samedi 20 décembre 2008

Cavanna Siné qua non


« Le seul fait que Cavanna existe est une insulte au bon goût français » disait Pierre Desproges.



On ne saurait rendre un plus bel hommage à cette légende. De la place qu’il reste à cette légende il sera donc question ici. L’été dernier, nous fûmes tout occupés à départager Siné de Val dans une grotesque affaire montée sur prétexte antisémite – on voit aujourd’hui mieux encore qu’hier combien ce prétexte était fallacieux. Chaque camp en a tiré les conclusions qui s’imposent et cohabitent désormais Charlie Hebdo et Siné Hebdo. A Charlie, on subit peut-être une migration du lectorat, et il s’agit d’indiquer clairement où est le bon grain et où est l’ivraie. C’est Caroline Fourest qui s’en charge cette fois dans Le Monde (« La démocratie des cerveaux disponibles ») : « D’où la division au sein de la presse satirique entre, d’un côté, celle qui veut fortifier la démocratie et, de l’autre (celui des « pulsions infantiles, bêtes et méchantes » précise-t-elle avant), celle qui s’en moque, voire celle qui la vomit. »

Cavanna dont la désillusion se faisait sentir depuis quelques temps ; Cavanna qui s’était plaint que Philippe Val l’utilise pour incendier Siné dans son dernier livre ; Cavanna l’initiateur de cet humour et de cette nouvelle presse satirique bête et méchante ; Cavanna n’allait pas laisser passer cela.

Sa chronique cette semaine : Les dinosaures avaient-ils le trou du cul aussi petit que la bouche ? Il explique : « Ce grand ennui qui m’alanguit depuis trop longtemps, ce n’était donc pas mon exclusif désenchantement qui là, perçait, mais bien le symptôme collectif, peut-être universel, d’un bouleversement majeur dans le cosmos. » La décadence. La mort du bête et méchant. L’affadissement. La victoire des bienpensants. Et de critiquer l’évolution de « Charlie », dont les caricaturistes ont rangé leurs griffes (Choron dernière de Pierre Carles, sortie le 7 janvier), dans lequel les caricatures sont trop souvent politiques et si facilement anti-sarkozystes. Lui préfèrerait du sociétal (« comme si nous vivions en un monde où la politique prime sur toute autre activité humaine ») croqué par la « racaille rabelaisienne ».

Il termine en fustigeant ambition, carriérisme, et finalement un journal – comme il est amère de lire ça sous sa plume à propos de Charlie Hebdo – « Pas encore bon chic bon genre, mais déjà estimé des gens en place. Des gens qui placent. » Se pose donc la question de l’avenir de ses chroniques : « Ce que je fous là, moi, dinosaure bouffé aux mites, sur mon tas de décombres ? On me le fera bientôt savoir, je pense. » J’ai quand même du mal à imaginer que l’on puisse signifier à Cavanna qu’il n’a plus rien à faire dans un journal, dans ce journal ! Va-t-il y rester ?

Et de fait, Caroline Fourest, qui peut répliquer avant le bouclage, répond à Cavanna dans le même numéro de Charlie. Rien n’est laissé de côté dans la flagornerie – vouvoiement, « il fait partie de ces dieux que l’on préférerait ne pas avoir offensés » etc. – et le mea culpa est trop gros pour ne pas paraître balourd. Ainsi, ce n’est pas Cavanna ni toute l’équipe d’Hara Kiri qu’elle visait, mais « une facette de cet humour « bête et méchant ». » Fourest fait ainsi mine de ne pas comprendre. La rupture est consommée ou presque. Elle a beau objecter que la censure est devenue politique et religieuse, ça n’enlève rien à la pertinence du propos de Cavanna, rien. C’est pour cela que Siné était détesté jusqu’à aller au clash que l’on sait. En réalité, le pas était difficile à franchir, mais c’était une bonne chose que de le faire et Siné se porte assurément mieux dans son hebdo que dans « Charlie ». Quant à Cavanna ? Ce sont eux les porteurs de la légende ; le titre Charlie Hebdo leur a en quelque sorte été dérobé ; mais sans eux, qu’en reste-t-il ? Cavanna : « On ne rit pas du SDF. On le regarde crever, mais on ne rit pas. C’est ainsi qu’on fait des carrières. Pas des légendes. »

C’est pourquoi j’aimerais que Siné Hebdo aille plus loin encore, ne tombe pas dans l’anti-sarkozysme facile, évite une philosophie onfrayenne un peu emballée… mais il est vrai que quelques signatures sont quelques peu décevantes (Geluck ?! Isabelle Alonso !?).

En attendant qu’une relève pointe le bout de son nez et bâtisse une légende nouvelle ?

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