Vous pouvez dire : mais oui, les deux précédents articles sont bien gentils, mais il y avait une raison pour privatiser ainsi le crédit, et puis le monde a changé et il faut faire face à la concurrence des pays émergents. Un tel discours sera tenu indifféremment par qui vous voulez du PS à l'UMP en passant par le Modem et Europe Ecologie, partis qui donnent l'impression d'une offre diversifiée au niveau politique. C'est un peu l'histoire du spectre visible des ondes électro-magnétiques. Nous pouvons en voir des couleurs du rouge au violet, cependant, ce n'est qu'une infime part des ondes existantes et néanmoins invisibles. De même, la grande majorité des idées sont invisibles à la télévision. Et celles que nous voyons peuvent, à l'instar des couleurs de l'arc-en-ciel superposées dans la lumière blanche, se fondre dans une unicité (pardon). Comment appeler cette pensée dominante ? n'a aucune importance. Ceux qui sont dans le bon camp se dénomment "sociaux-démocrates" (sans rien avoir en commun avec les vrais sociaux-démocrates) et insultent leurs soi-disant adversaires de "néo-libéraux" (qui trahissent le libéralisme comme les précédents trahissent le socialisme). Tous sont en réalité les enfants de la théorie monétariste de Milton Friedman. Je ne rentre pas dans les détails ; et, je me pardonne cette caricature :
L'idéologie consiste à avoir l'obsession de la stabilité des prix (éviter l'inflation) et donc empêcher l'Etat d'intervenir sur le plan monétaire et économique.
De fait, il a pu arriver que des gouvernements battent monnaie inconsidérément, à l'approche d'élections. Dans ce cas comme dans d'autres, la spectre de l'inflation (et des années 30) sert d'épouvantail (logique). Ainsi, la loi de 1973 fut justifiée par la lutte contre l'inflation, supposée être causée par l'augmentation de la masse monétaire. Or, la masse monétaire a depuis considérablement augmenté, jusqu'à 11% par an (nous sommes en droit de nous demander en quoi les banquiers seraient plus raisonnables que l’État), sans qu'une inflation galopante ne vienne tout terrasser. Cet argument est plutôt mis à mal.
Eut-il été valable que cela n'aurait pu remettre en cause le pouvoir régalien par excellence d'un État qui est de battre lui-même sa propre monnaie. Et pourtant... Bref, je ne reviens pas dessus, ce que je ne saurais faire sans tourner en rond avec les articles précédents.
La seconde objection - la concurrence internationale - mérite une pause. Là, j'ai envie de sortir mon
Emmanuel Todd. L'actualité en a décidé légèrement autrement, puisque
Maurice Allais, Prix "Nobel" (un faux Prix Nobel, qui a pour but de faire croire que l'économie est une science, d'ailleurs) d'économie 1988, est décédé en début de semaine à l'âge de 99 ans. Comme
le rappelle François Asselineau, son âge avancé ne l'empêchait pas de combattre intellectuellement, bien que banni, pour ainsi dire, des média. En témoigne
une intervention que
Marianne a eu l'honneur de publier le 5 décembre 2009. Résumons le résumé de la pensée de M. Allais : la monnaie n'est pas le seul problème, il y a aussi la libéralisation excessive, ce qu'il appelait le "laissez-fairisme", dévoiement du libéralisme, complètement destructeur. Il est absurde de faire du protectionnisme face à des voisins ayant le même niveau de vie, et peut-être des économies complémentaires, comme c'est plutôt le cas en Europe de l'ouest, par exemple. En revanche, face à des économies de niveaux complètement différents, le libéralisme conduit à la destruction avec délocalisations, chômage, etc.
Le plus fort, c'est que, finalement, le seul continent libéral aujourd'hui est l'Europe. Oncle Bernard (Charlie Hebdo, 12/10/10) :
"L'euro flambe. Trichet [Banque Centrale Européenne] regarde, un verre d'eau à la main. De quoi Trichet est-il le nom ? De l'incompétence ou de l'incapacité ? Les deux, mon capitaine. Il ne peut rien faire. Les Américains décident d'accélérer la chute de leur monnaie en achetant à tire-larigot de la dette (en battant monnaie, autrement dit), les Japonais font de même, les Chinois aussi, Trichet regarde. Veut-il contrer la hausse de l'euro ? Non. Il regarde toujours l'horizon dans l'attente de l'inflation. [...] Un euro fort ne pénalise pas l'Allemagne, qui assemble hors zone euro (faibles coûts) et vend dans la zone euro (prix forts), mais tous les autres pays, la France, l'Italie, etc. Ne parlons pas de la Grèce."
Grèce en cours de "rachat" par la Chine. C'est fini. La guerre économique est perdue, ce que ne peuvent que constater les responsables "libéraux" de cette situation, les Grands Experts invités sur tous les plateaux TV. Il n'y a plus qu'à ralentir la chute en détruisant ce qu'il reste de politique sociale. C'est encore un mauvais calcul, assurément.
C'est un certain protectionnisme qui a permis à l'Europe d'atteindre, par exemple, l'auto-suffisance alimentaire, et c'est le libéralisme imposé à l'Afrique qui conduit celle-ci, par exemple, à envoyer ce qu'elle produit en Occident plutôt que de le consommer sur place et lutter contre la famine. Des zones régionales organisées sont bénéfiques à tout le monde. Pour qu'il y ait libéralisation, il faut :
- un système de complémentarité entre les marchés nationaux pré-existants
- une production internationale diversifiée
Faute de quoi, il n'y a pas de coopération possible, mais des concurrences directes et la destruction par ceux qui vont gagner les marchés de ceux qui avaient de quoi subsister. Il est évident que l'industrie française n'a aucune chance face à la chinoise.
Conclusion, les faux socialistes et les faux libéraux, blancs bonnets et bonnets blancs, nous emmènent dans le mur, et c'est pourtant au début qu'il aurait fallu se lamenter, comme le dit mon cher Djâlâl od-dîn Rûmî. La crise des subprimes a ouvert une légère brèche, il devient plus facile de voir les ondes débordant le spectre par la droite ou par la gauche. Maurice Allais, libéral et socialiste, mais aux vrais sens des mots, en fait partie. Je vous laisse avec Emmanuel Todd et Jacques Sapir, pour enfoncer le clou.