mercredi 15 août 2012

Au hasard, Balthazar !

Le Balthazar du Pilat
En croisant par hasard cet asinus hier, je repensai par la même occasion à ce grand film de cinématographe - il tenait au terme - de Robert Bresson. Au hasard, Balthazar : le titre seul évoque mille et une choses. Tout âne s'appelle Balthazar et tant pis pour les autres. Voilà déjà une affaire réglée. "Au hasard, Balthazar", c'est la devise des comtes des Baux. Bah ! ils ont pris ce nom par toponymie : Bale égale escarpement, les Baux de Provence donc sur lesquels ils comptaient bien régner. Il leur fallait toutefois un parrain, un patron, une légende à la hauteur, quelque chose quoi... Bautezar était tout indiqué (Balthazar). Ne manquait plus alors qu'une devise. Un petit calembour, ça ne déplaisait pas au Cavanna de l'époque, mais ça avait en plus une force un peu magique racontent les historiens. Et on vous le dit depuis tout petit : le Moyen-âge était peuplé d'arriérés mentaux superstitieux et enfouis dans les Ténèbres - Voltaire ouakbar ! Croyez-le à la fin ! Je m'égare. 

Leur calembour, donc, sorte de méthode Coué vouée au défi, à l'audace (et on retrouve nos Voltairiens : Danton-de-l'audace-encore-de-l'audace-toujours-de-l'audace) : a l'hasart Bautezar (des spécialistes en vieux provençal confirmeront l'orthographe d'époque). 


Au hasard, Balthazar !

Et vous n'imaginez pas ce que furent les guerres baussenques. Oh ! on n'est pas loin du byzantinisme. Ce ne furent que guerres, mariages et diplomaties. Que les Baux menèrent non sans afficher un certain esprit de résistance, assez jovial si on en croit leur devise, envers les Catalans leurs ennemis. 

Bon, les Baux ont été vaincus, terrassés, liquidés, démantelés. C'est encore plus beau, j'ose le dire. Et c'est assurément à cet esprit-là que Bresson a voulu rendre hommage pour ce film qui va montrer la Douleur du Monde. Le Monde est Douleur, c'est entendu - on peut le parcourir avec enthousiasme et panache, se sacrifier et s'en remettre au hasard - et d'autres diraient à Dieu. 

Question Douleur, il se pose le Bresson. Ce destins croisés Marie - Balthazar (puisque l'âne fricote avec l'âne) ne ménage aucun suspense : on y va tout droit. La chemin est tout tracé. D'une déception l'autre, d'une souffrance à l'autre et le terminus : la mort. Bresson c'est un peu Bernanos au cinéma. On va vers le cœur, et par les chemins les plus boueux qui soient. L'efficacité, la rapidité, la modernité sont balayées comme autant de dévoiements.  C'est cet abruti de jeune sur sa mobylette : "C'est chouette un âne, c'est rapide, moderne."  


D'un âne à une âme, il n'y a qu'un pont. 

Et personne, plus personne pour le franchir.

Comme dans chacun de ses films, le parcours de Marie-Balthazar est un chemin de croix. Vaincus ! Terrassés eux aussi. Moi, ça me rappelle Suarès cette histoire : 
"En avant. […] Puissé-je ne rien garder à mes semelles de tout ce que je quitte, et ne rien emporter que mes belles douleurs, mes belles conquêtes, toutes mes victoires sur moi-même en tant de combats où j’ai été vaincu selon le monde, défait par la laideur et révolté par le bruit. […] En avant !"
Que de laideur et de bruit, en tant de cages, de fouets, de vitesse, de trahisons, de cynisme, de violences !... en fait, ce bruit et cette laideur tendent à être universels. Il y a aussi les démissionnaires. Mais il y a ceux qui s'accomplissent, vont au bout de leur destination. C'est leur destain. Quitte à le vivre, autant le vivre en l'aimant assez pour être capable de vouloir le vivre, le revivre, le revivre éternellement - Zarathoustra défends-moi ! Au hasard des souffrances et des désillusions, on les retrouve - qui ? mais Marie ! mais Balthazar ! Les Saints !

A vrai dire, on ne sait pas de quoi souffrent tous ces protagonistes. Bresson s'en fout. Et nous aussi. Ils souffrent. Conséquence de quoi ? voir le film. Nous, nous ressentons, avant d'essayer de comprendre. Je crois que ça aurait fait plaisir au cinéaste. Pendant que "les années passent", il ne filme que les pattes de Balthazar - parce qu'évidemment ça pourrait être n'importe qui ou n'importe quoi. Les pierres elles-mêmes doivent souffrir. 


Bresson est bernanosien c'est entendu. Mais je n'ai jamais vu des références à Léon Bloy - mon inculture en est sans doute la cause. Mais ce film est bloyen. La Femme pauvre, bien entendu, qui se termine par cette invraisemblable phrase : 
"Il n'y a qu'une tristesse, c'est de n'être pas des SAINTS."

Alors voilà, Marie, dans ce monde de Tartufes modernes et cyniques sans valeurs, est une Sainte qui sacrifie aux cérémonies de son Amour. Balthazar, "rétrograde et ridicule", est un Saint. Leur sort est fatalement tragique dans un monde où "le billet de banque et le culot, l'aplomb suffisent" (le vieux Grigou). 

Mais, Marie ni Balthazar ne sont tristes. Ils affrontent la Douleur. Le grand Louis Armstrong les comprendrait :


1 commentaire: