mardi 6 septembre 2011

Retour en Melancholia

Combien d'entrées pour Melancholia ? Je n'en ai idée. C'est un film omis. Il faut les bandelettes pour trouver l'homme invisible qui l'a vu. Encore a-t-il bénéficié de la stupidité de nos amis censeurs, toujours prêts à porter l'esprit Courbertin, partout où ils passeront, toujours plus haut plus fort plus loin dans la bêtise.

Il s'est pourtant trouvé quelqu'une influencée peut-être par mon premier article sur la question, pour l'aller voir et m'en rapporter quelque commentaire. J'en fus tout ébahi. Et s'ensuivit une discussion tout à fait déroutante dont je profite pour revenir placer quelques banderilles misonéistes, quelques variations sur le thème de Melancholia le dernier film en date de Lars von Trier.

Nous, les nazis, dirait-il goguenard, nous n'aimons pas la modernité. Le lecteur de ce blog - ce singulier ne sous-entend pas une généralité, un type, archétype, mais plutôt la grande solitude de celui-ci - l'aura compris. Je me sens de la même famille que Lars von Trier, de la même famille j'allais dire de pensée... non... de mystique ?... Une famille hétéroclite, pour le moins, cosmopolite et incongrue... à tel point que personne n'aurait l'idée de la voir comme une famille. Moi oui. De Nietzsche à Gandhi, de Tarkovski à Bernanos, de Nabe à Dieudonné, de Beethoven à Ali Reza Ghorbani, de Jésus à Rûmî... Étonnant, non ? Van Gogh ?! dont la reproduction de tableaux dans un bureau étatiste a perturbé toute ma matinée. Bela Tarr - que je l'attends ce Cheval de Turin !... Je n'en fais pas la liste, le lecteur, encore lui toujours le même, la connaît. La clé, la clé, celle qui ouvre la porte de Éden familial, personne ne l'a aussi clairement donnée que Charles Péguy, à ma connaissance. Socialiste - mystique, catholique - mystique. Je dis "aussi clairement" : c'est on-ne-peut-plus faux. Prononcez mystique aujourd'hui, et enfuyez-vous en courant car un témoin auditif aura certainement alerté les autorités sanitaires. Prononcez socialiste aujourd'hui, prononcez catholique aujourd'hui, il est acquis, démontré, certifié, assuré que personne, personne je dis bien personne ne comprendra par là ce que Péguy désignait alors par ces mots. A moins d'avoir lu Péguy, à moins de l'avoir bien lu. Vous conviendrez que ça limite. L'ayant lu, et je l'espère bien lu, vous pourrez vous reportez à mes délibérations sur la question, si cela vous chante (ici ou ).

Sinon, passons à Melancholia. Vous savez quels furent mes brefs mots, si je peux vouvoyer mon lecteur. Quelle ne fut pas alors ma stupéfaction d'apprendre que Lars von Trier était le "Houellebecq du cinéma", et un "grand morbide". Pour un nabien, l'attaque fait mouche. Mais à la mouche, c'est un Grand-Duc qui répondra, dans un combat acharné. 

Ici, je dois avertir le lecteur, parce que certains ont la manie de lire des articles sur les films qu'ils vont aller voir (?), et n'aiment pas que des pans de l'intrigue soient dévoilés. De toute façon, les films que j'aime n'ont que très rarement une intrigue. Il ne s'y passe rien. Mais c'est justement tout l'intérêt. Tout de même, lecteur, si tu es dans ce cas, fais demi-tour, et reviens dans quelques temps.

Comment je comprends Melancholia
Une femme, Justine, est quelqu'un de profondément vivante (elle le tient paradoxalement de sa mère qui n'a pourtant pas fait tout le chemin que fera Justine, elle en est restée à l'aigreur) et assurément brillante. Jusque là tout va bien, pour elle, elle nage dans le sens du courant. Pourtant, la concrétisation, à tous points de vue et simultanément, va tout casser - non ! va tout révéler... L'imposture ! l'illusion ! la duperie ! l'inversion de toutes les valeurs ! Ce qu'elle prenait en apparence et en inconscience pour du bonheur, du projet, de l'avenir, de la vie... en était l'exact contraire. Cette cérémonie, ce mari, ce patron, cette famille, ces amis, tout est faux, tout est mou, tout est creux, tout est décadent, dégénéré, tout morbide. Morbide, c'est le mot clé, en effet. Malsain, pathologique, qui porte la maladie. 

Prenant conscience, désormais, de cette inversion - d'abord elle ne comprend pas, puis elle rejette, elle en subit le contre-coup, et, enfin, enfin ! accède à la sérénité, c'est elle, Justine, qui passe pour malade, mélancolique, dépressive, désespérée, fataliste. Prenant à bras le corps sa liberté, c'est elle, Justine, qui est infantilisée. 

C'est dire... Lars von Trier filme ce mariage, de toute évidence, comme image, symbole, comme métaphore d'une décadence. Son propos n'est pas de dénoncer l'abrutissement de quelques milliardaires, ce qui serait somme toute un problème bien marginal à l'échelle de l'humanité. Non, c'est une enflure, une caricature, un portrait à charge, il enfle la vie moderne, la vie de l'être humain moderne, pour en dénoncer ce que cet être humain moderne lambda ne voit pas dans son quotidien, puisque c'est son quotidien, habituel, normal, naturel dirait-il franchement. 

Ce que Lars von Trier nous dit : voyez ce mariage, voyez cette décadence, ces personnages grotesques, ridicules, caricaturaux, morbides et dégénérés, voyez-les, et insultez-les bien, mais, comme dirait Rûmî, n'oubliez pas d'enlever du miroir qui vous fait face la poussière, car c'est vous que vous regardez, que vous insultez. C'est vous qui roulez dans cette putain de limousine trop grande pour une route sinueuse. Pas eux. Pas eux, seulement. Vous. Nous. Nous tous. Pas d'innocent. Tous matérialistes, modernes, bourgeois. C'est ça le crime.

C'est bien... d'accord... de ne pas manger tous les midis au Mcdo, et de ne pas acheter le i-pod ZX27 en ayant campé devant le magasin. On trouverait, et certainement beaucoup parmi les plus riches (mais pas seulement...) des comportements tellement aliénés... C'est déjà bien de ne pas tomber dedans. Ce n'est pas suffisant. C'est loin d'être suffisant, et même, c'est pire encore de ne pas tomber dans ce panneau-là, et de ne pas voir qu'on est tombé dans un panneau bien plus grand. A mon sens, ce n'est pas très glorieux que quelques milliardaires célèbrent de tels mariages déglingués et morbides. Il est pourtant tellement plus grave, combien plus grave, terrible ! que nous tous, des milliards de bovins, nous allions faire nos courses à Auchan. 

Elle est là la grande victoire du modernisme, du matérialisme. Tout le monde y donne, mais une petite extrémité trop voyante permet à l'immense majorité de ne pas même se douter qu'elle vit sur les mêmes fondamentaux, le même paradigme que ces brebis galeuses désignées. On nous fait le coup du juste milieu. Le coup de la tolérance. Le coup du sentimentalisme. Le coup aussi de l'optimisme. On nous fait le coup du : il y a du bon et du mauvais partout, il y a des gentils et des méchants partout. 

Qui est vivant ? Justine. Qui est morbide ? Claire, tous les autres. Qui reproche de la morbidité à qui ? Claire, tous les autres, reprochent de la morbidité à Justine. Transfert classique. Toutes les valeurs ont été perverties, inversées. Ceux qui vivent dans l'illusion, dans une ambiance morbide reprochent à celle qui, vivante, et libre, forte, nietzschéenne, leur montre ce qu'ils sont eux. 

C'est Melancholia qui viendra détruire toute vie. La mélancolie... la complaisance envers cette vie morbide qui s'ignore. Quand Justine sereine, sage (cf. la citation-mère de ce blog) dit ses quatre vérités, assène la Vérité à Claire, c'est extrêmement violent, extrêmement. Je crois, aussi violent que tous ceux qui ont joué ce rôle de prophète. L'intolérance est indispensable à la propagation de la vérité. Partir dans du sentimentalisme, parce que Claire est gentille, elle se démène pour sa famille, pour sa sœur, elle fait ce qu'elle peut, elle ne mérite pas d'être "insultée", cela revient à estimer qu'elle mérite de mourir dans sa voiture de golf espérant échapper à une planète... Lui ayant dit la Vérité, Justine lui offre une mort, dans la cabane magique, plus belle, plus digne, plus aristocratique, noble, meilleure. Bien entendu c'est violent à encaisser, mais c'est la vie. Et la première source de morbidité, c'est la négation de la violence.

Je précise ici, je m'en sens obligé, malgré mes nombreux radotages sur le sujet (dernier en date) : l'intolérance ne vise pas ne vise jamais une personne, laquelle bénéficie toujours et quoiqu'elle ait commis de la jurisprudence Jésus Christ : "pardonnez-leur car ils ne savent pas ce qu'ils font".  Ce qui est haï, c'est le Mal, c'est le crime. Le criminel lui ne subira aucune flèche, il n'est pas défini par son crime, il peut se repentir, marcher sur le chemin de la rédemption ; et, nous sommes tous criminels.


A la suite de quoi, on ne peut comprendre le film comme fataliste, comme une résignation, du sans espoir. C'est le contraire. L'ennemi est identifié, c'est la mélancolie, c'est la complaisance envers la morbidité. Chaque spectateur n'a plus qu'à se révolter, dans sa vie, dans son quotidien, contre tout ce qui l'aliène, et se libérer de ces pesanteurs modernes, matérialistes, démocratiques, sentimentalistes et tolérantes. Oh ! la tâche est immense, est infinie. C'est un chemin, un chemin boueux sur lequel on ne progresse que pas à pas, parfois même sur place, parfois encore à reculons, les obstacles sont légion. Peut-être seuls quelques-uns en sont capables, pour écrire un Zarathoustra, pour conduire une marche du sel. Mais, la résignation est impossible !...

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