dimanche 23 octobre 2011

Et le vingt-neuvième livre est...

Ivan Levaï a paraît-il écrit un superbe livre pour défendre DSK et Anne Sinclair. Superbe du point de vue peut-être de DSK et Anne Sinclair. Du notre, on aurait plutôt envie de réagir à la NDA : "Ras-le-bol !" Mais vraiment. Halte-là.

Mais voilà que Nabe se lance dans la bataille. Le titre laisse supposer, à lire entre la ligne, qu'il soutient l'ami DSK légèrement plus modérément. La modération est certes le style bien connu de Nabe. L'enculé. Un titre pareil, un thème pareil (ras-le-bol) et le parti-pris de faire parler DSK à la première personne, le compte donne trois sources de stupéfaction, mais aussi de scepticisme, et encore de méfiance. Et comment Nabe va-t-il se tirer de là ? C'est donc circonspect que je m'attaque à ce court roman. Et celui qui a claqué : "on entre dans un auteur comme dans une cathédrale", a doté l'antichambre d'escaliers, avec des marches de plus en plus hautes : il faut du temps pour écarter les inquiétudes. 

Il nous laisse le temps, oui, de nous y faire, on est encore dans le 28e, non-écrit, et on se demande comment celui-ci pourrait-il être écrit par DSK ? On comprend vite ce que le narrateur a de nabien (d'ailleurs : Nabe, L'enculé, lit-on bien entendu sur la couverture). C'est pourquoi ce livre a dû être beaucoup plus facile à écrire que L'homme qui arrêta d'écrire. Par ailleurs, le héros du livre, s'il passe à la moulinette, gagne au passage une bonne dose d'empathie, de sympathie même, de la part de l'auteur. C'est que la moulinette à laquelle il passe, c'est la sienne propre, son dossier est suffisamment lourd pour qu'il n'y ait pas à en rajouter. La cour est pleine. "Directeur du FMI" suffit à convaincre de revêtir une combinaison anti-radiations avant de l'approcher. De plus, Nabe adopte la version Diallo comme vraie, et ces faits avérés condamneraient et ô combien ! leur auteur. 

Mais pire que DSK : son entourage. C'est ce qu'entend démontrer la littérature de Nabe, qui fait de "l'enculé" un gros bonhomme, mais de sa femme, ses avocats, ses amis, ses collègues politiciens, un terrible et furieux gang de requins complètement marteaux capables de faits et gestes écœurants "à faire vomir les volcans" (Bloy) sous-marins, ce qui s'est d'ailleurs produit. 

Baby come back par LLP
En fait, on s'en fout de DSK, mais c'est l'oligarchie mondialiste qui est littéralement, littérairement insupportable. C'est elle qui est à condamner. Pas l'un de ses membres. C'est le crime, pas le criminel. Qu'en pense Ivan Levaï ? Quel était le livre à écrire sur cette affaire ? Qui pouvait l'écrire ? Nous qui combattons le crime en venons à comprendre le criminel ; eux qui défendent le criminel en viennent à oublier le crime.

Je termine par quelques mots sur le style nabien, de retour donc... qui donne manifestement envie de vomir à quelques-uns, et qui provoque les éclats de jubilation et de rire chez d'autres (la tentative de lettre de démission du FMI, le slogan de sa campagne présidentielle, la découverte de Nafissatou Diallo par "le monde entier", etc.) Le roman monte monte et termine en délirante campagne présidentielle, assurément plus drôle que celle que nous vivrons, même si la réalité dépasse parfois la fiction. Précisément...

Un beau livre (magnifiques papier et couverture sans code barre, ce ne sont pas des détails).

lundi 17 octobre 2011

L'anarchisme intellectuel

Ce soir, je repense à Bernard-Lazare. Bernard Lazare en fait, ou même plutôt Lazare Bernard. Mais moi, c'est à Bernard-Lazare que je pense, parce que c'est Péguy son ami qui en a fait un personnage, ainsi orthographié, qui compte dans mon Panthéon. Une six-cent quatorzième accusation de : prétention, arrogance, mépris, ne rayez pas les mentions toutes utiles, n'y est sans doute pas pour rien. Ce que j'écris est violent, trop violent. Vous me direz : si on te le dit autant, ça doit être un peu vrai, et même complètement. Et encore suis-je certainement en-dessous avec mon estimation... Pourtant, je prétends que c'est injustifié. Je le prétends... Ah, je dois être prétentieux finalement. 

Reprenons. Péguy raconte. Il raconte Bernard-Lazare. Et il raconte l'Affaire Dreyfus. Il dit moult choses passionnantes, lisez Notre jeunesse (pp. 183-186 en l'occurrence). Mais il dit aussi, il dit surtout, pour ce qui me concerne ce soir, l'anarchisme intellectuel de Bernard-Lazare. Bernard-Lazare était dreyfusiste. Il s'est consacré à faire éclater l'innocence de Dreyfus. Mais tout autant, il s'est opposé à la dégradation de cette morale, de cette mystique, en politique démagogique de la part des dreyfusistes. Lui cherchait la Vérité. Ce qui lui valut les foudres de tous les partis, les balles de tous les camps. 

Bon. Péguy : 
"Il faut penser que c'était un homme, j'ai dit très précisément un prophète, pour qui tout l'appareil des puissances, la raison d'Etat, les puissances temporelles, les puissances politiques, les autorités de tout ordre, politiques, intellectuelles, mentales même ne pesaient pas une once devant une révolte, devant un mouvement de la conscience propre."

Mais le dire, ce n'est pas suffisant. Il faut le faire comprendre. Alors Péguy image :
"On ne peut même en avoir une aucune idée. Nous autres nous ne pouvons en avoir aucune idée. Quand nous nous révoltons contre une autorité, quand nous marchons contre une autorité, au moins nous les soulevons. Enfin nous en sentons le poids. Au moins en nous. Il faut au moins que nous les soulevions. Nous savons, nous sentons que nous marchons contre elles et que nous les soulevons. Pour lui elles n'existaient pas."

Je continue, tant Péguy est clair : 
"Il ne les méprisait même pas. Il les ignorait et même plus. Il ne les voyait pas, il ne les considérait pas. Il était myope. Elles n'existaient pas pour lui. Elles n'étaient pas de son grade, de son ordre de grandeur, de sa grandeur. Elles lui étaient totalement étrangères. Elles étaient pour lui moins que rien, égales à zéro. Elles étaient comme des dames qui n'étaient point reçues dans son salon."

Il les affrontait sans même se rendre compte qu'il les affrontait. Encore :
"Il avait pour l'autorité, pour le commandement, pour le gouvernement, pour la force, temporelle, pour l’État, pour la raison d’État, pour les messieurs habillés d'autorité, vêtus de raison d’État, une telle haine, une telle aversion, un ressentiment constant tel que cette haine les annulait, qu'ils n'entraient point, qu'ils n'avaient point l'honneur d'entrer dans son entendement."

Voilà. Voilà... Ainsi donc, on lui asséna : "Vous voyez, mon cher ami, la Cour de Cassation a jugé contre vous.", à propos de l'Affaire des congrégations. Comme le raconte Péguy, les dreyfusards devenus combistes faisaient les malins. Mais voici la réaction de l'Anarchiste :
"Il faut avoir vu alors son œil pétillant de malice, mais douce, et de renseignement. Qui n'a pas vu son œil noir n'a rien vu, son œil de myope ; et le pli de sa lèvre. Un peu grasse. - Mon cher ami, répondit-il doucement, vous vous trompez. C'est moi qui ai jugé autrement que la Cour de Cassation. L'idée qu'on pouvait un instant lui comparer, à lui Bernard-Lazare, la Cour de Cassation, toutes chambres éployées, lui paraissait bouffonne. Comme l'autre était tout de même un peu suffoqué. - Mais, mon garçon, lui dit-il très doucement, la Cour de Cassation, c'est des hommes."

Il est des gens en effet qui ont besoin de la Cour de Cassation pour porter des jugements moraux. D'autres, non - ont l'anarchisme de s'en passer :
"Non jamais je n'ai vu une aisance telle, aussi souveraine. Jamais je n'ai vu un spirituel mépriser aussi souverainement, aussi sainement, aussi aisément, aussi également une compagnie temporelle. Jamais je n'ai vu un spirituel annuler ainsi un corps temporel. On sentait très bien que pour lui la Cour de Cassation ça ne lui en imposait pas du tout, que pour lui c'étaient des vieux, des vieux bonshommes, que l'idée de les opposer à lui Bernard-Lazare comme autorité judiciaire était purement baroque, burlesque, que lui Bernard-Lazare était une tout autre autorité judiciaire, et politique, et tout."

Ah, ça pose. Et de conclure : 
"Quand l'autre fut parti : Vous l'avez vu, me dit-il en riant. Il était rigolo avec sa Cour de Cassation."


Je laisse ici Péguy et Bernard-Lazare. Je reprends mon fil. Ce que j'écris est violent, trop violent. Je prétends que cette interprétation, fatale, provient de ce que j'écris naturellement, sans m'en rendre compte, contre ce qui est humain, trop humain. Ce sont là autant d'autorités que je ne reconnais pas, sans même que je veuille ne pas les reconnaître, je ne les reconnais pas au sens que je ne les repère pas, je ne sais pas qu'elles existent, je ne sais pas que je les perturbe. Je cherche, je cherche la Vérité. Avoir raison ou avoir tort ? C'est à la fois la seule chose qui compte, et ce qui n'a strictement aucune importance. Je m'explique. 

Je répète à longueur de journée à des enfants qu'ils ont le droit de se tromper, que ce n'est pas grave d'avoir pensé quelque chose qui s'est avéré, si j'ose dire, faux, que c'est en se trompant qu'on avance, à la condition tout de même d'en avoir conscience et donc de toujours chercher à vérifier ses idées. On se trompe en permanence. Nous ne sommes qu'humains, trop humains. Il n'y a aucune honte à avoir eu une idée fausse. Il suffit d'avoir en tête qu'on peut se tromper, et de rester ouvert à toute contradiction. Donc : si j'ai raison, je n'en tire aucune gloire, aucune prétention ; et si j'ai tort, je n'en souffre pas, je ne me dénigre pas. Ce n'est pas à la charrette des erreurs qu'on juge un homme. De mon point de vue, je peux donc démontrer que quelqu'un a tort, et ce faisant je n'imagine pas, c'est hors de mon entendement, lui porter atteinte. Soit ma démonstration est valide, et il n'a qu'à se ranger à mon avis sans honte aucune, soit elle ne l'est pas il n'a qu'à en démontrer l'invalidité, et c'est moi qui aurai appris quelque chose. J'ai eu tort, aucune importance ; j'ai eu raison, aucune importance.

La seule chose qui compte est alors de chercher à savoir si ce que j'écris est vrai ou faux. Je prends un exemple.

Si on me demandait mon avis sur le mot programme, appliqué à l'être humain (programme politique, programmes de l’Éducation nationale), on penserait à la lecture de ma réponse que j'assimile tout homme politique et tout enseignant à un nazi en puissance. Parce que, effectivement, l'utilisation de ce mot démontre selon moi une extravagante négation de la liberté qu'un individu est en droit d'exiger. Pro-gramme : la lettre avant. Tout est fixé à l'avance. C'est catastrophique. Mes mots seraient assurément ultra-violents. Mais elle n'est pas destinée à d'autres gusses que moi, je suis tout autant ciblé par cette flèche empoisonnée. Je les applique tous les jours, ces programmes. Je ne me situe évidemment pas au-dessus, je suis dedans. Je n'attaque pas untel ou untel, je ne fais pas la leçon à des enfants ou à des ignorants. Je considère que nous nous trompons collectivement. C'est un appel, pas de la prétention. Que des personnes, beaucoup de personnes, des centaines, des milliers de personnes, des personnes intelligentes et compétentes, aient réfléchi, donné d'eux-mêmes, dépensé beaucoup d'énergie, de passion, de temps, tout, pour élaborer des programmes éducatifs, des programmes politiques, ça n'entre pas dans ma considération. Je ne me sens pas meilleur que ces gens-là, j'ai simplement un avis différent. Je ne vois pas où est la prétention là-dedans. Je m'attends, quand j'argumente une prise de position, à ce qu'on contre-argumente, pas à ce qu'on rétorque que je suis prétentieux parce que beaucoup de monde intelligent est contre moi. A-t-on répondu à Galilée qu'il était prétentieux parce qu'il ne pensait pas comme l'Autorité ? Oui. Je ne suis pas Galilée, mais on me fait le même type de réponse.

Opposer une autorité, un nombre, à une argumentation factuelle, c'est incongru, à mes yeux. Je me sens comme le Bernard-Lazare décrit par Péguy. La Cour de Cassation ? C'est burlesque, bouffon ! Je me fous qu'elle valide ou invalide mon argumentation. Je veux savoir si celle-ci est vraie ou fausse. 

Opposer des personnes, blessées, vexées, à une argumentation factuelle, c'est incongru, à mes yeux. C'est du sentimentalisme. La maladie du temps. Il ne faut pas dire la Vérité, il faut être gentil avec tout le monde. 

Conséquence de quoi, je ne peux plus penser que le sarkozysme est une plaie, parce que cela revient à insulter les membres de l'UMP et leurs électeurs. Comme si ces gens-là étaient définis, ad vitam aeternam, par leur adhésion au sarkozysme. Sarkozy lui-même ne peut pas changer d'avis, se dire qu'il s'est trompé, qu'il n'aurait pas du faire telle ou telle chose, il est impensable qu'il juge un jour sa présidence négative pour la France, impossible : il est ce qu'il a fait, il n'aurait pu faire autrement, c'était dans sa nature à laquelle il ne peut rien changer d'avoir fait tout ce qu'il fait, il n'avait aucune liberté individuelle à exercer, c'est une marionnette, un esclave (de quoi ?). Son électeur lui aussi ne peut absolument pas se remettre en question, se dire qu'il a fait un mauvais choix, changer de camp, d'opinions, évoluer... Impossible. 

Je ne sais pas pour les autres, mais moi je me sens capable de changer d'opinion, d'avis, d'évoluer. Alors je ne vois pas en quoi une idée que je peux avoir, un moment dans ma vie, peut me définir au point que le jour où cette idée est critiquée, violemment critiquée, je me sente menacé dans mon estime de soi. Je crois bien ne jamais m'être vexé. C'est un sentiment qui m'est étranger. Je le néglige chez les autres, je l'ignore, j'ignore qu'il est chez les autres. Je suis mon propre souverain, mon propre accusateur. Je suppose que les autres le sont également, ce en quoi je me trompe manifestement. Jusqu'à ce qu'on me prouve le contraire, je vois là les raisons expliquant qu'on interprète mes écrits de la sorte.

mercredi 12 octobre 2011

Se passera-t-il quelque-chose ?

Les 17% de l'ami Montebourg sont une drôle de surprise. Au moment où Jean-Claude Michéa publie Le complexe d'Orphée. Interdiction de se retourner... Le simple fait de parler de "démondialisation", à la suite de Jacques Sapir, et Emmanuel Todd, équivaut à réveiller un immense volcan. A partir de ce jour, on peut de nouveau penser. Nous le faisions, nous, de notre côté. Nous n'espérions rien des politiciens. Peut-être sommes-nous si proches du mur que penser leur redevient possible. 

Montebourg pose dans sa lettre trois questions, aux impétrants. Aux impétrants. Il fallait le faire - prononcer ce mot. Todd pense que Aubry ou Hollande, bien qu'hostiles idéologiquement, seront obligés, contraints de se gauchir et de répondre en actes à ces questions, à défaut d'y répondre en paroles. Je suis sceptique. 

Il y en a un autre, l'ami Mélenchon, qui lui a répondu en paroles. En effet, sur ces 3 (4) points, il me semble qu'ils sont sur la même longueur d'onde. Il me semble que l'ami Dupont-Aignan (qui a répondu lui aussi) le serait aussi. Que l'ami Chevènement, aussi. Et ça fait beaucoup d'amis. Ajoutons donc l'ennemie Le Pen. De toute façon, nous n'avons pas besoin d'être amis, ni d'être d'accord. Paulo, Paul Ricoeur
"Est démocratique, une société qui se reconnaît divisée, c’est-à-dire traversée par des contradictions d’intérêt et qui se fixe comme modalité, d’associer à parts égales, chaque citoyen dans l’expression de ces contradictions, l’analyse de ces contradictions et la mise en délibération de ces contradictions, en vue d’arriver à un arbitrage."

Ah oui, Franck Lepage a raison de dire que cette définition de la démocratie, c'est autre chose que : "aller voter". Michéa encore pour la façon que nous avons (pas moi parce que je m'en fous) de désigner les équipes de France : "les Bleus" a remplacé "les Tricolores". Les trois couleurs du drapeau tricolore symbolisait l'unitas multiplex, quelque part (et même ailleurs), les divergences, les contradictions, les conflits qui traversaient la société française pour la constituer. Aujourd'hui que nous appelons notre régime "démocratique", nous n'avons plus qu'une seule et unique couleur (bleu), symbole de la fausse alternance unique que le Spectacle politique nous offre. Un coup PS, un coup UMP. Mais le premier n'est pas socialiste, le second n'est pas populaire, les deux sont oligarchiques. 

Alors, se reconnaître divisés. Il faut bien commencer. Se reconnaître, déjà. Liquider cette idée selon laquelle toute personne parlant du peuple serait populiste et démagogue. Les démocrates actuels sont des démocrates sans peuple, ce qui ne manque pas de piquant. Nous existons, en tant que peuple, en tension, mais comme peuple, qui doit se déterminer dans et par l'expression de ces tensions. De là une possible reprise de contrôle démocratique de nos politiques économiques et sociales.

Amis et ennemis de droite et de gauche, et on sait depuis 2005 que ces amis et ennemis sont majoritaires, il est possible de demander tous ensemble une Constituante. Tout le reste, toutes les autres questions, sont secondaires et relatives à ce préalable. Ces amis et ennemis de droite et de gauche semblent avancer chacun dans son appareil vers 2012. Ils pourraient se rassembler pour désigner un candidat inconnu (ou la chèvre Biquette) dont le rôle et unique rôle serait de convoquer une Constituante par tirage au sort et de démissionner immédiatement. Ça semble peu probable. Je vois là la condition à laquelle je pourrais avoir envie de voter en 2012. Sinon, on attendra l'apocalypse.

jeudi 6 octobre 2011

Nous les nazis

Voici un article sans ambiguïté, sans ambiguïté aucune, et disons-le : doublement sans une seule ambiguïté. L'ambiguïté devient un très court chemin vers le commissariat - vers la Kommandantur. Gloire et louanges ont déjà été chantées en l'honneur de Lars von Trier, en ces Terres, pour son Œuvre, mais aussi et plus récemment pour ses propos "provocateurs", "ambigus" et "pro-nazis". Le voilà entendu par la police danoise, avant que la française ne prenne le relais ? 

Il nous faut être honnête, cette accusation est tout à fait logique. Il le mérite. Nous le méritons, nous tous, nous les nazis. C'est vrai. Les masques doivent tomber, nous sommes nazis. Nous partageons une sensibilité, une politique, une philosophie, une mystique en réalité, profondément républicaines, démocrates, humanistes.

A ce titre, il est implacable, nécessaire, et fatal que nous soyons, par la radicalité de notre opposition à tout fascisme... Il est sans appel que nous soyons frappés par la loi des démocrates, des républicains, des humanistes ; des "démocrates", des "républicains", des "humanistes". 

Nous haïssons le pouvoir, les pouvoirs, la domination, les dominations, les fascismes de tous genres, pas seulement le poussiéreux vingtiémiste, non ! tous, tous autant qu'ils sont. Nous en décelons les germes non pas dans la méchanceté, la vilénie, la monstruosité de quelques dictateurs manipulateurs, non pas dans l'ignorance des masses passées, ignorance que nous aurions vaincue, nous modernes à l'abri des virus des "heures les plus sombres de notre histoire", à la modeste condition d'en célébrer la Mémoire ; nous les décelons au plus profond de la pensée moderne, des modes de vie industriels, des autoroutes de l'information, de l'abaissement de la mystique démocrate en politique démocrate.

Notre mystique nous pousse à mener le procès de la modernité. Nous pensons que si notre régime s'appelle "démocratie", c'est parce qu'il n'est pas une démocratie. Son système, autrefois appelé "gouvernement représentatif" (compris comme le contraire de la "démocratie"), nous le voyons oligarchique. Autant dire dégénéré. 

Nous avons un niveau d'exigence largement supérieur, ô combien ! au lamentable et pathétique (pathologique) spectacle que notre politique nous offre. Athées, nous parlons Dieu. Anarchistes, nous parlons Morale. Dieu est mort, donc l'Homme aussi. Être ou ne pas être Surhomme. Voyez ! Voyez ! le carré de l’hypoténuse, c'est géométrique, ils doivent nous prendre pour des nazis. Il ne peut en être autrement. 

De notre point de vue, nous sommes intouchables quant à ces questions. Notre obsession est la Question humaine. Le Langage. Le Sens. La Littérature. L'Altérité. C'est nous, avec nos obsessions, qui sommes les premières cibles du nazisme, de toute dictature. Nous n'avons pas à les combattre, à affirmer les combattre. Notre existence suffit. Demande-t-on à la souris de prouver qu'elle veut échapper au chat ? Nous n'avons pas ce temps-là à perdre. Vis-à-vis du fascisme, nous ne souffrons aucune ambiguïté. 

Nous pouvons donc dire : "Nous, les nazis". Qui cela peut-il déranger ? Le pouvoir en place. Ça tombe bien, c'est lui qui nous dérange, qui nous vole nos mots, nous aliène, et qui organise notre abandon volontaire de liberté. C'est lui, oui, pas de loqueteux épouvantails. Nous qui sommes démocrates, sommes dérangés par les "démocrates". Il est juste que nous les dérangions quelque peu en retour. Pour eux, il est extrêmement important que nous soyons démagogues, populistes, antisémites, extrémistes, apologistes du terrorisme et du fascisme, mais encore névrosés, dépressifs et pessimistes. Ces accusations sont si grotesques que nous pouvons les accueillir gaiement comme quelques ridicules gouttes d'eau tombant dans le brasier ardent de Thérèse de Lisieux. 

Alors oui, amis journalistes tolérants démocrates et professeurs de leçons de maintien, oui nous aimons le romantisme allemand, oui nous aimons Louis-Ferdinand Céline, et non nous n'aimons pas le régime que vous défendez. Le formidable raccourci que vous prenez, depuis ces constatations jusqu'à l'ami Hitler (je dis l'ami... comme notre maître le Mahatma Gandhi l'a fait : lui offririez-vous un séjour en prison supplémentaire ?) nous honore. Je répète : nous honore. Ce raccourci insensé ne saurait en effet nous salir de l'ignominie et de l'horreur nazie ; il nous décore en revanche comme opposants, comme résistants à votre pouvoir, à votre fascisme au sens de l'ami Pier-Paolo Pasolini des écrits corsaires. 

Je le sens, une dernière levée d'ambiguïté est de mise. Nous ne vous accusons pas, nous ne vous comparons pas, malgré la provocation de certains mots employés. Nous ne nous exonérons en rien, d'ailleurs, de nos flèches. Nous ne faisons pas de vous les nazis que vous voulez faire de nous. Nous disons simplement que notre lutte est perpétuelle, bien que les acteurs changent ; nous luttons contre le crime, pas contre les criminels. Vous avez, de notre miroir, enlevé la poussière, aurait rappelé Rûmî (sur lui la Paix), alors que vous pensiez nous offenser. Est-ce dur à avaler ?