative des autres pays du monde, de quelque région qu’ils soient.

Venons-en à la gauche. Je suis face à elle un peu comme le jeune Werther de Goethe est face à la vie : ce ne sont pas ses violents et spectaculaires soubresauts (rejet TCE, CPE, retraites…) qui me font souffrir, mais bien davantage son quotidien de désolation, d’atonie, « cette force dévorante qui est cachée dans toute la nature, qui ne produit rien qui ne détruise ce qui l’environne et ne se détruise soi-même. » Le besoin d’air, de rénovation et de mouvement est plus criant que jamais. Or, voilà qu’un combat typiquement de gauche s’offre à nous : n’est-ce pas là l’occasion de reprendre du poil de la bête, de s’affirmer, de se repenser, de se penser tout court en tant que gauche européenne du XXIè siècle ? Je le pense, et voit 3 chantiers susceptibles d’être ouverts à la suite de la mobilisation contre l’amendement ADN :
1/ Eviter les Charybde et Scylla que sont l’universalisme abstrait et le communautarisme
2/ Proclamer une politique d’immigration de gauche
3/ Repenser (enfin) l’idée de progrès

C’est d’abord le problème de la laïcité. La République laïque « assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. » Cet universalisme abstrait est directement hérité des Lumières. Le problème, c’est que dans la réalité, les distinctions sont monnaie courante. La France est par exemple le pays détenteur du record de temps écoulé entre le suffrage dit universel et le droit de vote accordé aux femmes. Est-il besoin de mentionner les multiples discriminations que subissent les personnes de couleur ou dont le nom ne sonne pas comme il faudrait ? En bref, la belle volonté de ne pas discriminer conduit la République a être aveuglée et/ou désarmée face aux discriminations. L’International Crisis Group a ainsi été conduit à conclure au moment des émeutes de banlieue que la République était communautariste quand les émeutiers étaient individualistes : le problème est l’inverse de ce que l’on prétend. Car ce qui est perçu, c’est la menace communautariste, contre laquelle se fige une laïcité néorépublicaine dans une lecture nationaliste, obscurantiste et intégriste de l’histoire de la laïcité française (la France serait le modèle le plus parfait, voire l’unique de la laïcité, alors même qu’il a été historiquement élaboré par inspirations d’expériences étrangères, passées sous silence). Aujourd’hui, les enjeux de la laïcité ne sont plus les mêmes qu’au XXè siècle : l’individu cherche à s’émanciper des institutions qui étaient celles qui menaient l’émancipation laïque (école, médecine). Comment une pensée de gauche pourrait-elle faire l’économie d’une réflexion complexe sur la nécessaire lutte contre les discriminations et la restructuration de liens sociaux ? Comment rester sourd à la proposition de l’ECRI (une commission du Conseil de l’Europe) invitant à bannir le profilage racial ET à collecter des données ethniques dans le but de lutter contre les discriminations ? Il faut en tout cas trouver des solutions instaurant des gardes-fous puissants contre les dérives fascisantes et racistes tout en permettant de penser la diversité sociale. Ce n’est pas le lieu d’aller plus loin, je me contenterai de renvoyer à : Baubérot, L’intégrisme républicain contre la laïcité ; Macé, Les imaginaires médiatiques ; Weil, La République et sa diversité ; par exemple.

C’est ensuite la question de l’immigration. Les sociétés européennes sont confrontées à un problème démographique fort clair : le vieillissement de la population. Face à cela, deux solutions. La droite caresse le rêve que la natalité remonte, et veut se protéger de l’immigration. La gauche doit prendre acte de ce mouvement sociétal et revendiquer clairement que l’Europe a un besoin vital d’immigration, faute de quoi nos sociétés sont destinées à être de plus en plus exsangues, sclérosées, égoïstes, tendues et distendues. Oui, il faut le dire et le répéter, ce n’est pas de faire du chiffre d’expulsions que l’on a besoin, mais au contraire de faire venir du monde, d’être assez attractifs pour cela (et d’éviter par la même occasion que les plus hauts diplômés quittent le navire). Il s’agit donc de donner une toute autre image de l’accueil des étrangers, plutôt que d’estimer perpétuellement qu’ils sont la source de tous les maux. Il s’agit aussi de résoudre le problème de l’intégration dans une société (une dissociété) qui tend vers la désintégration. Voilà le défi majeur : parce qu’elle renonce à prendre cette question en charge, la gauche est démunie pour défendre une politique d’immigration, elle passera inévitablement pour laxiste, utopique, généreuse mais dupe bienfaitrice alors que, vous savez, on ne peut pas accueillir toute la misère du monde. Là encore, laissons les vieux schémas de l’époque industrielle, des 30 Glorieuses, et adoptons une grille de lecture plus moderne. Des pistes : Héran, Le temps des immigrés ; Touraine, Penser autrement ; Cohen, Trois leçons sur la société post-industrielle.

C’est enfin repenser l’idée de progrès. Peut-être la question la plus fondamentale et la plus difficile pour la gauche. Longtemps, elle a été porteuse du Progrès, et puis le XXè siècle nous a appris que le progrès n’était pas automatique, que le temps des certitudes était dépassé, que la plus grande barbarie pouvait naître des idées progressistes. Il y a, de fait, une peur du progrès, et le sens de l’histoire se fait largement moins certain. Peur du réchauffement climatique, des OGM, du nucléaire, etc. Du coup, c’est la droite qui tente de récupérer ce thème. N’est-ce significatif ? La génétique arrive dans le débat par la droite, et la gauche s’y oppose farouchement. Il faut éviter de tomber dans le piège. C’est le progrès, la science, la génétique des populations qui a permis de mettre définitivement à la poubelle les théories raciales : ne faisons pas de la génétique, de l’ADN, des gros mots parce qu’on voudrait les utiliser à des fins que nous refusons catégoriquement. Il faut réinvestir le terrain du progrès, en accepter et en penser l’ambivalence, faire ce que la droite ne fera pas, investir dans la recherche massivement, faire le pari de l’avenir : n’est-ce pas le point de départ de la constitution d’un projet de société novateur, enthousiasmant et réaliste, digne d’une prudente confiance, qui fait si cruellement défaut à la gauche actuellement ? « Il faut résister. […] L’avenir n’est plus la fulgurante marche en avant, ou, plutôt, c’est à la fulgurante marche en avant des menaces d’asservissement et de destruction qu’il faut résister aussi. […] C’est dans Nuit et Brouillard qu’il nous faut jouer » (Edgar Morin, Pour entrer dans le XXIè siècle).

lundi 25 juin 2007

Persepolis - Hymne à la compréhension


Je viens de voir Persepolis, le film de Marjane Satrapi et Vincent Paronnaud en avant-première ce vendredi, puisqu’il ne sort que mercredi 27 juin. Nul doute qu’il rencontrera du succès, la salle était déjà comble et s’est montrée très enthousiaste ; les critiques sont certainement bonnes également – je n’ai pas pour habitude de les lire. J’ai envie de parler de ce film pour deux raisons :
1/ la première, évidente, est de pousser le plus de monde possible à aller voir ce film qui m’a émerveillé et qui mérite d’être vu
2/ la deuxième, moins évidente, est la volonté de tirer les enseignements de cette histoire qui nous est racontée, et qui, si on y réfléchit, peuvent peut-être – à coup sûr ! – susciter débat

Alors allons-y… Ce film est beau, ce film est intelligent, ce film est cultivé, ce film est rock ‘n roll, ce film est touchant, ce film est triste, et parfois dur, mais toujours… drôle. C’en est même parfois un peu curieux, on rigole encore d’une scène et il se passe quelque chose de vraiment pas drôle : le retour à la réalité est alors quelque peu tendu, mais pas de panique ! ça repart, car le but n’est pas de nous accabler, loin s’en faut ! C’est donc peu de dire que le temps passe vite, le film glisse littéralement, sans temps mort, avec un humour léger contrastant avec la lourdeur machiste souvent dénoncée. J’en finis avec les louanges en mentionnant la subtilité, la nuance dans le propos dont il est fait preuve. Voilà, si avec ça vous n’êtes pas tentés, je ne peux plus rien…

Mais venons-en à ce qui m’intéresse le plus : le « message » du film. Je n’aime pas le terme « message » parce qu’il comporte un côté quasiment obligatoire, définitif, universel… disons les « interprétations ». D’abord, ce qui est frappant, c’est l’absence d’exotisme, et c’est revendiqué (j’ai entendu Marjane Satrapi l’expliquer dans Ce soir ou jamais sur F3 ce mercredi) : le dessin (et non des acteurs en chair et en os), le noir et blanc, le décor… tout est fait pour que le spectateur prenne conscience qu’il n’y a là rien d’ethnique, mais que la problématique est plutôt anthropologique. Cela se passe en Iran comme cela pourrait se passer ailleurs, et c’est déjà important dans la déconstruction du référentiel commun (vous savez, celui qui alimente la thèse du « choc des civilisations »). Deuxième flèche contre les idées reçues occidentales : les Iraniens (et les Iraniennes !) ne sont absolument pas montrés abattus, laminés, déshumanisés, mais bien au contraire humains, festifs, joueurs, amoureux, combatifs … bref ils et elles ont soif de vivre, soif de liberté, soif d’émancipation et de culture. C’est là une idée forte du film. Bien sûr le peuple n’est pas libre, les femmes n’ont pas les mêmes droits que les hommes, etc. Ces problèmes sont loin d’être éludés, mais l’essentiel est que malgré cette situation dramatique, le peuple se bouge et vit. Lapalissade me direz-vous ? Je ne le pense malheureusement pas. Encore une fois, elle a défendu – avec brio – cette idée sur le plateau de Ce soir ou jamais, en expliquant que les femmes iraniennes, dominées politiquement, juridiquement, se rattrapaient en quelque sorte en faisant des études, puisqu’il semble qu’une large majorité des étudiants en Iran sont en réalité des … étudiantes. On peut épiloguer pendant des heures sur le régime politique iranien… je pense qu’en tant qu’occidentaux, nous nous devons d’espérer envers ce mouvement de fond qui traverse la société iranienne, ce mouvement contre lequel aucun régime ne peut strictement rien faire, c’est celui de l’émancipation des femmes, par l’éducation, la culture, le travail. C’est d’ailleurs, je crois car je ne l’ai pas lu, le thème principal du livre de Thierry Coville, spécialiste de ce pays (Iran, la révolution invisible).



Et puis, je ne voudrais pas finir cet article sans mentionner les impensés que les occidentaux peuvent avoir sur eux-mêmes et qui sautent aux yeux au regard de Marjane dans le film. Revenue en Iran, elle explique qu’en Europe, on peut mourir dans la rue sans que personne n’en ait rien à faire, laissant là assez amer sur la solidarité et la fraternité en nos contrées. Que dire de ce cassage en règle du nihilisme bien européen et bien postmoderne lorsque Marjane explique que ce n’est pas pour s’amuser que sa famille se bat, se fait emprisonner, se fait exécuter parfois ? Que dire enfin de cette distance – si appréciable – que nous pouvons cultiver avec la guerre, l’horreur, la mort et décider que oui ou non, il faut mener telle ou telle guerre, sans jamais avoir à l’esprit – et c’est normal – la situation humaine sur place. Voilà, aucune leçon n’est dispensée (si ! Marjane en reçoit une belle de sa grand-mère), il n’y a pas de camps de gentils ou de méchants, ce film est simplement un appel à la compréhension, à l’empathie, à la destruction des idées reçues, et à la lutte pour la liberté, les libertés individuelles. Merci et bravo Marjane et Vincent !

mercredi 9 mai 2007

Hé camarades...

Sarkozy Président. Il ne faut rien de plus que ces deux mots ce matin pour déprimer. Oh ! cela ne va pas bouleverser notre quotidien, non, mais se dire que l’on refaaaaait le match (©) joué ces cinq dernières années, en plus triste encore, ce n’est pas ce qu’il y a de plus réjouissant (comme dirait La Palisse). Pire encore, pour quelqu’un de gauche, est le constat que la droite « décomplexée » – dit-on, mais la droite tout court, finalement – est passée avec Sarkozy, c’est-à-dire la droite réactionnaire, l’ennemi héréditaire. Le coup est dur mais ce n’est pas le moment de se laisser abattre. Si les jeux sont faits, au son des mascarades, on pourra toujours se marrer…




Pourquoi cette défaite ? Déjà parce que l’adversaire était très bon, il nous faut le reconnaître :



Une rhétorique et une propagande que n’auraient pas renié Bonaparte.
Il a su réaliser en France ce qui s’est produit un peu partout pour les droites occidentales, qui se modernisent – si j’ose dire – en assumant pleinement leur conservatisme voire leur pulsion réactionnaire.
Alors le mur de cristal qui jusque là séparait la droite républicaine de l’extrême droite peut être abattu (vers un scénario à l’italienne : Berlusconi avec le post-fasciste Fini ?)

Nul besoin d’aller chercher d’autres points forts chez Sarkozy, ses défenseurs le feront bien assez et ce n’est pas mon propos. Ce que je souhaite mettre en évidence, c’est le rôle de la gauche dans cette débâcle. 2002 fut difficile à avaler, mais le possible redressement se faisait sentir… jusqu’à ce référendum du 29 mai 2005. Je ne veux pas revenir sur ce référendum pour lui-même, mais pour ce qu’il m’a fait ressentir : la gauche était coupée en deux, c’était une évidence, mais cette fracture était révélatrice de l’archaïsme de la gauche française, archaïsme qui était déjà criant, j’imagine, pour qui avait pris la peine d’observer les autres gauches européennes. Pendant toute la campagne, je ne comprenais pas mes contradicteurs de gauche qui allaient voter contre l’Europe – selon moi – concédons un « contre cette Europe-là » – selon eux. Mais cette Europe-là est celle bâtie depuis le début ! Ce qui signifie qu’il faut inscrire le refus dans le temps : la gauche du « non » ne voulait plus de l’Europe, désormais. Et c’est vrai, les temps avaient changé : nous sommes passés d’un monde industriel, d’une économie multinationale, à un monde post-industriel, une économie globale. Le monde changeant, les solutions pertinentes devaient à l’évidence changer, et c’est alors l’émergence de la social-démocratie, de la troisième voie, du modèle scandinave, du blairisme… Les pays européens se sont appropriés cette modernisation, mais pas la France. C’est ce qu’a mis en lumière ce référendum.






Prendre le train avec un peu de retard n’aurait pas été dramatique. Hélas ! le train n’a pas été pris. Le parti socialiste s’est démené pour produire son improbable synthèse du congrès du Mans. L’unité était retrouvée, les clivages dépassés, les meubles sauvés. La candidature Royal relève du même état d’esprit : faire bloc tout en laissant en retrait les « éléphants », apporter la rénovation et la liberté de ton pour rassembler de part et d’autre. Peut-être les dirigeants et les militants ont-ils vraiment pensé que cette stratégie pouvait fonctionner et que la gauche reviendrait au pouvoir. Et de fait, ce n’est pas passé si loin, le cataclysme de 2002 ayant en tout cas été évité. Mais non ! Ce dont la gauche avait besoin, c’était d’une profonde autocritique, d’une refondation complète, pas de réparer le Titanic avec du sparadrap.




Faute de cela, la gauche française n’a pas compris qu’elle se perdait, qu’elle ressemblait de plus en plus à la droite, qu’elle devenait conservatrice. Elle s’est trahie elle-même, en se laissant glisser sur la pente naturelle, de manière imperceptible, mais pourtant bien réelle. Ici je veux préciser comment je vois la gauche de façon à ce que l’on saisisse en quoi j’estime qu’elle s’est trahie. Si l’on suit la bipolarisation de la pensée humaine selon des anthropologues comme Roger Caillois ou Mircea Eliade, on obtient la dichotomie suivante :

- D’un côté le sacré, le pur, la vie, l’ordre, le Prince, l’essence, le yang, la droite
- De l’autre le profane, l’impur, la mort, le désordre, la multitude, l’existence, le yin, la gauche


Le hasard fait bien les choses (est-ce un hasard ?). Historicisons la séparation. Au sortir de la Révolution Française, Kant faisait remarquer que l’on entrait dans un temps linéaire (en opposition au temps cyclique), qui se dirigerait donc désormais dans une direction donnée, avec les possibilités de libertés que cela suggère. Il est alors facile de séparer des courants politiques :

- Les révolutionnaires qui veulent accélérer le déroulement du temps vers le Progrès
- Les progressistes (libéraux) qui veulent définir l’avenir dans la continuité
- Les conservateurs qui veulent freiner prudemment l’avancée
- Les réactionnaires qui veulent revenir en arrière


Les deux premiers groupes constituants la gauche, les deux derniers la droite. D’autres définitions sont possibles, très certainement, mais c’est celle-là que je trouve pertinente, et qui m’intéresse, parce qu’elle indique le rôle que doit tenir selon moi la gauche : regarder vers l’avenir, porter un projet progressiste et libéral, un projet de résistance à la pente naturelle du conservatisme, un projet de libertés individuelles, un projet de désordre social (éducation, culture, mobilités).



Au lieu de cela, la gauche s’est figée, au sortir des 30 Glorieuses, sur ses vieux dogmes (Etat-Providence) et ses vieux rêves égalitaires dont l’absurdité saute pourtant aux yeux. Des inégalités, il y en aura toujours, mais si la gauche parvient à créer les conditions de possibilités d’ascension et de mixité sociales, alors elle aura gagné. Sa mission est donc de rendre la société dynamique, puisqu’une société dynamique est une société qui s’ouvre, une société qui regarde vers l’avenir, qui permet les ascensions sociales, les parcours individuels originaux, qui tolère les différences, qui conquiert de nouveaux droits humains, en particulier pour ses minorités maltraitées. Certes, de cette ouverture, les plus riches et les plus puissants profitent le plus, au moins ne sont-ils pas les seuls ! au moins les pesanteurs et conditions d’immobilismes s’abattant sur les plus pauvres se perforent – partiellement seulement bien entendu. Au contraire, dans une société sclérosée, les plus riches et les plus puissants trouvent les moyens de se protéger et de limiter les dégâts, alors que les masses plus démunies, elles, voient les quelques portes entr’ouvertes se refermer, et c’est le retour des rancoeurs, des suspicions envers l’Autre, du racisme, des reniements des droits humains (et à commencer, bien entendu, par ceux des femmes, des minorités ethniques), des fatalités sociales, des exclusions durables.



Quel bilan en tirer ? Eh bien que la clé est donc dans le dynamisme socio-économique, et que celui-ci dépend de la capacité d’une société à s’ouvrir aux autres, à échanger, à commercer. L’objectif est de transformer une société-sablier en société-ballon de rugby : élargir autant que possible le goulot d’étranglement. Et justement, ce dont nous disposons dans le monde actuel nous le permettrait plus que jamais : l’Europe, la mondialisation dite libérale, le monde post-industriel : voilà ce qui devrait nous pousser à l’ouverture, au libre-échange. C’est notre présent, c’est notre quotidien. Le refuser, vouloir revenir aux 30 Glorieuses, aux solutions de l’époque… c’est céder à la pente du conservatisme. C’est ce que fait la gauche française.




Alors aujourd’hui que la gauche a perdu, l’heure ne doit surtout pas être à l’opposition à Sarkozy. Elle doit être à la résistance. Pourquoi ce vocabulaire ? Parce que nous ne devons pas nous opposer symétriquement à Sarkozy, ce serait accepter le diagnostic que la droite a repris à l’extrême droite en l’euphémisant. Ce n’est pas le rôle de la gauche que de parler de protectionnisme européen, de patriotisme économique contre les délocalisations, de ne parler de co-développement que dans la rubrique « lutte contre l’immigration » des programmes, de sacraliser la laïcité, etc. S’opposer à Sarkozy sur son terrain, c’est le renforcer d’une part, et c’est d’autre part ne pas voir à quel point nous sommes loin de nos valeurs. C’est donc le moment de changer de stratégie, de résister au conservatisme, de proposer un vrai projet de gauche. Il faut accepter le monde tel qu’il est et regarder vers l’avenir, accepter le monde post-industriel et la globalisation (dont nous profitons largement, soit dit en passant), ce sont les instruments de l’ouverture et de la remise en question, donc de l’avancée vers l’avenir.




C’est pourquoi aujourd’hui, il faut abandonner la France. Nous ne sommes plus Français, nous ne nous reconnaissons pas dans l’Identité Nationale que l’on nous servira, nous sommes des Humani-Terriens, nous sommes humanistes, mondialistes, écologistes. Nous avons besoin du Monde et nous voulons parler du Monde. Le cosmopolitisme, les métissages, les cultures, les échanges, les voyages : voilà ce que nous voulons porter. Notre rôle de Marianne rebelles est de montrer que oui, nous sommes plus jolis métissés. Durant ces 5 années, notre but sera de montrer que nous n’avons pas peur des Africains, des Musulmans, mais que nous voulons nous enrichir humainement, culturellement, à leur contact ; que nous na craignons pas la mondialisation, mais que nous voulons une ouverture réciproque permettant aux uns de se développer et donc de gagner en libertés, en droits humains, et aux autres d’innover pour continuer à avancer. Pour ces derniers, nous voulons trouver chez les Allemands, les Suédois, les Anglais, les Italiens de Romano Prodi, les Espagnols de José Luis Zapatero leurs solutions les meilleures pour adapter notre société. Pour les premiers, nous voulons que cesse le scandale de la mondialisation d’aujourd’hui : « libéralisme au sud, protectionnisme au nord » ou comment les plus riches, pour sauver leurs agricultures, maintiennent la tête sous l’eau les plus pauvres. Nous voulons une nouvelle impulsion de gouvernance globale, seule solution pour traiter les enjeux environnementaux et pour gérer les conflits qui rongent les rapports entre « civilisations ». En clair, nous voulons rendre évident ce besoin de Monde, ce besoin d’Europe, ce besoin de dépassement (sans dissolution) de la Nation ; il nous faut imaginer une mythologie-monde comparable à la mythologie nationale propagée avec le succès que l’on sait au XIXè siècle. Il nous faut rendre visible la culture-monde, les identités multiples et complexes, la littérature de voyage, le cinéma de voyage, la musique de voyage ; il nous faut promouvoir tout ce qui sert le dialogue interculturel, les échanges et les libertés gagnées par cette voie. Voilà comment nous entendons contrer la perception anxiogène du Monde qui est celle que notre société adopte aujourd’hui. Voilà comment la gauche pourra se retrouver, et donc rêver à nouveau, projeter à nouveau, innover à nouveau, gagner à nouveau. J’espère ne pas avoir usé du « nous » abusivement dans ce paragraphe.




Pour conclure, j’estime qu’il ne faut pas attendre cette rénovation des hommes politiques. Certes des possibilités de mouvements apparaissent : les antilibéraux ont la tentation de se regrouper, et la gauche réformiste a la tentation de regarder vers le centre qui lorgne lui-même vers le centre-gauche depuis son émancipation vis-à-vis de la droite menée par François Bayrou. A l’heure qu’il est, rien ne laisse présager du résultat de ces agitations. Peu importe ! A nous de mener la résistance, à nous de manifester notre humani-terrianisme, à nous de porter nos valeurs, de les apporter sur la place publique et d’en faire l’objet du débat, à nous de faire en sorte qu’on ne parle pas en 2012 d’identité nationale menacée, de déterminisme génétique, de protectionnisme, et d’autant de sujets dont la simple évocation signifie la défaite de la gauche. Nous avons 5 ans pour être constructifs. 5 ans pour réunir les conditions de possibilité de naissance d’une anthropolitique (appelée de ses vœux par Edgar Morin depuis 1965 !), c’est-à-dire faire revenir l’humain et pour cela l’ouverture au Monde, selon la magnifique phrase de Jean-Pierre Vernant que je ne me lasse pas de citer : « Pour être soi, il faut se projeter vers ce qui est étranger, se prolonger dans et par lui. Demeurer enclos dans son identité, c'est se perdre et cesser d'être. On se connaît, on se construit par le contact, l'échange, le commerce avec l'autre. Entre les rives du même et de l'autre, l'homme est un pont. » Reconstruisons le pont…

jeudi 12 avril 2007

Vers une culture-monde ?




Mercredi 04 avril, Lyon, salle du Ninkasi : en route pour la joie du concert d'Interzone [1], le duo composé de Serge Teyssot-Gay et de Khaled Aljaramani. Pour un adorateur de Noir Désir, voir jouer son guitariste est un événement en soi, mais la musique proposée avec son acolyte syrien en est un autre. Et pourtant, il aura fallu l'annulation d'Arcade Fire quelques jours plus tôt pour que je remarque cette tournée d'Interzone - un mal pour un bien.



Ainsi m'y voilà. La première partie est assurée par un groupe de la région lyonnaise dont je n'avais jamais entendu parler : Antiquarks [2]. Quelle surprise ! Un batteur-chanteur (Richard Monségu) et un joueur de vielle à roue (Sébastien Tron), c'est déjà surprenant, mais leur prétention à jouer ce qu'ils appellent de la "musique interterrestre" l'est encore plus. Et avec quelle réussite ! Ils nous font en effet voyager pelle-mêle avec les peuples nomades asiatiques qui font peur malgré leurs intentions nobles car ils étrange(r)s, un pirate humaniste qui aurait rencontré Montaigne et Bartolomé de las Casas, dans le désert avec les Touaregs, dans l'Espagne obsédée par la limpieza de sangre, etc. Tout cela servi par une musique originale, inventive, variée, qui nous transporte à travers la Terre. Impressionnant. Alors quand arrive Interzone, nous sommes prêts à poursuivre le voyage. Et nous n'en serons pas déçus ! Loins de tomber dans un consensus mou, une neutralisation respective de leurs techniques et de leurs instruments, les deux compères, grâce à une complicité éblouissante, parviennent à tirer le meilleur - ou plutôt peut-être l'inédit, mais cela revient au même - de leur jeu, ils paraissent se lancer des défis, l'un répondant à l'autre et vice versa. Leur plaisir de jouer est éclatant et la salle l'incorpore en plaisir d'y assister - comme quoi il n'est pas forcément nécessaire de parler pour communiquer. Ce concert aura donc été un moment d'une rare intensité, mêlant si parfaitement virtuosité et originalité, différences et échange... quel rafraichissement dans un paysage musical - et ceci n'engage que moi - bien morne tant le rock semble tourner en rond.


J'en arrive donc au vif du sujet. Une fois passée l'émotion de ce concert, les idées ont fusé : cette musique en "libre-échange", ou "interterrestre", en tout cas qui voyage partout autour du monde, tente de faire connaître, ou comprendre, les autres peuples, qui appelle au dialogue comme meilleur moyen de se dépasser soi-même... cette musique est hypermoderne - ou postmoderne ou ultramoderne voire de modernité tardive car le qualificatif change selon les auteurs - et constitue à mes yeux la réponse aux angoisses du temps présent. L'historien Jean-Pierre Vernant disait : "Pour être soi, il faut se projeter vers ce qui est étranger, se prolonger dans et par lui. Demeurer enclos dans son identité, c'est se perdre et cesser d'être. On se connaît, on se construit par le contact, l'échange, le commerce avec l'autre. Entre les rives du même et de l'autre, l'homme est un pont." [3] C'est ce qu'accomplit cette musique, et ce à un moment où la mondialisation est jugée angoissante par tous les bords car elle écraserait les cultures et/ou les identités. Alors que la mythologie nationale est en crise, une mythologie-monde est-elle sur le point d'émerger ?


Depuis longtemps, pourtant, le temps du monde semble être arrivé. Fernand Braudel est peut-être celui qui en a le plus brillament parlé [4]. C'est sous le signe du capitalisme que le monde s'unifie entre XVè et XVIIIè siècle, et c'est le progrès de l'économie d'échange en soubassement qui permet le capitalisme. Braudel utilise donc cette expression d'économie-monde. Aujourd'hui que l'économie est globalisée, il faut se demander si l'économie du monde devient une économie-monde : forme-t-elle un tout économique ? Des travaux d'économie et de géographie semblent y répondre par l'affirmative, parfois un peu vite peut-être [5]. Toujours est-il que cette mondialisation dite libérale paraît pour le moins destructrice, et si je ne partage pas ce diagnostic négatif, il me semble que la réalité d'un système économique mondial ne se dément pas, même si les interdépendances ne sont parfois qu'à l'état de bribes, en tout cas discontinues, laissant place - plus que nécessaire - aux protectionnismes, aux frontières, etc.


Admettons l'économie globale. Il y a également ce qu'on pourrait appeler une philosophie-monde. Elle n'émerge certes pas durant ces dernières années. Que Montaigne défende l'humanité des cannibales, que Montesquieu écrive du point de vue persan, il faut y voir la méthode comparative, l'auto-critique qui ne saurait se développer sans voyage, sans traversée des frontières vers l'autre, sans volonté - et possibilité - d'échange. Et Nietzsche : "on feint de ne pas voir - à moins qu'on en donne une interprétation arbitraire et mensongère - les signes qui avancent avec le plus d'évidence que l'Europe veut s'unifier." [6] Ce qui valait pour l'Europe vaut aujourd'hui pour le Monde. Du moins peut-on en percevoir les éclairs, les instantanés, comme le fait Edgar Morin dans Terre-Patrie par exemple. Il y a communauté de destin terrestre, mais de cela nous ne prenons conscience réellement qu'en cas de catastrophe : qu'un tsunami ravage l'Asie du sud-est et se fait jour un élan mondial de solidarité, qu'Al Quaeda détruise le World Trade Center, et c'est l'effroi un peu partout, etc. Le fait est que les grands enjeux sont mondiaux, interdépendants :

- l'écologie

- les droits de l'être humain

- la laïcisation / sécularisation

- le développement économique

- les inégalités sociales et spatiales...


Il y a donc besoin de Monde. Mais le Monde paraît aliénant, déstructurant, destructeur. Cette vue me semble réductrice, et je reprendrais à mon compte la pensée de Nick Couldry selon lequel la globalisation homogénéise certes la façon d'exprimer ses différences, mais ne les abolit pas [7]. Mais alors, pour éviter les échecs d'un internationalisme abstrait, il convient de faire appel à ce que j'ai appelé une mythologie-monde. Le succès du nationalisme a surtout résidé en ceci qu'il a su créer une mythologie nationale (nos ancêtres les Gaulois, Jeanne d'Arc, culte des grands hommes, fête nationale, surtout monuments aux morts) [8]. Or la pensée mythologique, loin d'être la manifestation d'une civilisation arriérée, est tout aussi utile que la pensée rationelle [9]. Aujourd'hui, nier les localismes, les nationalismes pour ne penser qu'à la communauté de destin ne mènerait à rien. Les cultures du monde sont d'une préciosité infinie, et c'est d'elles que pourrait naître une culture-monde qui ne les abolirait pas, mais au contraire s'en nourrirait. Une culture-monde pourrait déterminer un référentiel commun, une unité dans la diversité, faire valoir le Monde, la communauté de destin de l'humanité sous son beau jour, faire naître une mythologie-monde capable de répondre aux angoisses suscitées par la mondialisation qui serait alors vue sous un jour nouveau.


Et les signes ne trompent pas. Ainsi ai-je débuté cet article par la "musique interterrestre", ou musique-monde. Aussi pourrais-je citer le cinéma-monde, dont l'exemple le plus brillant me venant à l'esprit est celui d'Alejandro Gonzales Inarritu, et notamment son dernier film, Babel, montrant les interdépendances de destin autour du globe. Et puis, comment ne pas parler de cet appel de 44 écrivains en faveur d'une "littérature-monde en français" ? [10]

Le monde revient estiment-ils. Et c'est la meilleure des nouvelles. Il s'agit,
d'après eux, de rattraper le retard de la littérature française sur les Salman
Rushdie, Kazuuo Ishiguro, Ben Okri, Hanif Kureishi ou Michael Ondaatje... Une
littérature de voyage, d'échange, d'identités multiples coexistantes et qui, au
lieu de s'annuler, s'enrichissent mutuellement. Ils ne soucient pas d'un quelconque "impérialisme culturel" [...] c'est à la formation d'une constellation que nous assistons, où la langue libérée de son pacte exclusif avec la nation, libre désormais de tout pouvoir autre que ceux de la poésie et de l'imaginaire, n'aura pour pour frontières que celles de l'esprit

Michel Le Bris et Jean Rouaud dirigeront en mai un ouvrage intitutlé Pour une littérature-monde chez Gallimard.


N'est-ce pas là une réponse au désarroi de la gauche dépossédée de ses utopies et qui ne peut se définir que comme anti-libérale, contre un système, et non pas pour un autre monde défini. Faute de cette culture-monde, cette gauche n'a d'autre choix que de résister à ce qu'elle juge néfaste, en courant alors le risque de ressembler à la droite. La campagne électorale à laquelle nous assistons est davantage un concours à celui ou celle qui ressemblera le plus à Astérix résistant à l'envahisseur qu'à un débat dont le centre serait les valeurs humanistes. Car enfin ! qui à gauche pourrait désapprouver Spinoza quand il explique que pour se préserver, nous devons nécesserairement préserver les autres, et donc que la base du comportement éthique est l'altruisme [11], et par voie de conséquence l'échange, le mondialisme ? Certes le processus produit autant de dégâts que de progrès, mais comme le dit le poète Hölderlin,

Là où croît le péril, croît aussi ce qui sauve

Si au XVIIè siècle, on avait peur de la fuite des métaux vers l'Orient, nous avons peur aujourd'hui de la fuite des entreprises. Braudel expliquait que cela revenait à se plaindre de perdre ses boulets après avoir bombardé une ville... Pour contrer cette peur de l'inconnu, il nous manque les Balzac et Baudelaire contemporains [12], il nous manque une nouvelle mythologie, il nous manque une culture-monde. Ce bien modeste article espère la rendre un peu plus visible ...


[1] Myspace de Serge Teyssot-Gay
[2] Site d'Antiquarks
[3] C'est ainsi qu'il conclu La traversée des frontières
[4] cf. Civilisation matérielle, économie et capitalisme, XVè-XVIIIè siècle paru en 1979 ou la présentation qu'il en fait dans La dynamique du capitalisme.
[5] cf. par exemple P. Veltz, Mondialisation, villes et territoires ; C.-A. Michalet, Qu'est-ce que la mondialisation? ; D. Cohen, Richesse du monde, pauvreté des nations
[6] Aphorisme 256 de Par delà le bien et le mal
[7] cité par Eric Macé in Les imaginaires médiatiques
[8] cf. l'ouvrage dirigé par Pierre Nora : Les lieux de mémoire
[9] Edgar Morin, Le paradigme perdu : la nature humaine
[10] publié dans Le Monde le 16 mars 2007
[11] Spinoza, L'éthique. cf. également le livre du neurobiologiste Antonio Damasio : Spinoza avait raison
[12] Roger Caillois, Le mythe et l'homme