vendredi 19 décembre 2008

Resweber, Les pédagogies nouvelles

La pédagogie change de perspective aux XVIIe et XVIIIe siècles alors que l’enfant est enfin posé comme sujet libre et autonome (Ph. Ariès).

Les courants pédagogiques

I/ La pédagogie négative

On s’interroge sur la liberté, avec une inspiration pédagogique : on pose la question des fins de l’éducation. Rousseau et son fameux « Laissez croître. » fonde la pédagogie sur la liberté individuelle et érige le transfert en loi de tout apprentissage, en pariant sur l’absence de méchanceté de l’homme. On nie donc les valeurs héritées du passé et cette éducation repose sur la « seconde lecture » (lecture rétrograde) : la clé de l’expérience n’est donnée qu’à la fin car l’essentiel n’est pas le principe mais son bien-fondé. Hegel, Goethe, Freud et Heidegger s’y inscrivent pour dévoiler une vérité menacée de se voiler sous l’ordre de la mesure, norme, regard économique. L’éducateur est le lieu-tenant de la marge, de l’inconscient.

Certains sont plus libertaires (école de Hambourg) : Tolstoï ouvre une école en 1849 ; Neill fonde l’école de Summerhill en 1920. On pousse le laisser-croître jusqu’au laisser-faire. K. Lewin estime que si le mode autoritaire provoque l’anxiété, le laisser-faire génère de l’angoisse et il préconise un mode démocratique, entre les deux.

II/ L’anti-pédagogie

La tradition hippocratique et socratique identifie savoir et santé, ignorance et maladie. Et comme savoir et santé renvoient à des normes édictées par la société, l’anti-pédagogie dénonce une structure insidieuse d’enfermement (Foucault), un agent reproducteur de la société de consommation (Illich), un instrument de reproduction sociale (Bourdieu) et un ensemble de procédures excluant l’enfant de son désir (Boujedra, Scherer, Celma, Mannoni). Du moins ce courant critique-t-il les techniques, méthodes et programmes de la pédagogie classique. Le groupe remplace le maître, l’enseignant devient secrétaire du groupe (dans la pratique, c’est plus difficile).

Eduquer : donner forme à son désir… c’est une pédagogie de l’éveil, de l’imaginaire, de la créativité, de l’étonnement. Elle cherche la libération des sujets par une relation dynamique et réciproque. Elle se démarque de l’école et de son savoir institué (paideia) et y substitue un modèle sacral. L’alibi est politique : c’est une contestation continuelle de la forme acquise, au nom du désir, qui est visée

III/ La pédagogie institutionnelle

Parallélisme également entre curabilité et éducabilité avec 2 orientations : une psychanalytique (F. Oury, A. Vasquez) et l’autre socio-analytique (groupe de Gennevilliers) après la scission en 62 du GTE de Freinet. Mais, au lieu de s’offusquer de la condition de l’école milieu où se fonde l’image de la société globale ; la pédagogie institutionnelle y voit une chance : elle insiste sur le rôle des institutions internes (groupe-classe, tiers médiateur) où s’investissent l’angoisse. C’est ainsi qu’elle entend, elle aussi, produire l’inconscient (pédagogie par objectifs). L’utopie fouriériste d’autogestion la travaille : il existerait une institution meilleure, sinon idéale échappant aux effets Lukacs (ignorance des conditions d’apparition de l’institution), Weber (chape normative de l’appareil organisationnel) et Mülhmann (refoulement des finalités premières). Cela pose la question de l’analyse institutionnelle. Il n’y a point d’éducation (e-ducere) sans un processus de désubjectivisation.

IV/ La pédagogie thérapeutique

Le pédagogue est à la fois prêtre et médecin, selon qu’on l’interprète au plan réel, imaginaire ou symbolique. Discours médical et pédagogique se veulent une grammaire pour déchiffrer les symptômes. Alors on s’interroge sur ce que cache cette monstration : c’est la pédagogie thérapeutique.

C. Rogers et la méthode non-directive : il encourage le client à s’exprimer librement, à devenir ce qu’il est et à accéder à un désir qu’il s’est interdit. L’apprentissage scolaire est aussi une catharsis, un moyen de libérer les blocages. Quant à D. Winnicott, il théorise cette pédagogie : le holding remplace la sympathie rogérienne. Une surface imaginaire permet au sujet de constituer le self ; il en constitue d’autres car la loi du désir consiste à lâcher prise pour d’autres surfaces. Le sujet peut s’abriter derrière un faux self. L’opérateur qui assure le passage entre faux et vrai self est le jeu, le squiggle game. Apprendre : se surprendre soi-même au jeu de la prise. J.-L. Moreno (« psychodrame ») met lui l’accent sur l’éducation à la spontanéité avec le théâtre impromptu. S’en inspirent les nouveaux groupes thérapeutiques (W. Reich, A. Lowen, A. Janov, H. Laborit…) qui insistent sur le corps redressé, décontracté, libéré sexuellement. D’Hippocrate et Socrate à Rousseau, il faut que l’ignorance soit un mal pour justifier la violence du pédagogue qui impose la loi de sa vérité

V/ La dynamique de groupe

Freinet et le conseil de coopérative en est l’esquisse. Le modèle : le T. Group. L’idée est d’aboutir à une mise en perspective des rapports d’attraction et des rapports de rejet que constituent le tissu social (sociogramme de Moreno). Et cela pour corriger les déficiences affectives du lien social, en permutant les rôles. Diverses grammaires existent, non exclusives les unes des autres. En milieu scolaire, on voit alors l’enseignant comme un « facilitateur » et le groupe non directif. Le but est d’acquérir la capacité d’acquérir des connaissances. Par rapport à la pédagogie institutionnelle, il y a une finalité critique et politique de libération de l’imaginaire. Avec une métaphore d’unité du groupe, la fonction du leader pose problème : son autorité repose sur ses aptitudes à faire surgir et canaliser les interactions du groupe. Cette pédagogie peut sembler abriter une démission mais reste essentielle sous 3 conditions : y recourir pour débloquer les préjugés ; comme réflexion sur l’avenir professionnel ; ou comme jeux pédagogiques.

VI/ Pédagogie et psychanalyse

La polémique en 1909 entre F. W. Foerster et O. Pfister pose la question du bon usage de la psychanalyse en pédagogie. A. Adler apporte beaucoup sur la relation pédagogique, le projet de vie, l’importance de l’intersubjectivité en éducation. Le transfert peut s’interpréter à la lumière de la psychanalyse (A. Aichhorn). Cependant, le pédagogue, même thérapeute, n’est pas psychanalyste. La psychanalyse est en amont : ce qui va du « ça » des pulsions au moi censé en émerger. L’éducation est en aval : ce qui va du sur-moi au moi. Si l’expérience psychanalytique vise au remodelage de l’inconscient, l’éducation tente de rationaliser le surmoi. L’apprentissage par transfert commande le transfert d’apprentissage (transmission incitative ou maïeutique). Et puis les deux disciplines usent de la parole vraie. Le père fixe l’enfant au double sens du principe (arche) et de la fin (telos) et la parole éducative en sera une répétition spécifique, au sens non de redite mais de reprise.


L’expérience pédagogique


I/ Les impératifs pédagogiques

Freud et Piaget ont pensé par stades mais cette logique s’appuie sur un langage mixte : induit de l’observation, construit par l’éducateur ; et langage second qui occulte le langage premier du rythme. On peut penser les blocages affectifs ou intellectuels comme une perte de cadence… Par ailleurs, le sujet des pédagogies nouvelles gagne à être interprété en termes de processus de subjectivisation (Foucault). Et Dolto a raison de distinguer dans l’imago du corps les couches d’une double écriture : l’image basique du narcissisme structure l’image dynamique ; l’imago articule la dimension réelle du schéma corporel à la dimension symbolique de la figure.

Comment avoir raison de la résistance ? La motivation est renforcée par le dépassement de la résistance ; elle relève de l’affectif qui est le terreau de toute cognition (Piaget, Vygotski). Ainsi la formule de Lacan : « ne pas céder sur son désir » = on est motivé si on perçoit le motif du désir (le plaisir de devenir autre que soi-même).

La relation est le moteur de la formation ; les pédagogies nouvelles rompent avec le modèle sophistique d’une pédagogie du mensonge (Kierkegaard). Le maître est le symbole de l’ailleurs ; la relation est donc à trois termes et il y a un constant travail de distanciation. Et Nietzsche disait que connaître, c’est habiter un inconnu, transformé, du fait de cette habitation, en lieu familier (Le Gai Savoir, 355). Qu’on insiste sur la croissance, l’assimilation, la fonction transitionnelle de la pédagogie se trouve au carrefour et les pédagogies nouvelles empruntent autant au modèle incitatif ou maïeutique qu’au modèle appropriatif


II/ Au carrefour des théories et des pratiques

Les pédagogies fondamentales

Rudolf Steiner – théorie pédagogique axée sur le développement total. Il pense en termes de processus relationnels : phase d’imitation, phase de création, puis jugement libre. 3 dimensions en interaction : l’action l’expérience esthétique, la contemplation (admirateur de Goethe). Cf. Ecole Waldorf.

L. S. Vygotski donne une synthèse des repères régulateurs nécessaires. Pensée, sensibilité, langage et corps sont indissociables. C’est une pédagogie de la médiation ; il utilise la notion de « zone proximale de développement » l’intervention devant « élever » l’enfant, en se basant sur le niveau de compétences en sommeil de la zone intermédiaire.

Henri Wallon – l’initiateur des pédagogies nouvelles. Président en 1946 de la commission qui rédige le plan Langevin-Wallon. Il conçoit une Ecole unique en 3 cycles jusqu’à 18 ans. C’est un projet autour de l’enfant, autou c’est la culture à laquelle il faut élever l’enfant.

Jean Piaget – le développement de l’enfant. Il distingue 4 stades. Le sujet épistémique, par son savoir, se construit en construisant le monde ; il a le pouvoir de maîtriser les éléments de son environnement.

J. S. Bruner complète l’approche cognitive de Piaget par l’accent qu’il met sur les interactions sociales et les contextes culturels (le langage).




Les pédagogies appliquées

Maria Montessori – le courant sensualiste (Condillac). L’enfant apprend à habiter le monde. L’image du corps et le renversement de la relation entre l’enfant et l’adulte sont la base de méthode. Le détour par le jeu est nécessaire à la constitution du je.

Olivier Decroly – développement de la relation. L’implication de l’enfant dans le rapport social, la découverte de sa personnalité comme partie prenante (inter-esse) de la société est le moteur de l’éducation. Influence empiriste et associationiste !

L’école nouvelle d’Antony (le Père Castor) emploie largement « l’expérience tâtonnante » de Freinet.

A. S. Neill – l’expérience de la libération. Neill transcrit sur le plan de la pédagogie la distinction nietzschéenne entre les forces actives et les forces réactives. Les idéaux religieux ou progressistes étouffent la libre expression de la vie. « L’autodétermination, en matière d’éducation, a une valeur infinie. »

L’école de Barbiana – climat de responsabilité et liberté. L’école doit devenir un lieu de partage d’une culture débordant les savoirs académiques. Mais, à la différence de l’école de Summerhill, il y a une éducation à la citoyenneté. L’éthique pédagogique de l’abbé Don Lorenzo est inséparable d’une prise de conscience politique.

Célestin Freinet – méthode naturelle. Développer harmonieusement les facultés de l’individu, en équilibre avec son milieu. Le pivot de la méthode : le plaisir de pouvoir et d’agir (expérience tâtonnante). Quelques techniques d’action : l’expression libre, la vie de travail et le travail sur la vie, le besoin logique de connaître et de classer, le besoin artistique de représenter… sont utilisées entre les travaux d’atelier et les activités intellectuelles correspondantes. Le groupe (fratrie subie devenue communauté) permet à l’enfant de transformer en œuvre la réalisation technique. Freinet a fondé en 1944 l’école moderne française.

Les CEMEA de Gisèle de Failly (1936) : carrefours entre théorie et pratique ; formation de cadres, etc.


On ne naît pas sujet, on le devient et on n’a jamais fini de le devenir.

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