jeudi 25 décembre 2008

Alexandre Vialatte remonte à la plus haute antiquité


Querellus editoriam, ça va comm’ sum. "Cessons de chercher querelle à l’éditeur", disait déjà Pline l’Ancien il y a près de deux mille ans. Rarement, au cours de l’histoire du monde, une profession aura été autant controversée que celle d’éditeur. Aujourd’hui encore, on accuse des éditeurs, et tous les éditeurs d'ailleurs, d’exploiter les auteurs. Dieu merci, ce n’est pas l’avis de tout le monde. À la question : "Les éditeurs sont-ils un mal nécessaire ?" 100 % des maquereaux de Pigalle interrogés répondent : "Oui, bien sûr. Si y a personne pour les pousser au cul, les livres, y restent dans la rue au lieu de monter dans les étages." ainsi Pierre Desproges entamait-il son réquisitoire du Tribunal des flagrants délires contre André Balland.
J'avais bien envie, il y a quelques jours de cela, de le prendre à contrepied et de chercher querelle à l'éditeur. Je souhaitais en effet me procurer les Chroniques de la Montagne d'Alexandre Vialatte, auteur, comme il le dit lui-même "notoirement méconnu" que le même Desproges citait avec tant d'admiration ("Si vous n'êtes pas capables de vous passer d'un épisode de Dallas pour lire les chroniques de Vialatte") qu'il m'a donné l'envie de la découvrir. Or, croyez-le ou non (oui vous le croyez), mais il est très difficile de trouver en librairie des livres de cet énergumène ! Même à Clermont-Ferrand, lieu de vialagiature théoriquement éminent puisque c'est bel et bien le journal auvergnat qui hébergea les 900 chroniques en question. Ubuesque, non ? L'occasion de se reporter sur Alfred Jarry ? Ces chroniques sont éditées désormais chez Robet Laffont dans la collection Bouquins en deux volumes, mais ne sont plus disponibles (si ce n'est le tome 1). Allai-je devoir me contenter de la satisfaction d'avoir déjà lu du Vialatte, sans le savoir, puisque c'est lui qui traduisit Le Gai Savoir et Ecce homo de Nietzsche ? Non : un dernier exemplaire du tome 2 était en circulation sur chapitre.com, j'étais sauvé et c'est ainsi qu'Allah est grand, aurait dit Vialatte.
Voilà, je n'ai fait qu'entamer cette lecture qui s'annonce au long cours : 2000 pages pour 898 chroniques. Mais après seulement 1,11% de lu (10 chroniques, refaites le calcul, c'est très intéressant), je suis déjà estomaqué. Il est évident que tout adorateur invertébré (et vertébré aussi, pourquoi pas) de Desproges devrait lire Vialatte, la filiation est assez claire. Le style est juste exceptionnel, le choix des mots stupéfait à chaque détour de phrase. Dégagé dans tous les sens du mot dégagé et du mot sens, comme dirait n'importe quel inéminent pataphysicien, Vialatte ne parle que de son époque au moyen de romans, ou tout ce qui a trait à l'art et à l'humain. Les sentences sont miraculeuses.

"Où allons-nous si Ferdinand Lop se met à offenser la grammaire ! Nous n'y allons plus, nous y sommes. C'est une époque extraordinaire. J'oubliais en effet de dire que l'almanach Vermot nous apprend qu'on a trouvé en Tchécoslovaquie, à Petovice exactement, des mammifères amphibies à trois yeux ! Le progrès fait rage ! Et c'est ainsi qu'Allah est grand." Chronique n°9, 3 février 1953

Etonnant, non ?

Et ceci alors qu'il parle des lapins d'Henri Pourrat, lequel les élève en dehors du clapier qu'il leur a construit : "Les lapins s'ébrouent dans le jardin, font mille folies dans la carotte, commettent des crimes dans la luzerne ; et s'ébattent dans le chou quintal avec une naïveté charmante. Ils se jettent dans les jambes du facteur. Jamais ils ne sortent par la porte ! Un jour, ils sauteront d'eux-mêmes dans la casserole ; on s'étonne des progrès de la civilisation." Chronique n°2, 16 décembre 1952

Je vous en reparlerai...

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