mercredi 29 janvier 2014

La théorie du genre n'existe pas ? genre!

La situation devient explosive.

La parole est à Charles Péguy :
"Il importe peut-être, il importe évidemment que les républicains l'emportent sur les royalistes, ou les royalistes sur les républicains, mais cette importance est infiniment peu, cet intérêt n'est rien en comparaison de ceci : que les républicains demeurent des républicains ; que les républicains soient des républicains." (Notre jeunesse, p. 116)

Bon. Moi, ça m'a marqué. Voyez, c'est un peu la fin qui ne justifie pas les moyens. Les moyens sont la fin. Ou, pour faire un clin d’œil à mes amis situationnistes (s'il en reste encore qui ne soient ni morts ni renégats-canal-plusisés) : on ne combat pas l'aliénation avec des moyens aliénés

Illustration : le traitement révoltant réservé aux 262 personnes mises en garde à vue de manière parfaitement arbitraire dimanche soir en fin du "Jour de colère". On s'en fout que les "Républicains" l'emportent sur "l'extrême-droite" si les "Républicains" utilisent des procédés d'extrême-droite. 

Au fil des années, l'imposture des "Républicains" m’apparaît toujours plus insupportable. Exemples à la pelle : 
- la liberté d'expression est totale, mais avec des limites
- en France, on est taxé de nazis à la première oreille qui bouge, mais en Ukraine, les nazis (et pour le coup c'est vrai) de Svoboda, c'est super (parce qu'ils sont euro-atlantistes anti-russes)
- il faut tuer Bachar (qui ne mérite pas d'être sur Terre) mais quand des jeunes de banlieue partent en Syrie, ça ne va plus
- etc. je ne prendrai pas tous les sujets un par un, le Pouvoir est complètement décrédibilisé

Le drame, de mon point de vue, est que, face à degré de confiance proche de zéro envers le système, il n'y a que la fameuse fumeuse "opposition de gauche" chère à Mélenchon. L'homme qui dit que les Républicains ayant gagné, les autres n'ont qu'à "fermer leur gueule" (sic). Péguy!

Reprenons "Jour de colère". Je n'ai aucune sympathie pour la plupart des groupes ayant défilé, même s'il y avait, je crois, des "Citoyens constituants", Alain Benajam, les sympathiques journalistes indépendants de l'Agence Info Libre, et quelques quenelliers rigolards. M'enfin, dans cet attelage hétéroclite, je ne m'émeus pas particulièrement de la bataille rangée qui a eu lieu entre la LDJ et les supporteurs du PSG (je trouve ça très bien qu'ils se battent entre eux, à la limite, ça les occupe). J'ai le plus grand mépris pour l'idéologie de Riposte Laïque. Et quand je vois Civitas ou le Printemps Français, un frisson parcourt mon épine dorsale.

Mais ce n'est pas le sujet. Le sujet c'est le rejet d'un système politique brinquebalant.

La gauche ayant abandonné tout discours de transformation des structures sociales, elle est devenue la gauche morale. Mais, parler de "valeurs", c'est déjà une posture de droite. Et les "valeurs" de gauche seront toujours plus faibles que les "valeurs" de droite. "Alors, vous allez être au chômage, vous trouverez jamais de boulot, mais par pitié ne soyez pas homophobes!" A un moment donné, le prolo au chomdu va répondre : "what the fuck?!", précisément, et en anglais, parce qu'il parle la langue. 

Aujourd'hui, la gauche morale antiraciste est terrassée. Je m'en réjouis parce que c'était une imposture. Je m'en inquiète parce que la gauche morale a redonné vigueur à... la droite morale. Et, je le répète, la droite morale sera forcément supérieure à la gauche morale. C'est son métier, les valeurs. 


Mariage pour tous

La gauche morale nous a expliqué que c'était une histoire d'égalité. J'ai quasiment boycotté ce débat à l'époque, considérant qu'il était anecdotique (sociétal) et qu'il était plus urgent et essentiel de parler de social. J'avais simplement dit que de mon point de vue, c'était plutôt une histoire de liberté (je préfère le mot : autonomie). L('im)posture de la gauche morale renforce la posture de la droite morale. Je m'explique : 
- le mariage consacrait l'union d'un homme et d'une femme
- la gauche morale dit : oui mais si deux hommes ou deux femmes s'aiment, ils doivent avoir les mêmes droits...
- la droite morale dit : dans ce cas, pourquoi dire non à la polygamie, l'inceste, la zoophilie
- la gauche morale dit : c'est pas pareil

Mais moi je dis : si, c'est pareil. L'ancienne loi liait le mariage à la procréation. La droite morale prétendait que c'était la loi divine, ou la loi ancestrale, ou la tradition, en bref : c'est comme ça c'est pas autrement. Cet argument ne tient pas. Pas besoin de convoquer Castoriadis pour comprendre que c'est nous qui écrivons nos lois et que c'est à nous de décider. C'est pas parce que ça a été comme ça des siècles durant que ça doit rester comme ça. Ils utilisent le même argument pour s'opposer à la construction de mosquées en France, en prétextant que la France est chrétienne, c'est comme ça c'est pas autrement. Avec un tel raisonnement, personne n'aurait jamais construit d'église en France, parce que la tradition à l'époque n'était pas chrétienne. Bref, absurdité. 

Mais... du coup... si on change notre référence... si le mariage doit maintenant consacré l'amour entre individus, simplement... alors sous quel argument le mariage devrait-il se limiter à deux hommes ou deux femmes, et non pas trois hommes et deux femmes, un homme et une chèvre... 

Là, ce serait vraiment le "mariage pour tous"! Moi, qui n'en ai rien à foutre du mariage, soit dit en passant, je suis sur cette ligne anarchiste : l'Etat n'a pas à nous dire avec qui on peut ou non se marier, point. Point presque final, parce que la limite est évidemment la protection des mineurs, et le consentement de toutes les parties (cela dit, prouver le consentement d'une chèvre, va falloir s'accrocher, mais je rêve sur ce point d'un retour aux pratiques médiévales avec les procès menés contre des animaux, il faut leur accorder un statut juridique). 

Cette position autonomiste, assumée, ne manquera pas de révolter la droite morale. Mais dans les faits : j'ai du mal à imaginer une déferlante de zoophilie... je ne crois pas que les bases de la société s'écrouleraient. De telles pratiques resteraient bien entendu extrêmement marginales, on s'en fout complètement, et on passe à autre chose. 

Alors que l('im)posture de la gauche morale prétendument égalitaire, elle, nourrit par sa faiblesse argumentative, la contre-argumentation de la droite morale, agrémentée de fantasmes délirants. 


La théorie du genre à l'école

On ne change presque pas de thème. Farida Belghoul a lancé un appel à des Journées de Retrait de l'Ecole pour protester contre l'enseignement de la théorie du genre à l'école. Le gouvernement répond très mal. On nous dit carrément : "la théorie du genre n'existe pas". C'est se foutre du monde !

Qu'est-ce qui se dit ? Il y a des différences biologiques entre les filles et les garçons, mais il y a, en plus, des représentations sociales et des stéréotypes qui confinent les filles dans des rôles, les garçons dans d'autres rôles. C'est grâce à la "théorie du genre" que tout un travail de déconstruction de ces stéréotypes a pu être mené depuis plusieurs décennies. La théorie du genre existe, et heureusement.

La droite morale nous reproche, en fait, de rendre floue l'évidence. Mais oui! trois fois oui! Il n'y a pas d'évidence qui tienne. Ça, c'est ma posture révisionniste classique. J'emploie le mot à dessein histoire de m'aliéner absolument tout le monde avec cet article. Je ré-explique quand même que l'histoire est par essence révisionniste, que la science est par essence révisionniste, elle révise sans cesse les théories pré-existantes. On aura beau me dire 10 000 fois qu'il est évident qu'une fille aime le rose et un garçon aime le bleu, je ne verrai jamais ce qu'il y a d'évident à cela. Je ne vois pas ce qu'il y a d'évident à ce qu'un homme soit patron et une femme secrétaire. La science, elle sert à remettre en questions les pseudo-évidences

Au lieu de dire ça, de tenir un discours rationnel, scientifique, et autonome, la gauche morale serpente, louvoie, blablate. "Mais non, on fait pas la théorie du genre, d'ailleurs la théorie du genre n'existe pas". 

Rendons ici hommage aux travaux de Judith Butler. La droite morale nous dit : "ah ! ça vient des USA". Alors, ça ne vient pas des USA comme le Macdo (où est la droite morale, là?) ou le Coca. Non, ça vient des USA parce qu'en France, on a arrêté de penser. Judith Butler a pris la suite, finalement, du travail de déconstruction, ça aurait pu venir de France, si on avait poursuivi Derrida. Mais, tout était déjà chez Simone de Beauvoir : "on ne naît pas femme, on le devient". Et tout était déjà, plus archaïquement, chez Nietzsche reprenant Pindare : "Deviens ce que tu es." Notre biologie ne suffit pas à nous expliquer. 

Y a besoin de louvoyer pour expliquer ça ? 

En niant l'influence des gender studies, et derrière, finalement, de toute la philosophie et la science rationnelles, la gauche morale ouvre une brèche, mais géante, dans son argumentaire, et, s'offre comme profondément suspecte aux yeux de la droite morale, qui remplit cette suspicion de délires du genre incitation à l'homosexualité, que sais-je? Mais quand les intentions de l'autre ne sont pas claires, il est légitime d'extrapoler.


Conclusion

Nous assistons peut-être aux derniers jours de la gauche morale. Plus personne ne croit encore en son discours : ni la droite morale (pléonasme), ni la gauche sociale, ni la gauche morale elle-même qui ne parvient plus à assumer ses positions. 

Avant de péricliter, il est normal qu'elle se crispe. Il est donc à craindre une escalade de violence entre la gauche morale et la droite morale. Les dindons de la farce, comme d'habitude : la gauche sociale. 

Une solution pour éviter ça : ne pas céder à la tétanisation. Lordon défends-nous!

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