Il y avait eu La question humaine (N. Klotz) puis Telepolis (E. Sapir) ces derniers mois et j'ai déjà eu l'occasion de les rapprocher par leur dette envers Fritz Lang et ses films de l'entre-deux-guerres notamment. C'est désormais La Zona, premier film prometteur du Mexicain Rodrigo Pla qui s'y colle. En effet, comme dans Metropolis, la ville est coupée en deux et il y a cette idée du médiateur entre les deux parties ; et comme dans M le maudit, une chasse à l'homme impitoyable est menée, à l'intérieur de la Zona.
A ma connaissance, ce film est le premier qui traite de ces gated communities, ces communautés fermées, gardées et surveillées, ghettos de riches qui réinventent la division sociale de l'espace urbain jusqu'à le pousser parfois à la limite du séparatisme. Le phénomène touche l'Amérique latine, la Russie, mais pas seulement et risque de s'étendre comme aboutissement des paradoxes du développement des villes globales que pointait déjà Saskia Sassen en 1991. C'est dire que le cauchemar de La Zona risque de se poser de plus en plus fortement, le temps passant.
La Zona raconte comment un accident ouvre une brèche dans le mur entourant la Zona dans laquelle se faufilent 3 jeunes outsiders qui espèrent pouvoir voler quelques objets précieux : l'affaire tourne mal, 2 d'entre eux sont rapidement tués, et le 3ème parvient à se cacher, pour n'être que mieux pris au piège de la chasse qui lui est menée dans une folie paranoïaque et sécuritariste allant crescendo. On pourrait regretter que le réalisateur n'utilise qu'avec parcimonie le regard issu des omniprésentes caméras de surveillance, qu'il nous plonge davantage dans l'aliénation totalisante, mais à quoi bon tant cela a été traité en long et en large au cinéma ou plus encore dans les romans sur la question. En fait, le propos n'est pas tant porté sur le Surmoi de la société que sur la dialectique entre son Moi et son Ça. En clair : ce qui travaille la société et ses individus, consciemment ou pas, et qui la (les) pousse à sacrifier la liberté sur l'autel de la sécurité. Pour cela, des jeux de miroirs, de contrastes, de contradictions sont le réel cœur du film, comme lors de cette fantastique visite du parcours de golf de la Zona où le premier plan n'a pas le moindre intérêt si l'on ne remarque pas l'arrière-plan qui fait toute la richesse du propos.
Le tableau est certes bien sombre, mais l'est-il exagérément ? Non, et c'est là le drame que pose ce film. Mais à l'absurdité de cette organisation sociale de l'espace urbain créant un nouveau genre d'enfermés dehors, au cynisme sans limite de cette communauté de riches, en bref à tout ce que dénonce violemment R. Pla, est opposé - et c'est là encore une filiation langienne - cette obsession de la lutte contre la fatalité (ici, ce rôle est rempli par quelques personnages, à l'intérieur ou non de la Zona ; mais aussi par les jeux de contrastes qui émaillent le film). Il n'y a rien de naturel ou d'inéluctable à ce que les choses se passent ainsi et il appartient aux individus de se révolter contre l'état de fait qu'ils rencontrent, aussi difficile que cela soit - et cela le sera pour tous nos réfractaires. Si l'on extrapole quelque peu, on pourrait penser que R. Pla considère que c'est à la nouvelle génération de mener cette révolte, que la précédente n'en a plus les moyens. Aux jeunes d'affirmer leurs valeurs, la culture-monde, le web 2.0, que sais-je? pour une régénération démocratique et une réinvention des liens de solidarité puisque les anciens sont mis à mal par l'évolution du monde globalisé ?