vendredi 30 décembre 2011

Précautions oratoires


Un certain Bruno Chaouat, directeur du Center for Holocaust and Genocide Studies, complète les billets comiques actuellement en prolifération au journal Le Monde. Je recommande celui de Caro, Caroline Fourest, mais aussi celui de Alain Beitone, grandiose au point que Etienne Chouard s'est fendu d'une petite réponse de derrière les fagots. Mais revenons à nos moutons. Le sieur Chaouat entreprend donc de critiquer Pierre Nora. Ce qu'il a à dire est d'autant plus important qu'il annonce être d'accord avec Nora sur le point essentiel. 

Vraiment, ce qui ne va pas du tout, ce n'est vraiment pas bien Monsieur Nora, c'est de critiquer la France alors qu'il y a une tête-de-turc plus pratique. Atatürk était vilain, et État Turc encore aujourd'hui. Ces gens-là sont négationnistes, ce qui est très mal. Alors, avant de critiquer la France, il faut s'indigner que les méchants soient vilains, parce que nous on est gentils quand même. Et c'est vrai, l'indignation ne doit pas être sélective. 

S'exprimer risquant par là de devenir légèrement fastidieux, je propose la rédaction d'un préambule que chacun pourra copier et coller en amont de la critique qu'il aura à formuler contre les lois de ce pays dont nous sommes citoyens. 

Voici : 

"Je condamne avec la plus grande fermeté tous les crimes inqualifiables, barbares, et rappelant les heures les plus sombres de notre histoire, commis dans les pays suivants :
Afghanistan, Afrique du Sud, Akrotiri, Albanie, Algérie, Allemagne, Andorre, Angola, Anguilla, Antarctique, Antigua-et-Barbuda, Antilles néerlandaises, Arabie saoudite, Arctic Ocean, Argentine, Arménie, Aruba, Ashmore and Cartier Islands, Atlantic Ocean, Australie, Autriche, Azerbaïdjan, Bahamas, Bahreïn, Bangladesh, Barbade, Belau, Belgique, Belize, Bénin, Bermudes, Bhoutan, Biélorussie, Birmanie, Bolivie, Bosnie-Herzégovine, Botswana, Brésil, Brunei, Bulgarie, Burkina Faso, Burundi, Cambodge, Cameroun, Canada, Cap-Vert, Chili, Chine, Chypre, Clipperton Island, Colombie, Comores, Congo, Coral Sea Islands, Corée du Nord, Corée du Sud, Costa Rica, Côte d'Ivoire, Croatie, Cuba, Danemark, Dhekelia, Djibouti, Dominique, Égypte, Émirats arabes unis, Équateur, Érythrée, Espagne, Estonie, États-Unis, Éthiopie, ex-République yougoslave de Macédoine, Finlande, Gabon, Gambie, Gaza Strip, Géorgie, Ghana, Gibraltar, Grèce, Grenade, Groenland, Guam, Guatemala, Guernesey, Guinée, Guinée équatoriale, Guinée-Bissao, Guyana, Haïti, Honduras, Hong Kong, Hongrie, Ile Bouvet, Ile Christmas, Ile Norfolk, Iles Cayman, Iles Cook, Iles des Cocos (Keeling), Iles Falkland, Iles Féroé, Iles Fidji, Iles Géorgie du Sud et Sandwich du Sud, Iles Heard et McDonald, Iles Marshall, Iles Pitcairn, Iles Salomon, Iles Svalbard et Jan Mayen, Iles Turks-et-Caicos, Iles Vierges américaines, Iles Vierges britanniques, Inde, Indian Ocean, Indonésie, Iran, Iraq, Irlande, Islande, Israël, Italie, Jamaïque, Jan Mayen, Japon, Jersey, Jordanie, Kazakhstan, Kenya, Kirghizistan, Kiribati, Koweït, Laos, Lesotho, Lettonie, Liban, Liberia, Libye, Liechtenstein, Lituanie, Luxembourg, Macao, Madagascar, Malaisie, Malawi, Maldives, Mali, Malte, Man (Isle of), Mariannes du Nord, Maroc, Maurice, Mauritanie, Mayotte, Mexique, Micronésie, Moldavie, Monaco, Monde, Mongolie, Monténégro, Montserrat, Mozambique, Namibie, Nauru, Navassa Island, Népal, Nicaragua, Niger, Nigeria, Nioué, Norvège, Nouvelle-Calédonie, Nouvelle-Zélande, Oman, Ouganda, Ouzbékistan, Pacific Ocean, Pakistan, Panama, Papouasie-Nouvelle-Guinée, Paracel Islands, Paraguay, Pays-Bas, Pérou, Philippines, Pologne, Polynésie française, Porto Rico, Portugal, Qatar, République centrafricaine,République démocratique du Congo, République dominicaine, République tchèque, Roumanie, Royaume-Uni, Russie, Rwanda, Sahara occidental, Saint-Christophe-et-Niévès, Sainte-Hélène, Sainte-Lucie, Saint-Marin, Saint-Pierre-et-Miquelon, Saint-Siège, Saint-Vincent-et-les-Grenadines, Salvador, Samoa, Samoa américaines, Sao Tomé-et-Principe, Sénégal, Serbie, Seychelles, Sierra Leone, Singapour, Slovaquie, Slovénie, Somalie, Soudan, Southern Ocean, Spratly Islands, Sri Lanka, Suède, Suisse, Suriname, Swaziland, Syrie, Tadjikistan, Taïwan, Tanzanie, Tchad, Terres australes françaises, Territoire britannique de l'Océan Indien, Thaïlande, Timor Oriental, Togo, Tokélaou, Tonga, Trinité-et-Tobago, Tunisie, Turkménistan, Turquie, Tuvalu, Ukraine, Uruguay, Vanuatu, Venezuela, Viêt Nam, Wake Island, Wallis-et-Futuna, West Bank, Yémen, Zambie, Zimbabwe
Je condamne avec la même force ce qui a pu se passer d'aussi moyenâgeux, obscurantiste et pervers sur les autres planètes du système solaire, ainsi que dans l'Univers tout entier. Je condamne tous les crimes, délits, incivilités et atteintes à la Bienséance de l'Histoire de l'humanité. Vous vous reporterez avantageusement à la Bible, au Coran, au Code Pénal et aux livres de Bernard-Henri Lévy pour en trouver la liste. 

Fort de ces anathèmes intransigeants, j'estime être en mesure d'émettre une légère critique à l'encontre de mon pays, le pays des Lumières ! des Droits de l'Homme ! le Phare du Progrès et l'Esprit du Monde. Oh ! certes... ce n'est qu'une broutille en comparaison des dépravations sus-nommées... mais nous sommes le seul pays universel et éternel doué d'auto-critique et c'est ce qui fait notre magnificence.

Toutefois, il me semble utile de préciser avant cela que je ne suis pas : 
Intolérant, raciste, antisémite, nazi, pédophile, terroriste, d'extrême droite ni d'extrême gauche (je me lève chaque matin en pensant : "les extrêmes se rejoignent"), conspirationniste, voleur de poules, théoricien du complot, populiste, abstentionniste, négationniste, révisionniste, fanatique, intégriste, mangeur d'enfants, tortionnaire d'animaux, assassin de vieilles dames, internaute, vidéo-joueur qui écoute Marilyn Manson, tueur en série, décroissant, réactionnaire, protectionniste, fasciste

Je pense enfin qu'il faut respecter : 
Les gentils, les méchants, les beaux, les moches, les Arabes, les handicapés, les Noirs, les enfants, les grands, les moyens, les petits, les tout petits, les Belges, les journalistes, les femmes, les ours blancs, les pauvres, les alcooliques (il y en a des bien), etc.

Moyennant quoi,"


je prétends que cette loi est une infamie.

mardi 20 décembre 2011

Bilans 2011

C'est l'heure des bilans. Je veux bien m'y coller. C'est vite vu. 

Disques achetés : zéro. 0. Aucun.  Le bilan musical est fait.

Livres achetés : 1. Un seul. C'est donc le meilleur livre de l'année 2011. C'est L'enculé, de Marc-Edouard Nabe. Livre paraît-il "abject", "pornographique", "antisémite", "négationniste littéraire". De l'avis général des chevaliers fallacieux de la bienséance.

Films vus : 2. Deux ! On progresse. J'ai raté le Nuri Bilge Ceylan, il reste le Sokourov (?). Ça pourrait faire quatre. Mais c'est d'eux : Melancholia (Lars von Trier) et Le Cheval de Turin (Béla Tarr), que je peux parler. J'ai déjà expliqué en long, en large et surtout pas d'équerre pourquoi ces deux films comptent. 

Et voilà comment on mène rondement une affaire. J'aime mon époque, de plus en plus.

samedi 17 décembre 2011

Nathalie Arthaud noyée

C'est amusant d'avoir mis des années à comprendre quelque chose, et de constater que d'autres n'y comprennent toujours rien. Il y a long temps que j'ai perdu le PS, et toute la gauche officielle d'ailleurs. Emmanuel Todd persiste à penser que la situation catastrophique obligera Hollande à être raisonnable. Rien ne l'indique ! J'en serais tout ébahi. L'extrême-gauche, depuis 2005 m'a toujours parue insignifiante. Mais aujourd'hui j'entends Nathalie Arthaud, candidate en 2012 pour Lutte Ouvrière. 

Toujours le même problème : vous parlez aux ouvriers, au nom des ouvriers, mais retournez-vous - ils ne sont pas là, ils sont au FN. Arthaud parle d'internationalisme. Marx qui prévoit que la mondialisation obligera à penser des solutions à un niveau supérieur à la nation. Travailleurs de tous les pays, unissez-vous !

Mais précisément, c'est là ce qui n'est pas compris. Dame Arthaud considère que les ouvriers Chinois sont nos frères et non nos concurrents. Ils sont les deux. Le capitalisme utilise cette idéologie de (extrême-)gauche, l'internationalisme, pour mettre les ouvriers en concurrence entre les pays, à l'intérieur des pays, et favorise l'émergence d'un lumpen-prolétariat (sortes de racailles à casquette NYPD, lumpen-prolétariat qu'on trouve partout du 9-3 à l'Elysée) qui détourne tout le monde des luttes sociales et démocratiques. 

Mais les ouvriers, eux, pour vivre cette situation tous les jours, ont tous compris autre chose que Dame Arthaud. Et nous aussi. Marx le prévoyait. Jaurès le déclamait. Péguy, je l'ai assez cité, l'écrivait si brillamment.

On n'est pas aidé !

lundi 12 décembre 2011

Le pré-cinéma (première partie)

Au commencement était Platon. Il est obligatoire de commencer par les Grecs, mais les peuples du Magdalénien provoqueraient déjà la stupéfaction des plus obtus des revenus de tout. C'est quasiment une platitude de parler de l'allégorie de la caverne. Les prisonniers sont au cinéma, ils fixent un écran et prennent les ombres pour la réalité. 



Quant à Aristote, il utilise un sténopé. Le bougre se met en tête de décrire une éclipse solaire, il l'observe à travers la première chambre noire de l'histoire : une pièce dont un mur est percé d'un trou étroit (littéralement sténopé) formant une image inversée sur le mur lui faisant face. On notera qu'il aurait pu observer directement le Soleil, comme le fera un ahuri (Belge) que nous retrouverons plus tard et qui en devint aveugle. Il ne l'a pas fait, car il n'était pas né de la dernière pluie. 

Images projetées à quelques mètres sur un mur par les deux trous d'un sténopé à miroir

Au cours des siècles, cet instrument est utilisé à des fins d'astronomie. Notre ami Leonardo en décrit le principe en 1514 :
« En laissant les images des objets éclairés pénétrer par un petit trou dans une chambre très obscure, tu intercepteras ces images sur une feuille blanche placée dans cette chambre […] mais ils seront plus petits et renversés »


On note cette fâcheuse attitude consistant à donner les réponses aux questions qui se posent. Cela dit, il a en partie tort, mais il n'est plus là pour que nous puissions lui taper sur les doigts et constater qu'il fait moins le malin après ça. Tant pis. A partir de ce moment-là, la camera obscura, ainsi dénommée, prend d'assaut les ateliers de peintres qui s'en servent, tel Vermeer, tel Rembrandt, par exemple, pour peindre leurs chefs-d’œuvre.

En 1646, Athanasius Kircher (Ars Magna Lucis et Umbrae) décrit la camera obscura et l'image réversible, d'accord, mais aussi les lanternes magiques. La lanterne magique, c'est l'inverse de la camera obscura : c'est une chambre noire dans laquelle une source lumineuse envoie ses rayons ayant traversé une plaque en verre dessinée de quelque monstre ou spectre vers un mur-écran.
De petites histoires sont imaginées (Cadet Rousselle) tandis qu'un certain Robertson dépose en 1799 le brevet du Fantascope et propose des spectacles de fantasmagories, qui font sensation.

Tout cela est bien gentil, et c'est même extraordinaire, mais il y a plus fort encore. Après tout, n'importe quel arbre est capable de faire la même chose : les petits "trous" laissés entre les feuilles de celui-ci sont autant de sténopés naturels, mais allez repérer qu'un morceau de ciel bleu est à l'envers !... Je n'ai pourtant pas pour intention d'abattre les arbres. Il y a mieux, disais-je, parce que l'illusion du mouvement peut être obtenue à partir d'images fixes. 

Les Grecs, toujours eux, avaient constaté le phénomène de la persistance rétinienne. Croyez-le ou non, notre œil n'est pas parfait et une image s'y imprime, c'est le mot : une empreinte y subsiste, un moment certes, mais y subsiste. Mon bon ami Isaac Newton a pu élaborer un disque (à son nom désormais) composé des couleurs du spectre solaire et qui, une fois mis en rotation, laisse apparaitre du blanc (du moins en théorie, parce que moi, je n'ai jamais vu que du gris-rose).
Merci Mathilde, Cécile et Camilla.

Par l'utilisation d'une lampe stroboscopique, on alterne les phases lumineuses (flashs) et les phases obscures. Ah... et on déjoue en quelque sorte ce défaut de notre œil, et on distingue de nouveau ces couleurs que nous avions fondues en du blanc. Étonnant, non ?

Mais j'ai pris un peu d'avance. Je n'aurais pas du. En 1826, le Dr Paris, londonien comme son nom l'indique, invente le thaumatrope. "Invente" 15 000 ans après l'invention, mais le lobby des Magdaléniens n'a pas jusqu'à ce jour fait parler sa puissance de feu pour récupérer la paternité de l'invention.

Florent Rivière mérite un coup de chapeau
Un thaumatrope ? Un prodige tournant. Vous connaissez certainement l'oiseau dans la cage, ou le poisson dans le bocal, des grands classiques. Deux images chacune sur une face d'un disque se superposent lors de sa rotation.

Je retrouve trois ans plus tard mon ahuri (Belge), celui qui s'est aveuglé (pour la Gloire et pour la Science). Joseph Plateau, il s'appelait. Il a inventé - tenez-vous bien, le phénakistiscope en 1833. Ce mot-là signifie "observation trompeuse". Notez comme les noms de ces jeux sont extravagants et extraordinaires. Ce n'est d'ailleurs pas fini. Ces noms sont porteurs d'une poésie et d'un mouvement, à l'image si j'ose dire des objets qu'ils désignent. Mais revenons au phénakistiscope. Dominique Auzel (Emile Raynaud, et l'image s'anima) laisse Baudelaire en parler : 
"Supposez qu'un mouvement quelconque, par exemple un exercice de danseur ou de jongleur, divisé et décompensé en un certain nombre de mouvements ; supposez que chacun de ces mouvements, - au nombre de vingt, si vous voulez - soit représenté par une figure entière du jongleur ou du danseur, et qu'ils soient tous dessinés autour d'un cercle de carton. Ajustez ce cercle, ainsi qu'un autre cercle troué, à distances égales, de vingt petites fenêtres, à un pivot au bout d'un manche que vous tenez comme on tient un écran devant le feu. Les vingt petites figures, représentant le mouvement décomposé d'une seule figure, se reflètent dans une glace située en face de vous. Appliquez votre œil à la hauteur des petites fenêtres, et faites tourner rapidement les cercles. La rapidité de la rotation transforme les vingt ouvertures en une seule circulaire, à travers laquelle vous voyez se réfléchir dans la glace vingt figures dansantes, exactement semblables et exécutant les mêmes mouvements avec une précision fantastique. Chaque petite figure a bénéficié des dix-neuf autres. Sur le cercle, elle tourne et sa rapidité la rend invisible ; dans la glace, vue à travers la fenêtre tournante, elle est immobile exécutant en place tous les mouvements distribués entre les vingt figures."

Extraordinaire. Mais là encore, le principe date de plusieurs millénaires. On le retrouve chez les précolombiens (une assiette Mochica) et même un vase retrouvé en Iran datant de 5200 ans (la cité Brûlée). Bref, lisez le livre de Marc Azéma : La Préhistoire du cinéma. C'est passionnant.

Mais une personne, une seule, peut observer ce mouvement. Alors le jeu est perfectionné, nombre d'inventeurs se saisissant de la question. Dès 1835, William Georges Horner remplace la roue du phénakistiscope par un tambour ouvert et percé de fentes, muni d'une bande de dessins placés entre les fentes dans la partie inférieure du tambour. C'est le zootrope (animal qui tourne), qui permet une observation à plusieurs, en faisant tourner le tambour et en regardant par les fentes (entre les fentes, le noir empêche la superposition des images sur notre rétine).





Plus tard en 1877, c'est Émile Raynaud qui améliore le jeu en remplaçant cette fois les fentes par un prisme de miroirs au centre du tambour. Nul besoin d'éclipse, et la luminosité est parfaite. Il appelle ce jeu le praxinoscope (observation d'une action) qu'il améliorera lui-même jusqu'au théâtre optique.




mercredi 7 décembre 2011

La fin du terrorisme cinématographique

Ça aura terminé comme ça. Une lumière qui s'éteint (une patate crue). C'est Le Cheval de Turin, le dernier film de Béla Tarr. Le dernier : le dernier en date, mais l'ultime, aussi. C'est fini. Il n'en tournera plus parce que, dit-il, il n'y a plus de public pour ce genre d'histoire. C'est la fin. Son Cheval est un attentat cinématographique, comme ses autres films avant lui, mais ce sont même des attentats qui n'attirent pas la moindre attention. On trouvera le public pour voir 300 films interchangeables ; on ne trouve pas le public pour voir un film unique. C'est la fin. C'est le dernier de la famille à tourner les talons. Ils n'étaient que peu nombreux les rescapés. On a vu mourir Balthazar, c'est aujourd'hui son cousin, anonyme, qui nous quitte.

Guy Debord considérait son existence et ses films suffisant à prouver par l'exemple qu'une autre narration, qu'un autre cinéma était possible. Alors s'ils font tous la même chose, cherchez-en la justification... Béla Tarr, lui, faisait tout autre chose. Dire qu'il faut en parler au passé !... au moins en avons-nous été les témoins, les contemporains.

Ce film est annoncé par son image finale, et par cette anecdote historique : Nietzsche rencontre un cocher faisant preuve d'une immense cruauté envers son cheval, il s'écroule de folie. Ce que réussit Béla Tarr, au-delà des aspects cinématographiques, c'est de faire se rencontrer Nietzsche et Nietzsche. Il se trouve en effet que la philosophie et la biographie de Nietzsche m'intéressent. Et le cinéaste nous offre une critique, la première pertinente, de Nietzsche. C'est même une critique nietzschéenne de Nietzsche. La sentence de Zarathoustra sur le Nietzsche succombant. Il suffisait de s'intéresser au cheval, de se mettre à la place du cheval. C'était aussi simple que ça, et pourtant, qui aurait pu y penser, si ce n'est un cinéaste ? si ce n'est ce cinéaste ? si ce n'est Béla Tarr.

 Et puis, ce film par la barbe du Prophète ! ce film il montre la fin de l’Éternel Retour. C'est l’Éternel Retour, oui, mais qui s'arrête. Il s'arrête avant la fin, avant le septième jour, on n'y arrive même pas, c'est trop loin : qui diable pourrait-il bien supporter un tel trajet ? Béla Tarr avait emprunté le chemin bernanosien, le chemin boueux vers le cœur vous savez. Il est contraint, nous l'obligeons à interrompre ses pérégrinations. Le cœur, l'âme, le Chemin, le Septième Jour, ce n'est pas pour l'homme moderne. C'est une tragédie.

samedi 3 décembre 2011

Michel Onfray, encore un effort !

Michel Onfray passe ce vendredi chez Zemmour & Naulleau, grotesque émission mais pourtant certainement au-dessus de tout le reste. Il raille gentiment, ostensiblement trop gentiment, son prédécesseur Bernard-Henri Lévy. Zemmour et Naulleau sont d'accord avec lui, mais alors pourquoi inviter BHL ? On le lit, le voit et l'écoute partout, déjà. Si c'est pour le combattre, alors il y a de meilleurs moyens à mon avis : inviter des types plus conséquents et ne défendant pas la même idéologie (ça n'est pas difficile à trouver), plutôt que lui offrir une campagne publicitaire supplémentaire. Bref...

Puis, Zemmour parle politique, et 2012. Et là, il pose la question, la vraie question déjà évoquée plusieurs fois ici. Il parle des référendums européens, qui montrent deux fois 20% d'opposants mais répartis à droite et à gauche et qui n'arrivent pas à s'unir, laissant la voie libre aux libéraux de tous poils. Alors il demande à Onfray s'il est prêt à faire perdre Hollande. Il rappelle le "capitaine de pédalo" de Mélenchon (très bon). Onfray louvoie. Zemmour martèle : Marine Le Pen ! Le FN est le problème, puisque c'est lui qui a les électeurs, mais le parti est infréquentable pour les démondialistes de gauche. Pour Zemmour, il faut que ces derniers passent outre et bâtissent ce pont vers les démondialistes de droite. Onfray ondule. Les électeurs du FN ne sont pas du tout des nazis et des fascistes comme le prétend BHL, juste des gens qui souffrent de la mondialisation, et c'est à eux que la gauche doit parler pour les récupérer. Le temps que ça arrive, le pédalo lui-même aura coulé. 

Alors Zemmour lance une dernière salve. Mitterrand avait fait alliance avec un parti stalinien pour se faire élire, il ne s'était pas embarrassé de questions morales. Au final, Onfray a admis avoir plus d'affinités politiques avec les "anti-libéraux de droite" qu'avec les "libéraux de gauche". Mais ne fait pas un pas vers les premiers. Même un pédalo suffira donc à nous terrasser. Pourtant, la question n'est pas celle du libéralisme, c'est celle bien comprise de la démocratie, de la souveraineté du peuple. D'une, nous ne sommes pas "anti-", et de deux, l'enjeu est bien plus grand qu'une divergence de politique économique. 

Les mots ont un sens. Que Michel Onfray arrête de se définir "anti-libéral", mais "démocrate", et au lieu de rêver à une union de Poutou à Montebourg (impensable et inutile), c'est la porte Etienne Chouard qui s'ouvre... Et là...

Encore un effort !...

vendredi 2 décembre 2011

"Le Jésus de Nietzsche", par Massimo Cacciari

C'est un tout petit livre, en réalité un article, que l'on peut caricaturer ainsi : 

Jésus = Spinoza = Zarathoustra = Antéchrist

Étonnant, non ? Je l'ai plusieurs fois écrit ici, c'est une façon de voir qui ici est attentif. Les surpris, dénoncez-vous. Je n'ai rien d'autre à ajouter, du coup, et je me contente de vous envoyer vers l'article ou le livre.

jeudi 24 novembre 2011

Vive Eva

C'est qui qui nous prend encore la tête ? Les démocrates. Le dossier s'alourdit de jour en jour. 

Eva Joly, son plus gros défaut, c'est d'être à EELV. Mais ces jours-ci, elle marque de nouveaux points. Les attitudes du PS, de EELV, et des journalistes professeurs de leçons de maintien garants de la démocratie sont intolérables, une nouvelle fois. C'est insupportable. Eva au pilori. Pourquoi ? Mais parce qu'elle s'est offusquée qu'Areva intervienne pour modifier un accord entre deux partis politiques. M'enfin Eva ! Ça va pas bien dans la tête ?

Suggérons à nos amis journalistes quelques questions à poser à Eva :

- Eva Joly, vous êtes d'origine nord-européenne, vous avez un accent gothique, pouvez-vous nous en dire plus sur vos affinités avec le nazisme ?

- Eva Joly, vous attaquez le PS comme marionnette du lobby nucléaire, ne risquez-vous pas d'alimenter les délires paranoïaques de conspirationnistes à la mode sur Internet ; au fond, ne ressuscitez-vous pas le Protocole des Sages de Sion et le complot judéo-maçonnique mondial ? Quelle est votre appréciation des négationnistes du 11 septembre et de la Shoah ?

Et une question pour le journaliste-cancre qui n'a pas appris toutes ses leçons et qui reste assez au ras des pâquerettes : 

- Eva Joly, en attaquant le capitaine de pédalo, ne risquez-vous pas de faire le jeu de l'UMP et même du Front National ? Avez-vous conscience de faire courir un immense péril à la démocratie ?



Voilà. Qu'ils les posent, ces questions. Nous, nous aurons autre chose à faire que de les écouter, ces inepties. Mieux vaut passer du temps avec Bouba qu'avec n'importe quel déglingué médiatico-politique :

samedi 19 novembre 2011

Amis censeurs

La censure nous offre régulièrement, de plus en plus fréquemment et presque quotidiennement désormais, d'extravagantes occasions de se fendre la poire. Les poires sont excellentes en ce moment, d'ailleurs. 

Après l'épisode du référendum grec, prodigieux, une nouvelle aventure édifiante a vu le jour. Si j'ai bien compris, un spectacle, au pompeux titre (Sur le concept du visage du fils de Dieu), se fait gloire de lancer des excréments sur un poster du Christ. Peut-être ai-je mal compris, mais ça m'intéresse si peu que je refuse de consacrer à cela plus de temps. Des catholiques jugent la performance blasphématoire, il paraît qu'elle ne l'est pas. Voilà qui ne me ferait ni chaud ni froid. 

Les réactions en revanches sont délicieuses. 

Monseigneur Vingt-Trois (c'est bien son nom ? est-ce bien raisonnable ?) condamne... non pas le spectacle, mais les catholiques offusqués. Ce n'est pas une blague.

Les ministres, tout ce que nous comptons de professeurs de leçons de maintien, en appellent à la liberté d'expression et fustigent ces vilains catholiques très méchants. Ils défendent cet artiste qu'ils ont par ailleurs subventionné pour cette œuvre assurément majeure dans l'histoire de l'humanité. Ce n'est pas une blague non plus. 

Ces éminents responsables très sérieux sont pourtant ridiculisés, laminés, anéantis par un improbable gugusse de l'association Civitas, celle-là même qui a investi la scène pour empêcher la présentation de cette œuvre. Figurez-vous que ce Monsieur Escada (si je ne me trompe pas, car je veux rester dans l'à-peu-près) cite l'auteur de l’œuvre, pardon le Créateur, Roméo Castellucci (?), qui appellait le spectateur à faire œuvre de Création (allons bon), quitte à investir une scène de théâtre à des fins de revendication politique. Bref, le "censuré" appelait à sa censure. 

Ce n'est pas fini. Des musulmans patriotes descendent dans la rue pour crier : "Christianophobie, ça suffit !" et "Chrétiens, la France est à vous !".

Ce n'est pas encore fini. D'autres musulmans plus roublards défendent le Christ comme Prophète de l'Islam et ainsi comme signe de l'islamisation de la France.


C'est grandiose. 


P.S. : taper sur le catholicisme ou sur le Christ aujourd'hui, c'est assez pathétique : on ne tue pas un cadavre. Et puis, n'est pas Nietzsche ou, dans un autre registre, Léon Bloy qui veut. Tout cela fait monter l'impatience suscitée par le nouveau spectacle de Dieudonné, Rendez-nous Jésus (où sont les défenseurs de la liberté d'expression ?)

mercredi 16 novembre 2011

Adieu Charlie


Ah ! le Professeur Choron... Ah ! Hitler = SS... Ah ! Siné... Ah ! Hara-Kiri... J'en passe... De beaux (c'est comme ça qu'on dit) livres paraissent depuis quelques Noëls pour retracer les grandes heures de cet humour caustique. Le bête et méchant de Cavanna dans des beaux livres. Déjà le contresens. Mais le sens de la nostalgie nous fait l'oublier (un peu). Pauvre, pauvre Cavanna. Avec une telle histoire, l'hebdo en est devenu une institution. Bah ! encore le même contresens. La vocation d'un tel journal est d'être interdit, attaqué par le pouvoir en place. Son humour doit pointer du doigt le sacré (impensé) de l'époque. C'est sa raison d'être, sans quoi, il y a déjà Yann Barthès, Jamel Debbouzze ou Gad Elmaleh pour rire (on n'a pas tous le même sens de l'humour) dans le sens du poil. Il est beaucoup question de sens, vous avez remarqué. Même Guillon (!) sait se faire virer. Ce n'est pourtant pas difficile.

Charlie ne sert à rien. Je le dis sans le penser, mais je le dis quand même. On ne sait toujours pas qui a incendié ses locaux. Ça importe beaucoup, et en même temps, ça n'importe que peu. Cette semaine, Charb s'en prend aux "faux-culs" (Ramadan, Boniface, etc.) qui soutiennent le principe de la liberté d'expression et condamnent l'attentat, mais critiquent la ligne éditoriale de Charlie. Ça me semble pourtant honnête comme position. Ils disent ce qu'ils pensent, je ne vois pas ce qu'il y a de "faux-cul" à cela. En revanche, je vois ce qu'il y a de "faux-cul" à défendre la liberté d'expression de Charlie, de Redeker autrefois, mais pas celle, au hasard, de Dieudonné. On peut même applaudir les arrêtés municipaux qui interdisent à Dieudonné de se produire en spectacle. La liberté d'expression pour ceux qui sont d'accord avec nous, et seulement eux, je ne suis pas certain que ça s'appelle liberté d'expression. J'appellerai plutôt ça liberté d'oppression. 

Dieudonné parle de Charlie comme un journal de maison de retraite. Je lui donne raison. Quelques dinosaures SOS-racistosaures, démocratosaures ou encore partiscocialistosaures y trouveront encore leur compte. De notre côté, on préfèrera suivre une ligne (tordue) avec Pierre Carles, Franck Lepage, Etienne Chouard, Dieudonné, Marc-Edouard Nabe, Alain Soral, etc. Shoahnanas ou Charia Hebdo ? C'est vite vu.

mardi 8 novembre 2011

Lettre ouverte aux impétrants empêtrés

Dessins de Konk
C'est la Bérézina. Où allons-nous ? à vau-l'eau - nous y sommes déjà. Babylone brûle ; Paris, aussi. Même les responsables (et coupables) aux responsabilités le reconnaissent : ils travaillent d'arrache-pied, à cette heure, pour rendre une copie qui satisfera leurs Maîtres tout-puissants (par conséquent nos Maîtres à la puissance deux). Jusqu'où allons-nous descendre ?

Le référendum de 2005
J'ai voté "oui", et c'était pour moi une évidence, au nom de la démocratie, du fédéralisme, de l'internationalisme. Quels débats à l'époque ! Un référendum permet au peuple de se saisir d'une question, de la soumettre au débat avec passion, d'y répondre, sans avoir à entrer dans une logique de partis politiques, avec le sentiment que la réponse pourra changer quelque-chose, quand l'alternance obligatoire bipartite apparaît trop bien désormais pour ce qu'elle est : fallacieuse. Il me semblait que les sujets économiques, les discussions autour de la libre concurrence, étaient secondaires, relativement à ceux politiques et démocratiques. Que fait-on ? est la question qui se pose nécessairement après avoir défini ce "on" : qui a le pouvoir et sur quel territoire ? C'est une simple question de logique sur laquelle je n'ai pas eu à revenir. Mais, les termes du débat étaient : nationalisme, souverainisme. C'était mal poser le problème. Cette erreur (ou tromperie) a servi à deux choses : 
  1. Empêcher une bonne partie de la gauche, nourrie des bons sentiments de la gauche morale, d'accéder au sujet démocratique. Les nonistes sont souverainistes, nationalistes, xénophobes, et c'est mal, donc il n'y a même pas à discuter du contenu de la Constitution, il faut être pour l'ouverture, l'Europe, la paix.
  2. Interdire toute concrétisation de la victoire du "non" en le scindant en deux camps distincts et adeptes de vocabulaires épuisant toute velléité de compréhension : alter-mondialisme versus nationalisme.
La question démocratique
Aujourd'hui, la Traité de Lisbonne a piétiné le référendum, la crise financière a fait son œuvre, et le sort réservé à la Grèce ferait l'édification des plus incrédules. Du coup, le problème est mieux posé. La question n'est pas le nationalisme, ni même le souverainisme : la question c'est la démocratie. Quand les agences de notation dictent les politiques économiques et sociales des États, c'est la démocratie qui est en jeu. Quand Sarkozy et Merkel, ou le FMI, dictent la conduite de Papandréou, c'est la démocratie qui est en jeu. Quand l’État doit emprunter auprès des banques privées et non auprès de sa banque centrale, c'est la démocratie qui est en jeu.

Ce n'est pas la situation qui est nouvelle, c'est sa description. De longue date, elle fut dénoncée comme totalitaire, fasciste, mais par des écrivains, des artistes, marginaux, (infra-)liminaux et laminés, ou rangés dans les étagères pour les plus chanceux. Pasolini le vitupérait. Bernanos le vociférait. Céline avait inventé le mot bankster. Rien ne sert de multiplier les exemples. Ce qui change, c'est qu'aujourd'hui enfin ! c'est le débat public qui tourne autour de cette question.

Aujourd'hui, des intellectuels comme Emmanuel Todd, Jacques Sapir, Frédéric Lordon, Jean-Claude Michéa, d'autres encore, posent le débat en ces termes sur la table. Avant, ils étaient plus radicaux sans doute - qui écrirait du Castoriadis, du Illich, du Debord, en 2012 ? qui écrirait, plus encore, un Droit à la paresse ? En contrepartie, nous avons une pensée plus opérante. 

Aujourd'hui, nous vous écoutons, et nous entendons le problème correctement posé. Je dis vous, candidats en pré-campagne pour 2012, de tous bords politiques, prêts que vous seriez à vous étriper sur tout sujet politique : éducation, laïcité, immigration, peine de mort, avortement, sécurité, retraites, que sais-je ? Mais vous avez un point commun : celui de subir les flèches du système médiatico-politique UMPS faisant de vous des populistes, plus ou moins égal à fascistes.

Car vous parlez du peuple, ce qui est un grave crime, imaginons-le, en démocratie. Je disais que la situation n'est pas nouvelle. Péguy décrit si bien comment L'Argent a liquidé le Peuple. Ce qu'il en restait à son époque a pris la poudre d'escampette - c'est fini. Il n'y a plus de peuple. Il est donc logique de ne pas pouvoir en parler. Toutefois, il est tout aussi logique de chercher le peuple, quand on est démocrate : si on estime que le peuple doit avoir le pouvoir, il faut nécessairement qu'il y ait un peuple. Laissons parler Péguy :
"Notre socialisme [...] n'était nullement antinational. Il était essentiellement et rigoureusement, exactement international. Théoriquement il n'était nullement antinationaliste. Il était exactement internationaliste. Loin d'atténuer, loin d'effacer le peuple, au contraire il l'exaltait, il l'assainissait. Loin d'affaiblir, ou d'atténuer, loin d'effacer la nation, au contraire il l'exaltait, il l'assainissait. Notre thèse était au contraire, et elle est encore, que c'est au contraire la bourgeoisie, le bourgeoisisme, le capitalisme bourgeois, le sabotage capitaliste et bourgeois qui oblitère la nation et le peuple" (Notre jeunesse, Folio n°232, pp. 217-218)

Vous, socialistes ou non, posez que l'oligarchie mondialiste oblitère la nation et le peuple (ils vont de paire). Rien de commun entre vous, Jacques Cheminade, Arnaud Montebourg, Marine Le Pen, François Asselineau, Jean-Luc Mélenchon, Jean-Pierre Chevènement, Nicolas Dupont-Aignan ! On ne trouvera vraiment rien de commun entre vous, si ce n'est ce postulat de départ. Vous êtes si différents que des ralliements semblent impossible entre vous. Même entre Chevènement et Dupont-Aignan, ce n'est pas à l'ordre du jour... Même entre Cheminade et Asselineau, pas de solidarité d'exclus du système médiatique... 

Nous sommes dans une situation où il y a une chose à exiger en toute urgence : une Constituante, pour une reprise en main démocratique de son destin par le peuple, qui retrouverait immédiatement la conscience d'être un peuple, un peuple en tension(s), avec des citoyens de gauche, de droite, d'extrême droite, d'extrême gauche, de nulle part, mais un peuple. Nous ne l'obtiendrons pas si vous vous présentez en ordre dispersé. La dispersion est logique : moi par exemple et mes influences situationnistes, anarchistes, décroissantes, internationalistes, je suis très heurté par le progressisme effréné des uns, le nationalisme exacerbé des autres, le modernisme exalté des troisièmes, que sais-je ?

La dispersion est donc tout à fait compréhensible pour cette raison ; mais aussi pour celle-ci beaucoup plus contestable : la logique des partis, et de l'élection. On ne peut pas demander à Mélenchon de s'allier à Le Pen. Dans une démocratie élective (oxymore, il faut bien le dire, malgré le lieu commun si pervers), cela n'a aucun sens. 

J'en viens donc à la solution : que vous vous ralliez tous, abandonnant vos candidatures individuelles, à l'idée du tirage au sort d'une Constituante, portée par une dynamique accordant ce que l'UMPS nomme les deux fois 20% populistes, qui ont fait 55% en 2005. Faute de quoi, à force d'agir en andouilles, nous finirons par mériter d'être traités en andouillettes.

vendredi 4 novembre 2011

Ams Tram Gram

Ams, tram, gram,
Pic et pic et colégram,
Bour et bour et ratatam,
Ams, tram, gram.

Éliminons les illuminés.

Ams, tram, gram,
Pic et pic et colégram,
Bour et bour et ratatam,
Ams, tram, gram.

Éliminons les élus minés.


C'est qu'ils nous prennent pour des enfants. C'est aussi que nous les prenons pour nos parents. Soit, nous sommes des enfants, comportons-nous comme tels, c'est entendu, pas d'objection, allez, allons enfants de la patrie, le jour... le jour du pacte est arrivé, le pacte des frères, le jour du meurtre du père. C'est terminé, plié, les jeux sont faits. Ras-le-bol. La cour est pleine de ces crachats d'experts médiatiques et politiques, autant ils sont, autant nous avons de "démocrates"-sans-peuple

Ce jour, nous avons tout compris. Repliés sur la Toile, nous la tissons par la même occasion. Nous avons tout compris. Ce jour, nous pouvons l'affirmer. Les fils de la complexité sont notre terrain de jeu. 

Nous nous régalons. Notre ami M. Papandreou, socialiste, subissait nos flèches pour n'avoir pas un instant tenté de résister aux banksters européens. Dans un geste héroïque, dans un geste grec ; dans un geste démocratique, dans un geste grec, il lamine ces mêmes banksters en lançant l'idée d'un référendum sans avoir consulté personne (ni ses Maîtres européens, ni ses collègues gouvernementaux grecs). Nous nous régalons. La stupéfaction, la consternation, de tous ces grands démocrates, face à un appel au peuple - à quel peuple ! au bord de la crise de nerfs, nous buvons du petit lait. C'est extraordinaire. Comment ? Demander au peuple son avis sur un sujet si important ? Papandreou aurait entrepris le tour de Pluton en kayak qu'il n'aurait pas plus surpris son monde. Chez nous, dans les pays civilisés, ça existe aussi les référendums, ils consistent toutefois à demander son avis au peuple un jour pour faire le contraire le lendemain, avec son consentement tacite (la vie politique est ainsi faite que le citoyen s'intéresse plus au résultat de PSG-OM qu'au contenu du Traité de Lisbonne). On ne comprend donc pas très bien à quoi ça sert, mais on sait que les marchés, nerveux, n'aiment pas ça. Et on aime bien les marchés. Ah ! "on". Eh ! nous, non. 


Nous nous sommes posé des questions, beaucoup de questions. De gauche, cosmopolites, internationalistes, européens, démocrates, humanistes, laïques... tout nous portait vers la démocratie, la République laïque, l'Union Européenne, l'ONU, SOS Racisme. Tout ! C'était la pente naturelle. Ne bougeons pas : nous y sommes ! c'est la place, notre place. Mais à cette place, nous nous sentions mal à l'aise, mal entourés, mal accompagnés. Un chat dans la gorge, le cerveau en dissonance cognitive, des contradictions irréductibles devant les yeux, nous étions malades. Doute, abandon, désespoir, dépression, tout ce qu'on - encore lui - veut nous tombait dessus. 

Mais nous avons compris. Cette maladie, notre maladie, était une bénédiction. Nous devions nous sentir mal, puisque nous étions intègres et sincères dans nos idéaux, ô combien trahis par la réalité, par la politique. Un démocrate doit être malade dans notre fausse démocratie. Un internationaliste doit être malade face au mondialisme. Un cosmopolite doit être malade au milieu de notre société anti-raciste. Celui-là et son intégrité n'a plus qu'à prendre conscience que c'est la société, malade, qui le rend malade. Et il se guérit. Et il comprend. 

Animé d'un véritable et profond sentiment européen, d'un élan démocratique tout autant, celui-là ne peut que constater que l'Union Européenne piétine l'un comme l'autre. C'est dur à admettre, c'est extrêmement violent à avouer, parce que les envolées de Victor Hugo résonnent en nous, entre autres, mais l'UE va dans le mur, et ce depuis le début. L’Europe, ce n'est pas par là... C'est dur à admettre, c'est extrêmement violent à avouer, parce que les sacrifices révolutionnaires résonnent en nous, entre autres, mais la démocratie va dans le mur, et ce depuis le début. La démocratie, ce n'est pas par là...

Où allons-nous ? Nous y sommes, et c'est en oligarchie mondialiste. Nous rêvions de démocraties internationalistes. Ce n'est pas la même chose : c'est le contraire. 

C'est le moment. Tout est clair. Nous savons à qui profite le crime. Nous n'avons que faire des criminels, nous leur avons laissé les clés de la banque, ils se sont servis. Le problème n'est pas qu'ils sont vilains et méchants, c'est que nous n'aurions pas du laisser les clés de la banque.

L'UE, à force de se faire sans les peuples, se fait contre les peuples. L'UE, à force de se faire contre les peuples, se fait sans les peuples. Il faut reprendre les fondamentaux (cf. Étienne Chouard).

1/ Nous voulons la démocratie, le pouvoir au peuple : le peuple doit donc exister. Il est exclu du discours politique actuel, sous peine d'être taxé de populisme, euphémisme bien compris (mais insensé) de fascisme.

2/ Le peuple doit avoir le pouvoir. L'élection suppose de connaître les candidats. Elle pourrait être valable à petit échelle, dans un village, une petite ville. Elle est absurde à l'échelle nationale. Elle implique une médiatisation à grande échelle, des moyens de propagande gigantesques : partis politiques, médias appartenant aux grands groupes industriels, qui concentrent fatalement l'exercice du pouvoir en quelques-uns. Il ne doit pas exister de partis politiques, et il ne doit pas y avoir d'élections.

3/ C'est par tirage au sort que les représentants du peuple doivent être désignés. C'est l'assurance de ne pas voir s'établir une oligarchie médiatico-politique déconnectée du peuple, de ne pas avoir à se soumettre à quelque despotisme éclairé, dictature des experts, ou autre Parti Intellectuel.

4/ Le peuple, ayant retrouvé le pouvoir, pourra s'intéresser de nouveau aux questions politiques. Il le fera. Lors du référendum de 2005, croyant que son avis valait quelque chose (au contraire des élections, où c'est la propagande du vote utile), les débats étaient passionnés et passionnants. Évidemment, si le peuple dit : "non" et que l'oligarchie lui répond : "ce sera oui quand même", ça refroidit les ardeurs. Ce genre de choses ne sera plus possible.

5/ C'est à lui, le peuple, d'écrire une Constitution. Il est aberrant, c'est une formidable insulte à la logique, une extravagante agression envers l'intelligence, que les représentants écrivent eux-mêmes les règles qui limiteront leurs propres pouvoirs. Cela promet d'être difficile, mais passionnant...


Jusque-là, nous pourrions réunir à peu près tout le monde de l'extrême-gauche à l'extrême-droite, à l'exception du radeau de la Méduse de l'UMPS. Tout ce beau monde serait très certainement majoritaire dans le pays. Mais évidemment, ça oblige de rassembler des gens extrêmement, extrêmement, différents. Ça ne coule pas de source. Il y a pourtant un précédent, au moins un, et assez récent. Le Conseil National de la Résistance regroupait aussi bien des communistes que des maurrassiens. Et, clairement, il y avait plus de différences à l'époque entre un communiste et un maurrassien, qu'aujourd'hui entre les amis de Philippe Poutou et ceux de Marine Le Pen. Ça ne semble pas insurmontable.

Que craint le personnel politique ? Que les 2*20% qu'il nomme "populistes" se rejoignent et à ce jeu-là, 2*20% n'est pas égal à 40%, mais à bien plus. Peyrelevade l'a expliqué doctement. C'est donc ce que nous devons réussir à faire. Vu que les politiciens hors UMPS ne le feront pas (ils restent politiciens), il n'y a donc que nous pour le faire. Comment ? ne pas voter ? donner à Biquette 20 millions de voix ? désigner un X comme candidat ? Il faut trouver une solution.

Après, après ! il sera temps de mettre sur la table les questions, les autres questions, toutes les questions, l'Europe, l'immigration, l'avortement, le productivisme, la peine de mort, l'éducation, tout. Alors, nous nous reconnaîtrons en tension, divisés, par des idéaux, des intérêts divergents. C'est ça, la démocratie.

Je sais, moi, que je ne l'emporterai pas, que mes idées demeureront minoritaires. Pas une seconde je ne pense que cette révolution citoyenne amènera l'avènement des idées décroissantes, anarchistes, situationnistes, internationalistes, etc. On ne rebaptisera pas les rues "Louis-Ferdinand Céline", "Thelonious Monk", "Friedrich Nietzsche". TF1, Canal +, Libé ne péricliteront pas sous les quolibets généraux. Avatar et Bienvenue chez les chtis ne seront pas remplacés par des projections sauvages de Hurlements en faveur de Sade, des Harmonies Werckmeister. Dieudonné ne sera pas Prix Nobel de la Paix. Les villes ne seront pas désertées par des millions de futurs néo-ruraux qui cultiveront leurs légumes et observeront les abeilles. Ce n'est de toute façon pas le but. Comme Léon Bloy, je sais être dans le camp des vaincus perpétuels.

Ce n'est pas ça le point. Ça importe vraiment peu, que nos idées l'emportent, ça n'a strictement aucune importance. Ce qui est important, c'est d'en avoir, des idées, d'être passionné... Ce qui est important, c'est de pouvoir les défendre, de savoir qu'il est possible de les défendre. Voilà ce qui motive, donne envie de penser, de s'élever, de réfléchir, de mettre en question, de chercher des réponses, de s'élever oui.

A contrario, quand M. Papandreou est sommé de renoncer à son référendum, il ne reste plus qu'à prendre une bière, regarder le match de foot, et s'étonner que François Hollande ait pu maigrir comme ça - donc voter pour lui. Désintérêt, lassitude, fatalisme, décadence, dégénérescence, tout est là devant nos yeux - tiens ! un miroir.

Nous sommes tous des Grecs.

dimanche 23 octobre 2011

Et le vingt-neuvième livre est...

Ivan Levaï a paraît-il écrit un superbe livre pour défendre DSK et Anne Sinclair. Superbe du point de vue peut-être de DSK et Anne Sinclair. Du notre, on aurait plutôt envie de réagir à la NDA : "Ras-le-bol !" Mais vraiment. Halte-là.

Mais voilà que Nabe se lance dans la bataille. Le titre laisse supposer, à lire entre la ligne, qu'il soutient l'ami DSK légèrement plus modérément. La modération est certes le style bien connu de Nabe. L'enculé. Un titre pareil, un thème pareil (ras-le-bol) et le parti-pris de faire parler DSK à la première personne, le compte donne trois sources de stupéfaction, mais aussi de scepticisme, et encore de méfiance. Et comment Nabe va-t-il se tirer de là ? C'est donc circonspect que je m'attaque à ce court roman. Et celui qui a claqué : "on entre dans un auteur comme dans une cathédrale", a doté l'antichambre d'escaliers, avec des marches de plus en plus hautes : il faut du temps pour écarter les inquiétudes. 

Il nous laisse le temps, oui, de nous y faire, on est encore dans le 28e, non-écrit, et on se demande comment celui-ci pourrait-il être écrit par DSK ? On comprend vite ce que le narrateur a de nabien (d'ailleurs : Nabe, L'enculé, lit-on bien entendu sur la couverture). C'est pourquoi ce livre a dû être beaucoup plus facile à écrire que L'homme qui arrêta d'écrire. Par ailleurs, le héros du livre, s'il passe à la moulinette, gagne au passage une bonne dose d'empathie, de sympathie même, de la part de l'auteur. C'est que la moulinette à laquelle il passe, c'est la sienne propre, son dossier est suffisamment lourd pour qu'il n'y ait pas à en rajouter. La cour est pleine. "Directeur du FMI" suffit à convaincre de revêtir une combinaison anti-radiations avant de l'approcher. De plus, Nabe adopte la version Diallo comme vraie, et ces faits avérés condamneraient et ô combien ! leur auteur. 

Mais pire que DSK : son entourage. C'est ce qu'entend démontrer la littérature de Nabe, qui fait de "l'enculé" un gros bonhomme, mais de sa femme, ses avocats, ses amis, ses collègues politiciens, un terrible et furieux gang de requins complètement marteaux capables de faits et gestes écœurants "à faire vomir les volcans" (Bloy) sous-marins, ce qui s'est d'ailleurs produit. 

Baby come back par LLP
En fait, on s'en fout de DSK, mais c'est l'oligarchie mondialiste qui est littéralement, littérairement insupportable. C'est elle qui est à condamner. Pas l'un de ses membres. C'est le crime, pas le criminel. Qu'en pense Ivan Levaï ? Quel était le livre à écrire sur cette affaire ? Qui pouvait l'écrire ? Nous qui combattons le crime en venons à comprendre le criminel ; eux qui défendent le criminel en viennent à oublier le crime.

Je termine par quelques mots sur le style nabien, de retour donc... qui donne manifestement envie de vomir à quelques-uns, et qui provoque les éclats de jubilation et de rire chez d'autres (la tentative de lettre de démission du FMI, le slogan de sa campagne présidentielle, la découverte de Nafissatou Diallo par "le monde entier", etc.) Le roman monte monte et termine en délirante campagne présidentielle, assurément plus drôle que celle que nous vivrons, même si la réalité dépasse parfois la fiction. Précisément...

Un beau livre (magnifiques papier et couverture sans code barre, ce ne sont pas des détails).

lundi 17 octobre 2011

L'anarchisme intellectuel

Ce soir, je repense à Bernard-Lazare. Bernard Lazare en fait, ou même plutôt Lazare Bernard. Mais moi, c'est à Bernard-Lazare que je pense, parce que c'est Péguy son ami qui en a fait un personnage, ainsi orthographié, qui compte dans mon Panthéon. Une six-cent quatorzième accusation de : prétention, arrogance, mépris, ne rayez pas les mentions toutes utiles, n'y est sans doute pas pour rien. Ce que j'écris est violent, trop violent. Vous me direz : si on te le dit autant, ça doit être un peu vrai, et même complètement. Et encore suis-je certainement en-dessous avec mon estimation... Pourtant, je prétends que c'est injustifié. Je le prétends... Ah, je dois être prétentieux finalement. 

Reprenons. Péguy raconte. Il raconte Bernard-Lazare. Et il raconte l'Affaire Dreyfus. Il dit moult choses passionnantes, lisez Notre jeunesse (pp. 183-186 en l'occurrence). Mais il dit aussi, il dit surtout, pour ce qui me concerne ce soir, l'anarchisme intellectuel de Bernard-Lazare. Bernard-Lazare était dreyfusiste. Il s'est consacré à faire éclater l'innocence de Dreyfus. Mais tout autant, il s'est opposé à la dégradation de cette morale, de cette mystique, en politique démagogique de la part des dreyfusistes. Lui cherchait la Vérité. Ce qui lui valut les foudres de tous les partis, les balles de tous les camps. 

Bon. Péguy : 
"Il faut penser que c'était un homme, j'ai dit très précisément un prophète, pour qui tout l'appareil des puissances, la raison d'Etat, les puissances temporelles, les puissances politiques, les autorités de tout ordre, politiques, intellectuelles, mentales même ne pesaient pas une once devant une révolte, devant un mouvement de la conscience propre."

Mais le dire, ce n'est pas suffisant. Il faut le faire comprendre. Alors Péguy image :
"On ne peut même en avoir une aucune idée. Nous autres nous ne pouvons en avoir aucune idée. Quand nous nous révoltons contre une autorité, quand nous marchons contre une autorité, au moins nous les soulevons. Enfin nous en sentons le poids. Au moins en nous. Il faut au moins que nous les soulevions. Nous savons, nous sentons que nous marchons contre elles et que nous les soulevons. Pour lui elles n'existaient pas."

Je continue, tant Péguy est clair : 
"Il ne les méprisait même pas. Il les ignorait et même plus. Il ne les voyait pas, il ne les considérait pas. Il était myope. Elles n'existaient pas pour lui. Elles n'étaient pas de son grade, de son ordre de grandeur, de sa grandeur. Elles lui étaient totalement étrangères. Elles étaient pour lui moins que rien, égales à zéro. Elles étaient comme des dames qui n'étaient point reçues dans son salon."

Il les affrontait sans même se rendre compte qu'il les affrontait. Encore :
"Il avait pour l'autorité, pour le commandement, pour le gouvernement, pour la force, temporelle, pour l’État, pour la raison d’État, pour les messieurs habillés d'autorité, vêtus de raison d’État, une telle haine, une telle aversion, un ressentiment constant tel que cette haine les annulait, qu'ils n'entraient point, qu'ils n'avaient point l'honneur d'entrer dans son entendement."

Voilà. Voilà... Ainsi donc, on lui asséna : "Vous voyez, mon cher ami, la Cour de Cassation a jugé contre vous.", à propos de l'Affaire des congrégations. Comme le raconte Péguy, les dreyfusards devenus combistes faisaient les malins. Mais voici la réaction de l'Anarchiste :
"Il faut avoir vu alors son œil pétillant de malice, mais douce, et de renseignement. Qui n'a pas vu son œil noir n'a rien vu, son œil de myope ; et le pli de sa lèvre. Un peu grasse. - Mon cher ami, répondit-il doucement, vous vous trompez. C'est moi qui ai jugé autrement que la Cour de Cassation. L'idée qu'on pouvait un instant lui comparer, à lui Bernard-Lazare, la Cour de Cassation, toutes chambres éployées, lui paraissait bouffonne. Comme l'autre était tout de même un peu suffoqué. - Mais, mon garçon, lui dit-il très doucement, la Cour de Cassation, c'est des hommes."

Il est des gens en effet qui ont besoin de la Cour de Cassation pour porter des jugements moraux. D'autres, non - ont l'anarchisme de s'en passer :
"Non jamais je n'ai vu une aisance telle, aussi souveraine. Jamais je n'ai vu un spirituel mépriser aussi souverainement, aussi sainement, aussi aisément, aussi également une compagnie temporelle. Jamais je n'ai vu un spirituel annuler ainsi un corps temporel. On sentait très bien que pour lui la Cour de Cassation ça ne lui en imposait pas du tout, que pour lui c'étaient des vieux, des vieux bonshommes, que l'idée de les opposer à lui Bernard-Lazare comme autorité judiciaire était purement baroque, burlesque, que lui Bernard-Lazare était une tout autre autorité judiciaire, et politique, et tout."

Ah, ça pose. Et de conclure : 
"Quand l'autre fut parti : Vous l'avez vu, me dit-il en riant. Il était rigolo avec sa Cour de Cassation."


Je laisse ici Péguy et Bernard-Lazare. Je reprends mon fil. Ce que j'écris est violent, trop violent. Je prétends que cette interprétation, fatale, provient de ce que j'écris naturellement, sans m'en rendre compte, contre ce qui est humain, trop humain. Ce sont là autant d'autorités que je ne reconnais pas, sans même que je veuille ne pas les reconnaître, je ne les reconnais pas au sens que je ne les repère pas, je ne sais pas qu'elles existent, je ne sais pas que je les perturbe. Je cherche, je cherche la Vérité. Avoir raison ou avoir tort ? C'est à la fois la seule chose qui compte, et ce qui n'a strictement aucune importance. Je m'explique. 

Je répète à longueur de journée à des enfants qu'ils ont le droit de se tromper, que ce n'est pas grave d'avoir pensé quelque chose qui s'est avéré, si j'ose dire, faux, que c'est en se trompant qu'on avance, à la condition tout de même d'en avoir conscience et donc de toujours chercher à vérifier ses idées. On se trompe en permanence. Nous ne sommes qu'humains, trop humains. Il n'y a aucune honte à avoir eu une idée fausse. Il suffit d'avoir en tête qu'on peut se tromper, et de rester ouvert à toute contradiction. Donc : si j'ai raison, je n'en tire aucune gloire, aucune prétention ; et si j'ai tort, je n'en souffre pas, je ne me dénigre pas. Ce n'est pas à la charrette des erreurs qu'on juge un homme. De mon point de vue, je peux donc démontrer que quelqu'un a tort, et ce faisant je n'imagine pas, c'est hors de mon entendement, lui porter atteinte. Soit ma démonstration est valide, et il n'a qu'à se ranger à mon avis sans honte aucune, soit elle ne l'est pas il n'a qu'à en démontrer l'invalidité, et c'est moi qui aurai appris quelque chose. J'ai eu tort, aucune importance ; j'ai eu raison, aucune importance.

La seule chose qui compte est alors de chercher à savoir si ce que j'écris est vrai ou faux. Je prends un exemple.

Si on me demandait mon avis sur le mot programme, appliqué à l'être humain (programme politique, programmes de l’Éducation nationale), on penserait à la lecture de ma réponse que j'assimile tout homme politique et tout enseignant à un nazi en puissance. Parce que, effectivement, l'utilisation de ce mot démontre selon moi une extravagante négation de la liberté qu'un individu est en droit d'exiger. Pro-gramme : la lettre avant. Tout est fixé à l'avance. C'est catastrophique. Mes mots seraient assurément ultra-violents. Mais elle n'est pas destinée à d'autres gusses que moi, je suis tout autant ciblé par cette flèche empoisonnée. Je les applique tous les jours, ces programmes. Je ne me situe évidemment pas au-dessus, je suis dedans. Je n'attaque pas untel ou untel, je ne fais pas la leçon à des enfants ou à des ignorants. Je considère que nous nous trompons collectivement. C'est un appel, pas de la prétention. Que des personnes, beaucoup de personnes, des centaines, des milliers de personnes, des personnes intelligentes et compétentes, aient réfléchi, donné d'eux-mêmes, dépensé beaucoup d'énergie, de passion, de temps, tout, pour élaborer des programmes éducatifs, des programmes politiques, ça n'entre pas dans ma considération. Je ne me sens pas meilleur que ces gens-là, j'ai simplement un avis différent. Je ne vois pas où est la prétention là-dedans. Je m'attends, quand j'argumente une prise de position, à ce qu'on contre-argumente, pas à ce qu'on rétorque que je suis prétentieux parce que beaucoup de monde intelligent est contre moi. A-t-on répondu à Galilée qu'il était prétentieux parce qu'il ne pensait pas comme l'Autorité ? Oui. Je ne suis pas Galilée, mais on me fait le même type de réponse.

Opposer une autorité, un nombre, à une argumentation factuelle, c'est incongru, à mes yeux. Je me sens comme le Bernard-Lazare décrit par Péguy. La Cour de Cassation ? C'est burlesque, bouffon ! Je me fous qu'elle valide ou invalide mon argumentation. Je veux savoir si celle-ci est vraie ou fausse. 

Opposer des personnes, blessées, vexées, à une argumentation factuelle, c'est incongru, à mes yeux. C'est du sentimentalisme. La maladie du temps. Il ne faut pas dire la Vérité, il faut être gentil avec tout le monde. 

Conséquence de quoi, je ne peux plus penser que le sarkozysme est une plaie, parce que cela revient à insulter les membres de l'UMP et leurs électeurs. Comme si ces gens-là étaient définis, ad vitam aeternam, par leur adhésion au sarkozysme. Sarkozy lui-même ne peut pas changer d'avis, se dire qu'il s'est trompé, qu'il n'aurait pas du faire telle ou telle chose, il est impensable qu'il juge un jour sa présidence négative pour la France, impossible : il est ce qu'il a fait, il n'aurait pu faire autrement, c'était dans sa nature à laquelle il ne peut rien changer d'avoir fait tout ce qu'il fait, il n'avait aucune liberté individuelle à exercer, c'est une marionnette, un esclave (de quoi ?). Son électeur lui aussi ne peut absolument pas se remettre en question, se dire qu'il a fait un mauvais choix, changer de camp, d'opinions, évoluer... Impossible. 

Je ne sais pas pour les autres, mais moi je me sens capable de changer d'opinion, d'avis, d'évoluer. Alors je ne vois pas en quoi une idée que je peux avoir, un moment dans ma vie, peut me définir au point que le jour où cette idée est critiquée, violemment critiquée, je me sente menacé dans mon estime de soi. Je crois bien ne jamais m'être vexé. C'est un sentiment qui m'est étranger. Je le néglige chez les autres, je l'ignore, j'ignore qu'il est chez les autres. Je suis mon propre souverain, mon propre accusateur. Je suppose que les autres le sont également, ce en quoi je me trompe manifestement. Jusqu'à ce qu'on me prouve le contraire, je vois là les raisons expliquant qu'on interprète mes écrits de la sorte.

mercredi 12 octobre 2011

Se passera-t-il quelque-chose ?

Les 17% de l'ami Montebourg sont une drôle de surprise. Au moment où Jean-Claude Michéa publie Le complexe d'Orphée. Interdiction de se retourner... Le simple fait de parler de "démondialisation", à la suite de Jacques Sapir, et Emmanuel Todd, équivaut à réveiller un immense volcan. A partir de ce jour, on peut de nouveau penser. Nous le faisions, nous, de notre côté. Nous n'espérions rien des politiciens. Peut-être sommes-nous si proches du mur que penser leur redevient possible. 

Montebourg pose dans sa lettre trois questions, aux impétrants. Aux impétrants. Il fallait le faire - prononcer ce mot. Todd pense que Aubry ou Hollande, bien qu'hostiles idéologiquement, seront obligés, contraints de se gauchir et de répondre en actes à ces questions, à défaut d'y répondre en paroles. Je suis sceptique. 

Il y en a un autre, l'ami Mélenchon, qui lui a répondu en paroles. En effet, sur ces 3 (4) points, il me semble qu'ils sont sur la même longueur d'onde. Il me semble que l'ami Dupont-Aignan (qui a répondu lui aussi) le serait aussi. Que l'ami Chevènement, aussi. Et ça fait beaucoup d'amis. Ajoutons donc l'ennemie Le Pen. De toute façon, nous n'avons pas besoin d'être amis, ni d'être d'accord. Paulo, Paul Ricoeur
"Est démocratique, une société qui se reconnaît divisée, c’est-à-dire traversée par des contradictions d’intérêt et qui se fixe comme modalité, d’associer à parts égales, chaque citoyen dans l’expression de ces contradictions, l’analyse de ces contradictions et la mise en délibération de ces contradictions, en vue d’arriver à un arbitrage."

Ah oui, Franck Lepage a raison de dire que cette définition de la démocratie, c'est autre chose que : "aller voter". Michéa encore pour la façon que nous avons (pas moi parce que je m'en fous) de désigner les équipes de France : "les Bleus" a remplacé "les Tricolores". Les trois couleurs du drapeau tricolore symbolisait l'unitas multiplex, quelque part (et même ailleurs), les divergences, les contradictions, les conflits qui traversaient la société française pour la constituer. Aujourd'hui que nous appelons notre régime "démocratique", nous n'avons plus qu'une seule et unique couleur (bleu), symbole de la fausse alternance unique que le Spectacle politique nous offre. Un coup PS, un coup UMP. Mais le premier n'est pas socialiste, le second n'est pas populaire, les deux sont oligarchiques. 

Alors, se reconnaître divisés. Il faut bien commencer. Se reconnaître, déjà. Liquider cette idée selon laquelle toute personne parlant du peuple serait populiste et démagogue. Les démocrates actuels sont des démocrates sans peuple, ce qui ne manque pas de piquant. Nous existons, en tant que peuple, en tension, mais comme peuple, qui doit se déterminer dans et par l'expression de ces tensions. De là une possible reprise de contrôle démocratique de nos politiques économiques et sociales.

Amis et ennemis de droite et de gauche, et on sait depuis 2005 que ces amis et ennemis sont majoritaires, il est possible de demander tous ensemble une Constituante. Tout le reste, toutes les autres questions, sont secondaires et relatives à ce préalable. Ces amis et ennemis de droite et de gauche semblent avancer chacun dans son appareil vers 2012. Ils pourraient se rassembler pour désigner un candidat inconnu (ou la chèvre Biquette) dont le rôle et unique rôle serait de convoquer une Constituante par tirage au sort et de démissionner immédiatement. Ça semble peu probable. Je vois là la condition à laquelle je pourrais avoir envie de voter en 2012. Sinon, on attendra l'apocalypse.

jeudi 6 octobre 2011

Nous les nazis

Voici un article sans ambiguïté, sans ambiguïté aucune, et disons-le : doublement sans une seule ambiguïté. L'ambiguïté devient un très court chemin vers le commissariat - vers la Kommandantur. Gloire et louanges ont déjà été chantées en l'honneur de Lars von Trier, en ces Terres, pour son Œuvre, mais aussi et plus récemment pour ses propos "provocateurs", "ambigus" et "pro-nazis". Le voilà entendu par la police danoise, avant que la française ne prenne le relais ? 

Il nous faut être honnête, cette accusation est tout à fait logique. Il le mérite. Nous le méritons, nous tous, nous les nazis. C'est vrai. Les masques doivent tomber, nous sommes nazis. Nous partageons une sensibilité, une politique, une philosophie, une mystique en réalité, profondément républicaines, démocrates, humanistes.

A ce titre, il est implacable, nécessaire, et fatal que nous soyons, par la radicalité de notre opposition à tout fascisme... Il est sans appel que nous soyons frappés par la loi des démocrates, des républicains, des humanistes ; des "démocrates", des "républicains", des "humanistes". 

Nous haïssons le pouvoir, les pouvoirs, la domination, les dominations, les fascismes de tous genres, pas seulement le poussiéreux vingtiémiste, non ! tous, tous autant qu'ils sont. Nous en décelons les germes non pas dans la méchanceté, la vilénie, la monstruosité de quelques dictateurs manipulateurs, non pas dans l'ignorance des masses passées, ignorance que nous aurions vaincue, nous modernes à l'abri des virus des "heures les plus sombres de notre histoire", à la modeste condition d'en célébrer la Mémoire ; nous les décelons au plus profond de la pensée moderne, des modes de vie industriels, des autoroutes de l'information, de l'abaissement de la mystique démocrate en politique démocrate.

Notre mystique nous pousse à mener le procès de la modernité. Nous pensons que si notre régime s'appelle "démocratie", c'est parce qu'il n'est pas une démocratie. Son système, autrefois appelé "gouvernement représentatif" (compris comme le contraire de la "démocratie"), nous le voyons oligarchique. Autant dire dégénéré. 

Nous avons un niveau d'exigence largement supérieur, ô combien ! au lamentable et pathétique (pathologique) spectacle que notre politique nous offre. Athées, nous parlons Dieu. Anarchistes, nous parlons Morale. Dieu est mort, donc l'Homme aussi. Être ou ne pas être Surhomme. Voyez ! Voyez ! le carré de l’hypoténuse, c'est géométrique, ils doivent nous prendre pour des nazis. Il ne peut en être autrement. 

De notre point de vue, nous sommes intouchables quant à ces questions. Notre obsession est la Question humaine. Le Langage. Le Sens. La Littérature. L'Altérité. C'est nous, avec nos obsessions, qui sommes les premières cibles du nazisme, de toute dictature. Nous n'avons pas à les combattre, à affirmer les combattre. Notre existence suffit. Demande-t-on à la souris de prouver qu'elle veut échapper au chat ? Nous n'avons pas ce temps-là à perdre. Vis-à-vis du fascisme, nous ne souffrons aucune ambiguïté. 

Nous pouvons donc dire : "Nous, les nazis". Qui cela peut-il déranger ? Le pouvoir en place. Ça tombe bien, c'est lui qui nous dérange, qui nous vole nos mots, nous aliène, et qui organise notre abandon volontaire de liberté. C'est lui, oui, pas de loqueteux épouvantails. Nous qui sommes démocrates, sommes dérangés par les "démocrates". Il est juste que nous les dérangions quelque peu en retour. Pour eux, il est extrêmement important que nous soyons démagogues, populistes, antisémites, extrémistes, apologistes du terrorisme et du fascisme, mais encore névrosés, dépressifs et pessimistes. Ces accusations sont si grotesques que nous pouvons les accueillir gaiement comme quelques ridicules gouttes d'eau tombant dans le brasier ardent de Thérèse de Lisieux. 

Alors oui, amis journalistes tolérants démocrates et professeurs de leçons de maintien, oui nous aimons le romantisme allemand, oui nous aimons Louis-Ferdinand Céline, et non nous n'aimons pas le régime que vous défendez. Le formidable raccourci que vous prenez, depuis ces constatations jusqu'à l'ami Hitler (je dis l'ami... comme notre maître le Mahatma Gandhi l'a fait : lui offririez-vous un séjour en prison supplémentaire ?) nous honore. Je répète : nous honore. Ce raccourci insensé ne saurait en effet nous salir de l'ignominie et de l'horreur nazie ; il nous décore en revanche comme opposants, comme résistants à votre pouvoir, à votre fascisme au sens de l'ami Pier-Paolo Pasolini des écrits corsaires. 

Je le sens, une dernière levée d'ambiguïté est de mise. Nous ne vous accusons pas, nous ne vous comparons pas, malgré la provocation de certains mots employés. Nous ne nous exonérons en rien, d'ailleurs, de nos flèches. Nous ne faisons pas de vous les nazis que vous voulez faire de nous. Nous disons simplement que notre lutte est perpétuelle, bien que les acteurs changent ; nous luttons contre le crime, pas contre les criminels. Vous avez, de notre miroir, enlevé la poussière, aurait rappelé Rûmî (sur lui la Paix), alors que vous pensiez nous offenser. Est-ce dur à avaler ?

dimanche 18 septembre 2011

Le Maître

Rappel : il perd son premier match à Roland Garros, diminué physiquement (sans que personne ne l'ait su ou n'ait pu l'imaginer), et contre Soderling (qui n'est pas son meilleur ami), et avant de quitter le tournoi, il va saluer un par un tous les membres du personnel du Central.

Aujourd'hui, il écrase Tsonga après avoir fait de même de Gasquet vendredi, pourtant tout épuisé par son échec tardif à l'US Open. Et, après avoir serré la main de son adversaire, et avant d'aller fêter la victoire avec ses coéquipiers, il va donner l'accolade au cordeur français qui prend sa retraite, et serrer la main de tout le clan tricolore

C'est quand même ahurissant. Il me ferait presque douter. Grand !

samedi 10 septembre 2011

Bzzzzz

Un bourdon femelle car avec du pollen, les mâles ne font rien - "Nature en beauté"


Je vous dis : abeille. Vous répondez : ruche, miel, Maya peut-être. Non !... faux ! nul ! zéro !

Comme je suis généreux, je ne vous mets pas 0, mais vous donne 1. Pas 1/20, mais 1/1000. C'est mieux que rien, pour la molécule de glucose que vous avez du casser pour fournir l'énergie de donner la réponse.

1/1000. C'est peu. C'est confondant et ça interdit. En mille : ça remet en place. Au lendemain, on commence à remettre en ordre. On a ouvert le dictionnaire, mais les pages sont mélangées. Mais la veille, le dictionnaire encore fermé, on ne sait même pas qu'on vaut 1/1000, on pense savoir, connaître, être dans son bon droit. Rien de plus faux. Notre ignorance est abyssale. Je le sais. Je crois même le savoir trop (et c'est, de mon analyse, ce qui me vaut d'être vu comme arrogant ou méprisant par beaucoup de lecteurs). Je le sais, c'est si souvent vérifié, c'est un gouffre qui s'ouvre chaque jour.
Aujourd'hui est le jour des abeilles. Qu'ont ces petites bestioles d'intéressant pour l'être humain ? Elles font le miel. Oui, et quelles en soient remerciées ! C'est entendu. Mais, c'est une espèce, une seule espèce, une espèce sur mille, qui fait du miel : l'abeille de ruche. L'abeille, les abeilles, ce sont donc encore 999 espèces, dont personne n'a rien à foutre. Il y en a des grandes noires (xylocopes), des toutes petites (lysoglissiums ?), des collètes du lierre, enfin c'est une diversité insondable. Tout le monde en ignore l'existence. Encore n'est-ce pas tout à fait vrai, jugez plutôt :

L'Union Européenne a calculé que faire le travail de pollinisation, l’œuvre des abeilles, reviendrait à 14 milliards d'euros par an. Ah. Comme les abeilles sont en train de mourir, elles prennent cher - et c'est leur disparition qui nous coûterait cher à nous. Monsanto et d'autres amis financent moult études pour "démontrer" que la disparition des abeilles est due à diverses causes. Laissons ces conteurs noyer les poissons (ça, c'est inoffensif, à la lettre), et avançons, nous, l'hypothèse des pesticides et de l'agriculture dégénérée (cf. les articles à propos de Claude & Lydia Bourguignon). 

J'apprends par exemple ce jour grâce à une journée menée par l'association Arthropologia que les syrphes, ces mouches qu'on prend pour des guêpes ? mais qui sont capables de faire du vol stationnaire, ont besoin de pucerons pour leurs larves et de nectar pour elles, pour aller chercher des pucerons. Si on a des champs gigantesques de salades, les pucerons pullulent. Mais si, aux alentours, il n'y a pas de fleurs pour donner du nectar à ces syrphes, celles-ci ne viendront pas manger les pucerons. Alors l'agriculteur met des pesticides, tous les 15 jours, pour liquider les pucerons. Bon. C'est toute une connaissance, perdue. Comme celle d'utiliser les plantes qui nous entourent, mais on les piétine sans les connaître. J'apprends aussi que la cramaillotte, la confiture de pissenlit est excellente. Étonnant, non ? Que le plantain est un antihistaminique puissant. Enfin c'est sans fin. Deux illustrations encore : le ricin que l'on trouve dans tout parc est mortel, à dose de deux graines pour les enfants, quatre pour les adultes (barème poelvoordien)... il n'y a qu'à se servir pour empoisonner son voisin ; l'amarante aux propriétés nutritives exceptionnelles était largement cultivée en Amérique pré-colombienne, liquidée par les colonisateurs qui voulaient imposer le christianisme et donc se débarrasser des rites solaires en vigueur pour lesquels l'amarante était utilisée... c'est ainsi ce que l'on nomme une civilisation.

D'ailleurs, j'ai lu en même temps Pour en finir avec le jugement de dieu du cher Antonin Artaud. Le bougre et ses Tarahumas est dans le ton.

Les abeilles meurent, pas seulement les abeilles de ruche, pas tellement elles, surtout les abeilles sauvages. Celles que personne ne connaît, et dont tout le monde se fout. Mais, et j'en fus fort ébahi, elles peuvent aussi trouver refuge à la ville. A la campagne, c'est foutu, c'est pesticide à volonté. Mais en ville, on y met des fleurs, beaucoup de fleurs, pour chaque période de l'année, et elles trouvent donc facilement de quoi se nourrir, plus sainement (car les fleurs en question reçoivent beaucoup moins de pesticides que les champs de l'agriculture intensive) qu'à la campagne. Un comble ! 

Toutefois, ces petites bêbêtes qui nichent pour les unes sous terre, pour les autres dans des tiges creuses, pour les dernières dans du bois, ne trouvent pas en ville d'habitat. Un comble aussi. Mais le marché de l'immobilier est en hausse pour tout le monde. C'est pourquoi il faut leur aménager des maisons. C'est toute l'idée du Projet Urbanbees.

Moralité : c'est tout étonnant de tenir entre ses doigts des abeilles, des bourdons, de les sentir vibrer, bourdonner. De vérifier leur absence totale d'agressivité, aussi.