jeudi 25 décembre 2008

Alexandre Vialatte remonte à la plus haute antiquité


Querellus editoriam, ça va comm’ sum. "Cessons de chercher querelle à l’éditeur", disait déjà Pline l’Ancien il y a près de deux mille ans. Rarement, au cours de l’histoire du monde, une profession aura été autant controversée que celle d’éditeur. Aujourd’hui encore, on accuse des éditeurs, et tous les éditeurs d'ailleurs, d’exploiter les auteurs. Dieu merci, ce n’est pas l’avis de tout le monde. À la question : "Les éditeurs sont-ils un mal nécessaire ?" 100 % des maquereaux de Pigalle interrogés répondent : "Oui, bien sûr. Si y a personne pour les pousser au cul, les livres, y restent dans la rue au lieu de monter dans les étages." ainsi Pierre Desproges entamait-il son réquisitoire du Tribunal des flagrants délires contre André Balland.
J'avais bien envie, il y a quelques jours de cela, de le prendre à contrepied et de chercher querelle à l'éditeur. Je souhaitais en effet me procurer les Chroniques de la Montagne d'Alexandre Vialatte, auteur, comme il le dit lui-même "notoirement méconnu" que le même Desproges citait avec tant d'admiration ("Si vous n'êtes pas capables de vous passer d'un épisode de Dallas pour lire les chroniques de Vialatte") qu'il m'a donné l'envie de la découvrir. Or, croyez-le ou non (oui vous le croyez), mais il est très difficile de trouver en librairie des livres de cet énergumène ! Même à Clermont-Ferrand, lieu de vialagiature théoriquement éminent puisque c'est bel et bien le journal auvergnat qui hébergea les 900 chroniques en question. Ubuesque, non ? L'occasion de se reporter sur Alfred Jarry ? Ces chroniques sont éditées désormais chez Robet Laffont dans la collection Bouquins en deux volumes, mais ne sont plus disponibles (si ce n'est le tome 1). Allai-je devoir me contenter de la satisfaction d'avoir déjà lu du Vialatte, sans le savoir, puisque c'est lui qui traduisit Le Gai Savoir et Ecce homo de Nietzsche ? Non : un dernier exemplaire du tome 2 était en circulation sur chapitre.com, j'étais sauvé et c'est ainsi qu'Allah est grand, aurait dit Vialatte.
Voilà, je n'ai fait qu'entamer cette lecture qui s'annonce au long cours : 2000 pages pour 898 chroniques. Mais après seulement 1,11% de lu (10 chroniques, refaites le calcul, c'est très intéressant), je suis déjà estomaqué. Il est évident que tout adorateur invertébré (et vertébré aussi, pourquoi pas) de Desproges devrait lire Vialatte, la filiation est assez claire. Le style est juste exceptionnel, le choix des mots stupéfait à chaque détour de phrase. Dégagé dans tous les sens du mot dégagé et du mot sens, comme dirait n'importe quel inéminent pataphysicien, Vialatte ne parle que de son époque au moyen de romans, ou tout ce qui a trait à l'art et à l'humain. Les sentences sont miraculeuses.

"Où allons-nous si Ferdinand Lop se met à offenser la grammaire ! Nous n'y allons plus, nous y sommes. C'est une époque extraordinaire. J'oubliais en effet de dire que l'almanach Vermot nous apprend qu'on a trouvé en Tchécoslovaquie, à Petovice exactement, des mammifères amphibies à trois yeux ! Le progrès fait rage ! Et c'est ainsi qu'Allah est grand." Chronique n°9, 3 février 1953

Etonnant, non ?

Et ceci alors qu'il parle des lapins d'Henri Pourrat, lequel les élève en dehors du clapier qu'il leur a construit : "Les lapins s'ébrouent dans le jardin, font mille folies dans la carotte, commettent des crimes dans la luzerne ; et s'ébattent dans le chou quintal avec une naïveté charmante. Ils se jettent dans les jambes du facteur. Jamais ils ne sortent par la porte ! Un jour, ils sauteront d'eux-mêmes dans la casserole ; on s'étonne des progrès de la civilisation." Chronique n°2, 16 décembre 1952

Je vous en reparlerai...

samedi 20 décembre 2008

Vacances ?




Guy Debord, Hurlements en faveur de Sade, 1952

Cavanna Siné qua non


« Le seul fait que Cavanna existe est une insulte au bon goût français » disait Pierre Desproges.



On ne saurait rendre un plus bel hommage à cette légende. De la place qu’il reste à cette légende il sera donc question ici. L’été dernier, nous fûmes tout occupés à départager Siné de Val dans une grotesque affaire montée sur prétexte antisémite – on voit aujourd’hui mieux encore qu’hier combien ce prétexte était fallacieux. Chaque camp en a tiré les conclusions qui s’imposent et cohabitent désormais Charlie Hebdo et Siné Hebdo. A Charlie, on subit peut-être une migration du lectorat, et il s’agit d’indiquer clairement où est le bon grain et où est l’ivraie. C’est Caroline Fourest qui s’en charge cette fois dans Le Monde (« La démocratie des cerveaux disponibles ») : « D’où la division au sein de la presse satirique entre, d’un côté, celle qui veut fortifier la démocratie et, de l’autre (celui des « pulsions infantiles, bêtes et méchantes » précise-t-elle avant), celle qui s’en moque, voire celle qui la vomit. »

Cavanna dont la désillusion se faisait sentir depuis quelques temps ; Cavanna qui s’était plaint que Philippe Val l’utilise pour incendier Siné dans son dernier livre ; Cavanna l’initiateur de cet humour et de cette nouvelle presse satirique bête et méchante ; Cavanna n’allait pas laisser passer cela.

Sa chronique cette semaine : Les dinosaures avaient-ils le trou du cul aussi petit que la bouche ? Il explique : « Ce grand ennui qui m’alanguit depuis trop longtemps, ce n’était donc pas mon exclusif désenchantement qui là, perçait, mais bien le symptôme collectif, peut-être universel, d’un bouleversement majeur dans le cosmos. » La décadence. La mort du bête et méchant. L’affadissement. La victoire des bienpensants. Et de critiquer l’évolution de « Charlie », dont les caricaturistes ont rangé leurs griffes (Choron dernière de Pierre Carles, sortie le 7 janvier), dans lequel les caricatures sont trop souvent politiques et si facilement anti-sarkozystes. Lui préfèrerait du sociétal (« comme si nous vivions en un monde où la politique prime sur toute autre activité humaine ») croqué par la « racaille rabelaisienne ».

Il termine en fustigeant ambition, carriérisme, et finalement un journal – comme il est amère de lire ça sous sa plume à propos de Charlie Hebdo – « Pas encore bon chic bon genre, mais déjà estimé des gens en place. Des gens qui placent. » Se pose donc la question de l’avenir de ses chroniques : « Ce que je fous là, moi, dinosaure bouffé aux mites, sur mon tas de décombres ? On me le fera bientôt savoir, je pense. » J’ai quand même du mal à imaginer que l’on puisse signifier à Cavanna qu’il n’a plus rien à faire dans un journal, dans ce journal ! Va-t-il y rester ?

Et de fait, Caroline Fourest, qui peut répliquer avant le bouclage, répond à Cavanna dans le même numéro de Charlie. Rien n’est laissé de côté dans la flagornerie – vouvoiement, « il fait partie de ces dieux que l’on préférerait ne pas avoir offensés » etc. – et le mea culpa est trop gros pour ne pas paraître balourd. Ainsi, ce n’est pas Cavanna ni toute l’équipe d’Hara Kiri qu’elle visait, mais « une facette de cet humour « bête et méchant ». » Fourest fait ainsi mine de ne pas comprendre. La rupture est consommée ou presque. Elle a beau objecter que la censure est devenue politique et religieuse, ça n’enlève rien à la pertinence du propos de Cavanna, rien. C’est pour cela que Siné était détesté jusqu’à aller au clash que l’on sait. En réalité, le pas était difficile à franchir, mais c’était une bonne chose que de le faire et Siné se porte assurément mieux dans son hebdo que dans « Charlie ». Quant à Cavanna ? Ce sont eux les porteurs de la légende ; le titre Charlie Hebdo leur a en quelque sorte été dérobé ; mais sans eux, qu’en reste-t-il ? Cavanna : « On ne rit pas du SDF. On le regarde crever, mais on ne rit pas. C’est ainsi qu’on fait des carrières. Pas des légendes. »

C’est pourquoi j’aimerais que Siné Hebdo aille plus loin encore, ne tombe pas dans l’anti-sarkozysme facile, évite une philosophie onfrayenne un peu emballée… mais il est vrai que quelques signatures sont quelques peu décevantes (Geluck ?! Isabelle Alonso !?).

En attendant qu’une relève pointe le bout de son nez et bâtisse une légende nouvelle ?

vendredi 19 décembre 2008

Resweber, Les pédagogies nouvelles

La pédagogie change de perspective aux XVIIe et XVIIIe siècles alors que l’enfant est enfin posé comme sujet libre et autonome (Ph. Ariès).

Les courants pédagogiques

I/ La pédagogie négative

On s’interroge sur la liberté, avec une inspiration pédagogique : on pose la question des fins de l’éducation. Rousseau et son fameux « Laissez croître. » fonde la pédagogie sur la liberté individuelle et érige le transfert en loi de tout apprentissage, en pariant sur l’absence de méchanceté de l’homme. On nie donc les valeurs héritées du passé et cette éducation repose sur la « seconde lecture » (lecture rétrograde) : la clé de l’expérience n’est donnée qu’à la fin car l’essentiel n’est pas le principe mais son bien-fondé. Hegel, Goethe, Freud et Heidegger s’y inscrivent pour dévoiler une vérité menacée de se voiler sous l’ordre de la mesure, norme, regard économique. L’éducateur est le lieu-tenant de la marge, de l’inconscient.

Certains sont plus libertaires (école de Hambourg) : Tolstoï ouvre une école en 1849 ; Neill fonde l’école de Summerhill en 1920. On pousse le laisser-croître jusqu’au laisser-faire. K. Lewin estime que si le mode autoritaire provoque l’anxiété, le laisser-faire génère de l’angoisse et il préconise un mode démocratique, entre les deux.

II/ L’anti-pédagogie

La tradition hippocratique et socratique identifie savoir et santé, ignorance et maladie. Et comme savoir et santé renvoient à des normes édictées par la société, l’anti-pédagogie dénonce une structure insidieuse d’enfermement (Foucault), un agent reproducteur de la société de consommation (Illich), un instrument de reproduction sociale (Bourdieu) et un ensemble de procédures excluant l’enfant de son désir (Boujedra, Scherer, Celma, Mannoni). Du moins ce courant critique-t-il les techniques, méthodes et programmes de la pédagogie classique. Le groupe remplace le maître, l’enseignant devient secrétaire du groupe (dans la pratique, c’est plus difficile).

Eduquer : donner forme à son désir… c’est une pédagogie de l’éveil, de l’imaginaire, de la créativité, de l’étonnement. Elle cherche la libération des sujets par une relation dynamique et réciproque. Elle se démarque de l’école et de son savoir institué (paideia) et y substitue un modèle sacral. L’alibi est politique : c’est une contestation continuelle de la forme acquise, au nom du désir, qui est visée

III/ La pédagogie institutionnelle

Parallélisme également entre curabilité et éducabilité avec 2 orientations : une psychanalytique (F. Oury, A. Vasquez) et l’autre socio-analytique (groupe de Gennevilliers) après la scission en 62 du GTE de Freinet. Mais, au lieu de s’offusquer de la condition de l’école milieu où se fonde l’image de la société globale ; la pédagogie institutionnelle y voit une chance : elle insiste sur le rôle des institutions internes (groupe-classe, tiers médiateur) où s’investissent l’angoisse. C’est ainsi qu’elle entend, elle aussi, produire l’inconscient (pédagogie par objectifs). L’utopie fouriériste d’autogestion la travaille : il existerait une institution meilleure, sinon idéale échappant aux effets Lukacs (ignorance des conditions d’apparition de l’institution), Weber (chape normative de l’appareil organisationnel) et Mülhmann (refoulement des finalités premières). Cela pose la question de l’analyse institutionnelle. Il n’y a point d’éducation (e-ducere) sans un processus de désubjectivisation.

IV/ La pédagogie thérapeutique

Le pédagogue est à la fois prêtre et médecin, selon qu’on l’interprète au plan réel, imaginaire ou symbolique. Discours médical et pédagogique se veulent une grammaire pour déchiffrer les symptômes. Alors on s’interroge sur ce que cache cette monstration : c’est la pédagogie thérapeutique.

C. Rogers et la méthode non-directive : il encourage le client à s’exprimer librement, à devenir ce qu’il est et à accéder à un désir qu’il s’est interdit. L’apprentissage scolaire est aussi une catharsis, un moyen de libérer les blocages. Quant à D. Winnicott, il théorise cette pédagogie : le holding remplace la sympathie rogérienne. Une surface imaginaire permet au sujet de constituer le self ; il en constitue d’autres car la loi du désir consiste à lâcher prise pour d’autres surfaces. Le sujet peut s’abriter derrière un faux self. L’opérateur qui assure le passage entre faux et vrai self est le jeu, le squiggle game. Apprendre : se surprendre soi-même au jeu de la prise. J.-L. Moreno (« psychodrame ») met lui l’accent sur l’éducation à la spontanéité avec le théâtre impromptu. S’en inspirent les nouveaux groupes thérapeutiques (W. Reich, A. Lowen, A. Janov, H. Laborit…) qui insistent sur le corps redressé, décontracté, libéré sexuellement. D’Hippocrate et Socrate à Rousseau, il faut que l’ignorance soit un mal pour justifier la violence du pédagogue qui impose la loi de sa vérité

V/ La dynamique de groupe

Freinet et le conseil de coopérative en est l’esquisse. Le modèle : le T. Group. L’idée est d’aboutir à une mise en perspective des rapports d’attraction et des rapports de rejet que constituent le tissu social (sociogramme de Moreno). Et cela pour corriger les déficiences affectives du lien social, en permutant les rôles. Diverses grammaires existent, non exclusives les unes des autres. En milieu scolaire, on voit alors l’enseignant comme un « facilitateur » et le groupe non directif. Le but est d’acquérir la capacité d’acquérir des connaissances. Par rapport à la pédagogie institutionnelle, il y a une finalité critique et politique de libération de l’imaginaire. Avec une métaphore d’unité du groupe, la fonction du leader pose problème : son autorité repose sur ses aptitudes à faire surgir et canaliser les interactions du groupe. Cette pédagogie peut sembler abriter une démission mais reste essentielle sous 3 conditions : y recourir pour débloquer les préjugés ; comme réflexion sur l’avenir professionnel ; ou comme jeux pédagogiques.

VI/ Pédagogie et psychanalyse

La polémique en 1909 entre F. W. Foerster et O. Pfister pose la question du bon usage de la psychanalyse en pédagogie. A. Adler apporte beaucoup sur la relation pédagogique, le projet de vie, l’importance de l’intersubjectivité en éducation. Le transfert peut s’interpréter à la lumière de la psychanalyse (A. Aichhorn). Cependant, le pédagogue, même thérapeute, n’est pas psychanalyste. La psychanalyse est en amont : ce qui va du « ça » des pulsions au moi censé en émerger. L’éducation est en aval : ce qui va du sur-moi au moi. Si l’expérience psychanalytique vise au remodelage de l’inconscient, l’éducation tente de rationaliser le surmoi. L’apprentissage par transfert commande le transfert d’apprentissage (transmission incitative ou maïeutique). Et puis les deux disciplines usent de la parole vraie. Le père fixe l’enfant au double sens du principe (arche) et de la fin (telos) et la parole éducative en sera une répétition spécifique, au sens non de redite mais de reprise.


L’expérience pédagogique


I/ Les impératifs pédagogiques

Freud et Piaget ont pensé par stades mais cette logique s’appuie sur un langage mixte : induit de l’observation, construit par l’éducateur ; et langage second qui occulte le langage premier du rythme. On peut penser les blocages affectifs ou intellectuels comme une perte de cadence… Par ailleurs, le sujet des pédagogies nouvelles gagne à être interprété en termes de processus de subjectivisation (Foucault). Et Dolto a raison de distinguer dans l’imago du corps les couches d’une double écriture : l’image basique du narcissisme structure l’image dynamique ; l’imago articule la dimension réelle du schéma corporel à la dimension symbolique de la figure.

Comment avoir raison de la résistance ? La motivation est renforcée par le dépassement de la résistance ; elle relève de l’affectif qui est le terreau de toute cognition (Piaget, Vygotski). Ainsi la formule de Lacan : « ne pas céder sur son désir » = on est motivé si on perçoit le motif du désir (le plaisir de devenir autre que soi-même).

La relation est le moteur de la formation ; les pédagogies nouvelles rompent avec le modèle sophistique d’une pédagogie du mensonge (Kierkegaard). Le maître est le symbole de l’ailleurs ; la relation est donc à trois termes et il y a un constant travail de distanciation. Et Nietzsche disait que connaître, c’est habiter un inconnu, transformé, du fait de cette habitation, en lieu familier (Le Gai Savoir, 355). Qu’on insiste sur la croissance, l’assimilation, la fonction transitionnelle de la pédagogie se trouve au carrefour et les pédagogies nouvelles empruntent autant au modèle incitatif ou maïeutique qu’au modèle appropriatif


II/ Au carrefour des théories et des pratiques

Les pédagogies fondamentales

Rudolf Steiner – théorie pédagogique axée sur le développement total. Il pense en termes de processus relationnels : phase d’imitation, phase de création, puis jugement libre. 3 dimensions en interaction : l’action l’expérience esthétique, la contemplation (admirateur de Goethe). Cf. Ecole Waldorf.

L. S. Vygotski donne une synthèse des repères régulateurs nécessaires. Pensée, sensibilité, langage et corps sont indissociables. C’est une pédagogie de la médiation ; il utilise la notion de « zone proximale de développement » l’intervention devant « élever » l’enfant, en se basant sur le niveau de compétences en sommeil de la zone intermédiaire.

Henri Wallon – l’initiateur des pédagogies nouvelles. Président en 1946 de la commission qui rédige le plan Langevin-Wallon. Il conçoit une Ecole unique en 3 cycles jusqu’à 18 ans. C’est un projet autour de l’enfant, autou c’est la culture à laquelle il faut élever l’enfant.

Jean Piaget – le développement de l’enfant. Il distingue 4 stades. Le sujet épistémique, par son savoir, se construit en construisant le monde ; il a le pouvoir de maîtriser les éléments de son environnement.

J. S. Bruner complète l’approche cognitive de Piaget par l’accent qu’il met sur les interactions sociales et les contextes culturels (le langage).




Les pédagogies appliquées

Maria Montessori – le courant sensualiste (Condillac). L’enfant apprend à habiter le monde. L’image du corps et le renversement de la relation entre l’enfant et l’adulte sont la base de méthode. Le détour par le jeu est nécessaire à la constitution du je.

Olivier Decroly – développement de la relation. L’implication de l’enfant dans le rapport social, la découverte de sa personnalité comme partie prenante (inter-esse) de la société est le moteur de l’éducation. Influence empiriste et associationiste !

L’école nouvelle d’Antony (le Père Castor) emploie largement « l’expérience tâtonnante » de Freinet.

A. S. Neill – l’expérience de la libération. Neill transcrit sur le plan de la pédagogie la distinction nietzschéenne entre les forces actives et les forces réactives. Les idéaux religieux ou progressistes étouffent la libre expression de la vie. « L’autodétermination, en matière d’éducation, a une valeur infinie. »

L’école de Barbiana – climat de responsabilité et liberté. L’école doit devenir un lieu de partage d’une culture débordant les savoirs académiques. Mais, à la différence de l’école de Summerhill, il y a une éducation à la citoyenneté. L’éthique pédagogique de l’abbé Don Lorenzo est inséparable d’une prise de conscience politique.

Célestin Freinet – méthode naturelle. Développer harmonieusement les facultés de l’individu, en équilibre avec son milieu. Le pivot de la méthode : le plaisir de pouvoir et d’agir (expérience tâtonnante). Quelques techniques d’action : l’expression libre, la vie de travail et le travail sur la vie, le besoin logique de connaître et de classer, le besoin artistique de représenter… sont utilisées entre les travaux d’atelier et les activités intellectuelles correspondantes. Le groupe (fratrie subie devenue communauté) permet à l’enfant de transformer en œuvre la réalisation technique. Freinet a fondé en 1944 l’école moderne française.

Les CEMEA de Gisèle de Failly (1936) : carrefours entre théorie et pratique ; formation de cadres, etc.


On ne naît pas sujet, on le devient et on n’a jamais fini de le devenir.

jeudi 18 décembre 2008

Mialaret, La psychologie de l'éducation

I/ Essai de définition

Le mot éducation est très polysémique. Une situation d’éducation – domaine de la psychologie de l’éducation – est à considérer avec le cadre, l’environnement, le niveau d’évolution (connaissances, structuration de l’appareil psychique, les pré requis), le fonctionnement psychologique (partenaires en présences, ceux invisibles, les contenus, les finalités de l’action éducative, la communication), les effets psychologiques. On la distingue donc de la psychologie scolaire, de la psychopédagogie, de la psychologie de l’enfant…

II/ Les aspects psychologiques de l’institution

Elle sert de trait d’union entre la vie individuelle et la vie sociale : famille, puis école, puis « formation continue » et milieu professionnel. L’entrée à l’école est un passage dans un nouvel univers pour le jeune enfant et dès Binet en 1895, on travaillait sur l’anxiété générée (cf. Demangeon). Les changements de classe, de niveau, d’organisation provoquent également de l’anxiété : le collégien par exemple voit son horizon temporel habituel (P. Fraisse) passer d’1 ou 2 jours à une moyenne échéance.
Plus généralement, entrer dans un nouveau milieu social c’est utiliser et développer de nouveaux aspects de sa personnalité. Dans une classe, par rapport à la famille hiérarchisée selon l’âge, on fait l’expérience de l’égalité des droits et devoirs ; d’une coopération entre pairs choisis. Et l’enfant doit accepter d’avoir un maître, vivre l’intervention de l’adulte comme une aide, non une intrusion. Le climat psychologique de la classe est donc essentiel. D’autant que : « la formidable pression scolaire qui s’exerce sur les élèves n’est pas étrangère à l’émergence de la dépréciation de soi et des états dépressifs à l’adolescence. » (C. Bourcet) : indifférence ou mépris enseignant, obsession parentale…
Les structures, le climat de l’établissement, de la classe, l’organisation spatiale, les rythmes scolaires (H. Montagner ; F. Testu) jouent un rôle primordial à interroger.

III/ L’action éducative

C’est pour l’essentiel un processus de communication : il faut analyser ce qui se passe entre l’émission d’un message et sa réception / interprétation. 3 problèmes majeurs : les messages peuvent être acceptés ou refusés (motivation pour les activités scolaires), mal décodés (maîtrise de la langue, références communes), ou mal compris ou interprétés (niveau intellectuel, expériences). M. Altet classe les messages entre ceux dont l’objet didactique est : information, organisation-structure, stimulation-animation-activation, évaluation, régulation. On peut alors analyser le « style d’enseignement ». Quant aux réactions induites : réception-consommation et expression-production s’opposent.
A. Weil-Barais distingue les formes d’apprentissage : l’empreinte, l’habituation (ne plus réagir à), l’apprentissage associatif (essais-erreurs – Freinet ou conditionnement pavlovien ou skinerien), apprentissage par l’action (Piaget, Wallon), observation et imitation, apprentissage coacitf (travail en équipe), tutorat. Mais quels en sont les mécanismes ? On peut se référer
ü au système affectivo-cognitif : difficultés dans les relations objectales
ü au système social : dissonance cognitive (Festinger) et conflit cognitif (Piaget) => intérêt de méthodes permettant la discussion
ü au système cognitif : automatisation, stockage, connaissances nouvelles

De l’acte à la pensée (H. Wallon) en 5 étapes : action réelle de l’enfant ; action réelle accompagnée par le langage ; conduite du récit ; traduire l’action au moyen dessins (généralisations) ; traduire son action à l’aide de symboles (opérations). Les analyses piagetiennes mettent l’accent sur l’acquisition des connaissances non pas uniquement par réception, mais par une action du sujet qui intègre les nouveaux savoirs aux anciens. Le sujet est confronté à un « obstacle épistémologique » (Bachelard) : l’expérience du sujet. L’interaction sociale est évidemment essentielle. G. Vergnaud a travaillé sur la représentation (en opposition au behaviorisme) : la représentation n’est pas un épiphénomène mais est fonctionnelle. Schèmes et concepts se trouvent entre action et représentation.

IV/ Analyse psychologique des méthodes et des techniques pédagogiques

Piaget distingue l’associationnisme empiriste ; les méthodes au retour imprévu à l’innéité et à la maturation interne à la suite de Chomsky (« raison » préformée, malgré le psychogénétisme qu’il reconnaît) ; et les méthodes constructivistes par continuel dépassement des élaborations successives. Drevillon établit deux axes, lui : celui qui distingue les méthodes actives de celles impositives, et celui distinguant les méthodes flexibles de celles systématiques. Globalement : une méthode synthétique part des éléments simples (issus de l’analyse de l’adulte) et une méthode analytico-synthétique qui se réfère à l’expérience globale de l’enfant pour aboutir à en retrouver les éléments constitutifs.
Les méthodes actives posent la question du type d’activité et de son niveau. Des méthodes organisent le travail individuel, accordant une importance au rythme individuel, permettant de repérer rapidement les erreurs, assurant une motivation plus forte, et libérant l’enseignant pour mieux se consacrer aux élèves en difficulté. Mais ce peut être une solution de facilité : et l’apprentissage de l’effort est réduit au maximum (effet pervers). De nombreux travaux ont porté sur le développement social de la personnalité : Project Method 1919, Cousinet, Petersen, Freinet, Lobrot… Pour Dottrens, le travail en équipe développe le sens de la responsabilité et de la solidarité. Piaget a montré que l’échange d’expériences vécues par chaque élève favorise la résolution de conflits sociocognitifs.
Certaines techniques, notamment audiovisuelles, introduisent des distorsions à connaître. Les cadres mentaux de l’espace et du temps sont perturbés, en effet. Elles sollicitent des ressources, des perceptions globales pas toujours à portée des enfants et la réalité doit être reconstruite par le langage. De plus, la vitesse de perception et de compréhension est moins grande chez les enfants ; ils ont du mal à reconstituer un récit. Et puis, cela peut introduire une confusion entre vision, reconnaissance, information, connaissance, savoir. L’ordinateur aussi pose un certain nombre de difficultés.

V/ Analyse psychologique des contenus. Problèmes psychologiques des didactiques

Révolution copernicienne (Claparède) avec Rousseau : analyse de la matière à transmettre à l’élève, des aspects psychologiques de l’apprentissage, des modifications des structures psychiques qui en résultent. P. Higelé retient 15 opérations cognitives depuis le stade préopératoire jusqu’à celui des opérations formelles : correspondance terme à terme, somme des parties, opérations topologiques, sériation, classification, relation de cause à effet, inclusion, complémentarité, grands nombres, conservation, substitution, espace projectif et espace euclidien, implication, combinatoire, proportionnalité. Classiquement, on posait : comment présenter logiquement – pour l’adulte – une notion. Les pédagogies nouvelles prennent en compte les orientations psychologiques requises et mises en œuvre.
Les méthodes syllabique, phonique, phonomimique, synthétiques, s’opposent alors aux méthodes globales, analytiques (Decroly). Mais dans la pratique, des méthodes mixtes sont employées. Quelle efficacité ? Dès 1976, J. Foucambert insiste sur la recherche du sens pour apprendre à lire. Le concept de conscience phonologique a depuis été mis en évidence. Mais il est très difficile de mesurer scientifiquement l’efficacité d’une méthode. Il reste que les élèves utilisent la « pensée par îlots » (Wallon) : ils sont par exemple étrangers à la notion d’ordre bien après qu’on la leur enseigne. Construire, ce n’est pas seulement faire, c’est constamment réfléchir.
En histoire, Decroly avait introduit la « frise des temps » dont les apports sont manifestes mais qui apporte une confusion de l’espace et du temps (Bergson ?) et une erreur de perception des événements historiques, entassés sur les derniers siècles… Finalement, la compréhension et la production de la mise en intrigue sont les meilleurs moyens pour la compréhension de l’histoire.

VI/ Psychologie de l’évaluation scolaire

Elle peut être formative, diagnostique, pronostique ou sommative. Son effet est décisif et positif en tant que connaissance des résultats. Elle peut servir de béquille, d’analyse du travail, des erreurs, d’objectifs à atteindre.
Mais il y a aussi l’effet Pygmalion théorisé par Rosenthal et Jacobson : si l’enseignant considère un élève comme bon, celui-ci le deviendra (schématiquement) et inversement. L’idée que se fait le professeur de la valeur de l’élève est donc un élément essentiel.
La psychologie de l’évalué est importante également. Mais, oubliée, celle de l’évaluateur l’est aussi. Il s’agit d’éviter angoisse, découragement, dégoût pour la matière.

mercredi 17 décembre 2008

Piaget & Inhelder, La psychologie de l'enfant


Croissance mentale et physique sont indissociables : la psychologie de l’enfant ne se limite pas à la maturation biologique, mais prend en compte l’exercice, l’expérience acquise, la vie sociale.

I/ Le niveau sensori-moteur

La période antérieure au langage est appelée sensori-motrice : ni pensée ni affectivité liée à des représentations. Les constructions de schèmes s’appuient exclusivement sur des perceptions et des mouvements. L’intelligence sensori-motrice se développe par stades dans une progression continue et selon une réciprocité S ó R : assimilation et non pas association unilatérale.
Le point de départ du développement : les activités spontanées et totales de l’organisme, le réflexe. Jamais passif, l’organisme en se mouvant aboutit à des réflexes différenciés et coordonnés (et non pas l’inverse). Les réflexes du nouveau-né essentiels pour l’avenir donnent ainsi lieu à un « exercice réflexe » qui les consolide. Au stade II se constituent les premières habitudes mais sans différenciation entre buts et moyens. Au stade III (vers 4 mois ½) apparaissent des « réactions circulaires », avec coordination entre vision et préhension. Au stade IV seulement s’impose un but préalable mais les moyens employés ne sont empruntés qu’à des schèmes d’assimilation connus. Vers 11-12 mois (V), des moyens nouveaux sont recherchés. Enfin, en VI, les moyens nouveaux sont trouvés, non plus seulement par tâtonnements extérieurs, mais aussi par combinaisons intériorisées (compréhension soudaine). C’est l’achèvement des précédents niveaux.

Cette intelligence organise le réel en construisant, par son fonctionnement même, les grandes catégories de l’action. L’univers initial est centré sur le corps : cet égocentrisme est aussi total qu’inconscient et il faut 18 mois pour qu’une décentration générale s’opère :
D’abord par la formation d’objets permanents, alors qu’il n’y a que monde sans objets mais uniquement des tableaux mouvants et inconsistants. L’espace et le temps se structurent, indissociablement d’une structuration causale qui remplace la causalité initiale magico-phénoméniste.

3 formes se succèdent pour manifester le schématisme sensori-moteur : les structures de rythmes initiales ; les régulations diverses et contrôles par tâtonnements des premiers actes d’intelligence (feedbacks) ; un début de réversibilité source des futures opérations.

Si l’aspect cognitif des conduites consiste en leur structuration, l’aspect affectif consiste en leur énergétique. Baldwin parle d’adualisme initial : aucune frontière entre le monde intérieur vécu et l’ensemble des réalités extérieures (I et II). C’est un narcissisme (Freud) sans Narcisse. Les rythmes se différencient en recherches des stimuli agréables et en tendances à éviter les désagréables. Les progrès affectifs (III et IV) sont solidaires de la structuration générale des conduites. En V et VI, c’est un « choix de l’objet » affectif (Freud) : double constitution d’un moi différencié d’autrui et d’un autrui devenant objet d’affectivité. Décentration affective et décentration cognitive sont un même processus. Les « relations objectales » se constituent en liaison avec le schème des objets permanents.

II/ Le développement des perceptions

L’intelligence procède de l’action en son ensemble et la connaissance est essentiellement assimilation active et opératoire, à l’encontre de ce que pose l’empirisme (connaissance : copie du réel). Le sensori-moteur est irréductible au perceptif : la perception est en effet enrichie par l’activité sensori-motrice et ne peut donc pas la constituer pleinement. Les effets de champ sont des « illusions » ou déformations systématiques et demeurent pourtant qualitativement les mêmes à tout âge ; seule leur intensité diminue sous l’effet des activités perceptives qui elles se développent progressivement. Et ce jusqu’à pouvoir se plier aux directives que leur suggère l’intelligence en ses progrès opératoires. Alors que la théorie de la Gestalt voyait dans les activités perceptives une simple extension des effets de champ, on voit ici qu’au contraire, les effets de champ ne sont que des sédimentations locales d’activités perceptives de niveaux variés. Les notions de l’intelligence comportent des informations perceptives mais aussi toujours des constructions spécifiques plus ou moins complexes. Les structures perceptives reposent sur un mode de composition probabiliste et ainsi sont irréversibles. Elles contiennent aussi une composition non additive ; et comme les opérations sont rigoureusement additives (2+2=4 et pas un peu plus ou un peu moins comme s’il s’agissait d’une perception) et réversibles, il est exclu de tirer les opérations ou l’intelligence en général des systèmes perceptifs. Il y a donc une dualité.

III/ La fonction sémiotique ou symbolique

Fonction génératrice de la représentation, ou portant sur l’ensemble des signifiants différenciés. Malgré une extrême diversité de manifestations, cette fonction présente une unité remarquable. Il y a d’emblée signification, mais le signifiant est indifférencié avant le cours de la seconde année, quand l’évocation d’un objet ou événement absent est possible : imitation différée, puis jeu symbolique, puis dessin, image mentale et enfin évocation verbale sont les étapes de plus en plus complexes. L’imitation est la préfiguration sensori-motrice de la représentation, c’est par elle qu’on passe de ce niveau à celui des conduites représentatives. Symboles motivés (ressemblants à leurs signifiés) et signes arbitraires/conventionnels sont les nouveaux instruments engendrés par la fonction sémiotique.

Le jeu symbolique remplit le mieux la fonction essentielle du jeu chez l’enfant. Il doit en effet pouvoir s’assimiler au réel, alors que l’imitation est accommodation : l’intelligence est l’équilibre entre les deux. D’ailleurs, le symbolisme du rêve est analogue à celui du jeu (freudisme : M. Klein, A. Freud).

G. Luquet : le dessin jusque 8-9 ans est essentiellement réaliste d’intention, mais l’enfant dessine ce qu’il sait, plutôt que ce qu’il voit. Avant, on passe du réalisme fortuit au réalisme manqué, puis aux « bonshommes-têtards », au réalisme intellectuel et vers 8-9 ans donc au réalisme visuel. Les premières intuitions spatiales sont topologiques avant d’être projectives ou euclidiennes.

On distingue les images mentales reproductrices de celles anticipatrices ; mais même une reproduction imagée de mouvements même connus suppose une anticipation et toute image de mouvements s’appuie sur les opérations permettant de comprendre ces processus en même temps que de les imaginer. Les images préopératoires sont donc statiques. Ce n’est que vers 7-8 ans que les images cinétiques et de transformation deviennent possibles. Les images mentales sont un système de symboles qui traduisent le niveau de compréhension préopératoire puis opératoire de l’enfant : elle ne suffit pas à structurer.

Le mémoire de récognition est très précoce, mais la mémoire d’évocation n’apparaît pas avant l’image mentale, le langage. Ce qu’on appelle mémoire est donc l’aspect figuratif des systèmes de schèmes. Le langage débute par une phase de lallation spontanée puis une différenciation des phonèmes par imitation (11-12 mois) avant un stade de mots-phrases (Stern) puis, dans la seconde année, de phrases à deux mots… (R. Brown). [débat Chomsky / Piaget] Il y a une corrélation surprenante entre le langage employé et le mode de raisonnement. Le langage n’est pas la source de la logique, mais est au contraire structuré par elle. Les racines de la logique : la coordination générale des actions depuis le niveau sensori-moteur.
IV/ Les opérations « concrètes » de la pensée et les relations interindividuelles

Il y a un retard entre le schème de l’objet permanent et la réversibilité et les conservations opératoires (7-8 ans) qu’il annonce. Ce retard montre 3 niveaux successifs (et non pas 2 comme le pensait Wallon, De l’acte à la pensée). Entre l’action directe sur le réel (sensori-motrice) et les opérations, il y a un niveau de progrès mais aussi d’obstacles. En premier lieu : la nécessité de reconstruire sur le plan de la représentation ce qui était sur celui de l’action ; cette décentration est encore plus complexe sur un univers plus étendu comme l’est celui de la représentation. Et puis, il faut qu’elle porte sur un univers non plus physique, mais aussi interindividuel, social. Les opérations nécessitent un processus de socialisation cognitive, affective, morale.

Les opérations sont toujours coordonnées en un système d’ensemble. Réversibles (inversion ou réciprocité), elles impliquent un invariant et donc un schème de conservation, ce qui s’acquiert vers 7-8 ans. Ces opérations portent sur des objets, pas encore sur des hypothèses verbales.

Il existe une précausalité entre la cause efficiente et la cause finale (les « pourquoi » vers 3 ans). Ce finalisme montre un réalisme dû à l’indifférenciation du physique et du psychique. Elle est assez proche des causalités magico-phénoménistes. Pour les formes opératoires de causalité, l’obstacle est que le réel résiste à la déduction, il y a toujours une part d’aléatoire. La notion de probabilité se construit peu à peu.

Vers 3 ans se forment des sympathies ou antipathies durables et d’une conscience ou valorisation durable de soi. Alors l’enfant s’oppose à autrui et il cherche à conquérir son affection et son estime. On doit considérer le processus de socialisation, et non pas celui d’une transmission à sens unique. Or la socialisation pose problème, l’enfant pouvant monologuer alors que l’adulte le prend pour des informations lui étant destinées.

Selon P. Bovet, la genèse du devoir nécessite l’intervention de consignes données de l’extérieur et l’acceptation de ces consignes (donc d’un sentiment sui generis de celui qui les reçoit pour celui qui la donne : respect mêlant affection et crainte). Ce respect unilatéral (et non mutuel) engendre une hétéronomie chez l’enfant qui s’atténuera pour laisser place, en partie, à l’autonomie et au respect mutuel.

V/ Le préadolescent et les opérations propositionnelles

Nouvelle structure (négligée par les « tests » focalisés sur les différences individuelles) de la pensée : maniement d’hypothèses et raisonnement sur des propositions abstraites. A l’adolescence, le sujet peut différencier la forme du contenu, c’est le début de la pensée hypothético-déductive ou formelle. Sont possibles, non plus seulement des sériations, classifications, mais des combinatoires (combinaisons, permutations) ; non plus seulement une réversibilité, mais des groupes de réversibilités : quaternalité réunissant inversions et réciprocités en un même système. Par ailleurs, la notion de proportion débute toujours sous forme qualitative et logique (11-12 ans), avant de se structurer quantitativement.

La formation scolaire néglige totalement ou presque la culture de cette pensée. Pourtant, c’est une remarquable formation spontanée de l’esprit expérimental qui s’opère.

Le passage d’opérations concrètes centrées sur le réel à celles formelles qui atteignent ses transformations possibles est un changement de perspective capital non sans conséquences affectives (identité, autonomie morale, nouvelles valeurs, insertion dans la société…)



Conclusion

Trois grandes constructions se succèdent donc des schèmes sensori-moteurs aux relations sémiotiques puis à la pensée formelle. La chronologie de succession devient de plus en plus variable, prouvant par là que la maturation interne est de moins en moins seule à l’œuvre : les influences du milieu croissent en importance. L’expérience acquise n’est pas pur enregistrement : les structures logico-mathématiques sont élaborées avant d’avoir les connaissances physiques. En plus de la maturation et de l’expérience acquise, sont fondamentales les interactions sociales. On ne saurait démêler les aspects affectifs et cognitifs, qui sont à la fois inséparables et irréductibles l’un à l’autre.

Il reste qu’il n’y a pas de plan préétabli, bien que la construction soit progressive, chaque étape étant nécessaire à la suivante. Dimensions ontogénétique et sociale doivent donc être prises en compte ensemble. La cybernétique donne des moyens de penser ce développement, par l’autorégulation avec les boucles rétroactives et anticipatrices.

mardi 2 décembre 2008

Pour que les lancers de tétine restent autorisés


Il est de bon ton, ces derniers temps, de se moquer du PS et de Ségolène Royal en particulier. Les mêmes qui passent leur temps à commenter ainsi l'actualité de ce parti estiment d'ailleurs en général qu'il ne s'y passe rien : par un étrange mouvement, les voilà donc tout occupés à nager dans l'insignifiance. Il n'y a rien à commenter, et pourtant ils y passent leur temps. Le show, le marketing, la comm' politique des uns et des autres, Ségolène ou Martine, c'est insignifiant. C'est du spectacle, au sens de Debord (se reporter aux billets qui lui sont consacrés). C'est ça qui passionne les foules - en attendant, les vrais sujets, la chose publique, sont esquivés. Je n'ai pas parlé de Chomsky & Cie, le film tiré de l'émission de Daniel Mermet - Là-bas si j'y suis - consacré au "peut-être plus grand intellectuel contemporain". Il y a bien montré comment la propagande s'insinue dans les sociétés dites démocratiques : il n'y a certes besoin d'aucun complot, tout cela se fait naturellement par concourance d'intérêts. C'est spontanément que les gens se passionnent pour l'insignifiant. Pendant ce temps, un incongru personnage prétend "moraliser le capitalisme", réforme l'Education Nationale, entend abolir la "retraite-guillotine" (sacrebleu, Mitterrand n'était pas allé jusqu'au bout !), etc. Il me faudra éplucher plus complètement la réforme de l'Education Nationale... quant à la conception du travail n'en parlons pas... En revanche, il y a quelque chose qu'il me faut bien évoquer, parce que ça touche à quelque chose qui me met vraiment hors de moi. Un rapport remis à Rachida Dati préconise d'abaisser de 13 à 12 ans l'âge légal pour emprisonner. Restons-en là, et ce serait déjà choquant au plus haut point. Mais M. Lefebvre, porte-parole, je crois, de l'UMP, surenchérit ! Il reprend les propos de Sarkozy candidat et estime qu'il faut détecter les comportements violents dès le plus jeune âge (3 ans). Bon, quand l'UMP applique ses idées à l'économie, c'est juste aberrant... mais quand ça touche à la justice, c'est absolument inqualifiable, répugnant... C'est là, je trouve, que l'on voit le mieux la différence entre la droite et la gauche. Si on devait penser binairement, ce qui n'est pas ma tasse de thé par ailleurs, je dirais que droite et gauche se distinguent le long du continuum suivant :

liberté <------------------------------------------> communauté

Pour la droite, la communauté prime : le lien, la tradition, les ancêtres, la généalogie, la tribu, l'identité... Et pour la gauche, c'est la liberté individuelle qui prime, la construction de soi, les cultures, le progrès, l'acquis... Pas la peine de m'expliquer que c'est caricatural, discutable, etc... c'est le but de ce genre d'oppositions. C'est cette opposition que je trouve significative, je reste dessus.
De là découle le reste dont les rapports à la justice, et à la science - pour ce qui m'intéresse dans cet article. Pour la droite, il faut protéger la communauté du désordre (la liberté) et la science est utilisée à cet effet ; pour la gauche en revanche, on ne saurait se priver des libertés au nom d'une prétendue sécurité. C'est ainsi que l'on comprend l'utilisation que l'on peut faire de la psychologie. D'un côté pour contrôler les masses, améliorer la réception de la propagande (pardon, la publicité), obtenir une plus grande efficacité économique en développant la motivation qui pousse les éléments à dépasser leurs limites (l'esclavage, pardon, le coaching), ramener les vilains petits canards vers une norme sociale rassurante, mettre à l'écart les déviants sous le fallacieux prétexte de les soigner...
De l'autre côté, on entend utiliser les connaissances de la psyché humaine pour permettre une plus grande émancipation de l'individu. La psychanalyse par exemple, au départ, a pour but la prise de pouvoir du conscient sur l'inconscient (Où Ca était, Je dois advenir), pas du tout de guider vers une norme préétablie pour reproduire l'ordre social.
Je ne vais pas reprendre l'argumentaire contre la détection dès 3 ans des comportements violents, vous trouverez certainement tout ce qu'il faut sur le vieux site (le gouvernement avait déjà renoncé en 2006 devant le tollé) de la pétition "Pas de zéro de conduite pour les enfants de 3 ans". Les postulats philosophiques qui conduisent à ce genre de mesures sont inacceptables, tout simplement. Comment peut-on nier l'humanité aussi férocement ?
Il y en a marre ! Ras-le-bol de ces conceptions liberticides. Ras-le-bol de cette tentation de faire de tous des moutons de panurge, de découper les têtes qui dépassent. C'est quoi la vie ? Aller à la crèche, subir des tests psychologiques plus crétins les uns que les autres, aller à l'école, y apprendre qu'on y est uniquement pour intégrer le marché du travail - le plus tôt sera le mieux - marché sur lequel on est amené à faire un boulot de plus en plus dépourvu d'intérêt puisque toujours plus segmenté et spécialisé, sans vision d'ensemble donc sans satisfaction ni motivation... si toutefois on a la "chance" d'avoir un job, auquel cas il ne faudra pas broncher sous peine de le perdre, le job - y en a tellement qui attendent après... C'est ça la vie ? Suivre le chemin de l'abrutissement le plus complet ? Et puisqu'on vit plus vieux, faut travailler plus longtemps (logique à la con s'il en est). Et puisque la vie est si merdique qu'on n'a plus le temps de rien faire en semaine, il faut travailler aussi le dimanche pour qu'on ait le temps de consommer. Le soir, écoeuré et épuisé par son travail e la journée, il n'y a plus qu'à regarder le foot ou les séries US à la télé... pas la force de remettre en cause sa vie... suffit d'attendre les vacances tant attendues (E. Morin : "La vacance des grandes valeurs fait la valeur des grandes vacances"). On ne supporte pas sa vie, et c'est pour cette raison qu'on n'est pas capable de se révolter. Alors tout continu. Stress, chiffres, normalité. G. Debord : "Ils ne sont que des chiffres dans des graphiques que dressent des imbéciles."
Mais qui parle encore de qualité, de qualité de vie ? La preuve que la crise économique que nous traversons n'est pas majeure est bien que le modèle de société n'est absolument pas remis en cause. On le croyait, ou espérait, au début (Wallerstein, Stiegler, ...)... mais c'était prendre ses rêves pour des réalités. Mais rien ne change. Ce débat est totalement esquivé... alors... vous reprendrez bien un baril de Ségolène !