vendredi 21 mars 2008

Philosophie de l'éducation

Reboul, La philosophie de l'éducation, Que sais-je? n°, PUF, 2006

I/ Introduction à la philosophie de l'éducation

Elle se demande quelles sont les fins de l'éducation, depuis Socrate mais c'est une vérité de toujours (cf. Bible). Elle apporte une méthode, en fait 5 méthodes :
- histoire de la philosophie
- réflexion sur les sciences (ici le pluriel irréductible des sciences de l'éducation)
- analyse logique éliminant les fausses questions
- l'argumentation a contrario la complétant (d'inspiration platonicienne)
- dialectique, idéaliste dans sa synthèse mais elle sert quand même à faire bouger le réel

Montrer que les choses ne vont pas de soi, sous l'égide de Montaigne, est son but.

II/ Qu'est-ce que l'éducation?

educare : élever des animaux ou des plantes. Eduquer = élever ? = enseigner ? = former ? Ces termes s'excluent et se complètent. Comment réunifier ? Apprendre, devenir meilleur : cela pose la question de l'humanité.
Est-on Homme de naissance ou le devient-on ? Pour Helvétius, "l'éducation peut tout", la nature humaine est réduite à l'insignifiance. Mais alors se pose la question : "qui éduquera les éducateurs ?" On peut éduquer des enfants sauvages, pas des animaux, donc la place de la nature humaine importe et l'éducation, non, ne peut pas tout (Piaget, Freud, Wallon et les stades de développement). En fait, l'éducation ne peut pas tout, mais on ne peut rien sans elle.
Doctrine empiriste/culturaliste vs. partisans de la nature = éduquer pour la société vs. éduquer pour l'enfant. Les premiers estiment qu'en adaptant l'enfant à la société, on oeuvre aussi pour son bien. Les seconds y voient le triomphe du conformisme, et une perte de complexité. Alors, fausse alternative ? Entre l'individu et la société, il y a l'humanité : on éduque pour faire un Homme, accomplir sa nature au sein d'une culture humaine. Utopie ? Seul moyen d'éviter à la fois le laisser-faire et l'endoctrinement.
Définition : l'éducation est l'ensemble des processus et des procédés qui permettent à tout enfant humain d'accéder progressivement à la culture, l'accès à la culture étant ce qui distingue l'Homme de l'animal.

III/ Les institutions éducatives

Une institution est une réalité sociale relativement autonome, stable ou régulière, contraignante selon ses règles et qui se spécifie par sa fonction sociale. Leur trait commun est la confiance qu'elles inspirent, sans laquelle il n'y aurait pas de vie sociale.
La famille : la 1ère éducation, "l'école du sentiment" (Alain). Elle protège (conservatrice) et elle éduque (impose sa hiérarchie) au risque d'en faire un éternel mineur (Piaget), de devenir un "régime cellulaire" (Gide). Pourtant elle n'est pas remplacée, pas remplaçable ? Freud insiste sur ses dangers mais ne la rejette pas : être refoulé, c'est être Homme. Comte est plus... positif : la famille transforme les instincts les plus brutaux en tendances sociales apaisées (sexualité, maternité). Donc la famille forme les sentiments, est la seule institution capable de le faire, par sa simple existence, elle éduque autant les parents que les enfants, et subsiste par la confiance dont elle bénéficie.
L'école : institution prospère. Pourquoi ? Nocive et inefficace selon Ivan Illich mais sa disparition provoquerait la fin de la protection des enfants, donc de l'enseignement du savoir. Or le savoir scolaire est le seul qui soit à long terme, organisé, adapté (didactique), argumenté et désintéressé. Regrettons quand même avec Illich le monopole de l'école qui prouve que la société devient anti-éducative (quid du tiers milieu éducatif ?)
L'université : fonctions d'enseignement "supérieur", de recherche fondamentale (critique instituée), de collation des grades et de formation des adultes. Comprendre est la raison d'être de l'université.
Ces institutions sont-elles antagonistes ? Est-ce dommageable ou au contraire sont-ce de nécessaires ruptures ? C'est le problème de la pédagogie !

IV/ La pédagogie et ses antinomies

C'est un savoir-faire pratique et une théorie (Durkheim dit "théorie pratique"), elle suscite débat, parce qu'elle est le lieu d'antinomies, inhérentes à sa nature même.
Dès qu'il y a pédagogie, il y a débats (contenus, manières d'enseigner...) Eduquer les hommes (sophistes) => l'Homme mesure de toute chose => la pédagogie tend à mépriser les savoirs qu'elle enseigne. Le garde-fou contre cette pente : la conscience qu'il existe plusieurs pédagogies : courants classique, novateur, techniciste.
Contrainte vs. désir d'apprendre : Dewey apporte une synthèse en voulant trouver l'intéressant suscitant de lui-même l'effort en profondeur et la joie véritable (dialectique question / réponse se réalisant dans l'œuvre). Autre solution : la pédagogie du secret (paraboles du Christ) incitant les élèves à résoudre l'énigme, pour constater que la réponse est en eux.
Transmission vs. spontanéité : la synthèse serait de trouver "l'acte commun" de l'apprenant et de l'appris => pédagogie de la compétence (l'esprit est capable d'apprendre ; les savoirs sont une forme dynamique). Paradoxe de Platon : on n'apprend jamais que ce qu'on savait déjà.
Incertitude vs. technicité : les techniques pédagogiques sont indispensables pour réduire l'inertie mais sont par nature imparfaites puisque si l'éducation se ramenait à une technique parfaite, elle ne serait plus éducation. Il y a un non-pouvoir pédagogique (Saint Paul, Corinthiens, III, 7), la pédagogie n'est qu'un synergoi, un auxiliaire et ne peut connaître le résultat ni même en quoi elle y contribue. Il y a une boîte noire entre les méthodes et leur résultat.
Rupture vs. continuité : thèses classique (ruptures) et nouvelle (continuité) se contredisent aussi efficacement. Faut-il choisir ? L'allégorie de la Caverne : détours et retours et relation pédagogie / politique (enseignement = détour et retour à la vie active d'adultes conscients et responsables)

V/ L'autorité

Eduquer, c'est un rapport vertical, donc d'autorité, qui ne va pourtant pas de soi. 6 formes d'autorité : le contrat, l'expert, l'arbitre, le modèle, le leader, le Roi-Père. L'enfant rencontre d'abord la dernière, les régimes totalitaires tentent de l'y maintenir. Comment s'en émanciper ? Les libertaires s'enferment dans une alternative infantile en confondant l'autorité avec sa forme Roi-Père. Le vrai débat, plus que liberté vs. autorité, serait plutôt : quelle forme d'autorité ? Les classiques (paideia) optent pour l'expert, l'arbitre, et surtout le modèle (reproche d'élitisme, et d'imposition de modèles). L'éducation nouvelle accepte l'expert et l'arbitre, mais remplace le modèle par le contrat.
Mais n'y a-t-il pas des formes d'autorités présentes inconsciemment (leader) ? Pour Kant on doit "prouver à l'enfant qu'on exerce sur lui une contrainte qui le conduit à l'usage de sa propre liberté". Le but est donc de passer de la contrainte à l'autocontrainte, à être majeur.
Quel enseignement en société démocratique ? C'est équivoque (plus de liberté ? d'égalité ?) 3 principes :
1/ former des démocrates (Dewey) en usant de l'autorité du contrat (autodiscipline, coopération, respect de l'autre)
2/ l'enseignement fondamental doit durer le plus longtemps possible, sinon la culture devient privilège d'une élite (se pose le problème de l'enseignement différencié : supprime ou consacre les inégalités ?)
3/ objectivité, pluralité des valeurs, éviter l'endoctrinement (perversion de l'enseignement)

VI/ La rigueur

L'exercice de l'autorité, c'est l'usage de la rigueur, terme ambivalent et ambigu. Education et rigueur sont inséparables (Bible, Proverbes, XIII, 24 "qui aime corrige avec rigueur"). L'enfant est un être mauvais à corriger ? Les deux sens de discipline étaient unis. Depuis, l'anti-rigueur a fait du chemin, notamment avec Rousseau pour qui "la nature de l'enfant est bonne". Il rejette la rigueur qui commande, l'indulgence qui laisse commander. Mais la nécessité des choses lui paraît une rigueur éducatrice, elle. Ne jamais interdire, rendre la chose impossible (mieux vaut un enrhumé qu'un fou). C'est la rigueur humiliante car arbitraire qu'il rejette. Rousseau connaissait-il l'enfant, cet être social qu'il isole de la société ? Le néo-rousseauisme corrige ce point : pédagogie de la coopération. Mais, rigueur occulte ? C'est l'institution qui décide qu'il y aura contrat, pas l'élève ! Et la rigueur de l'échec persiste, épée de Damoclès. L'enfant aime le risque, apprendre c'est surmonter (ceci contre la pédagogie de la réussite). Finalement, la rigueur est un "invariant pédagogique" (Michel Tardy).
Apprendre la rigueur, c'est apprendre à grandir. La rigueur est une valeur, ne devient violence que quand elle est arbitraire. La rigueur éducative est une violence épargnée. Pour éviter le rigorisme, faire preuve de rigueur envers sa propre rigueur (Aristote), admettre que le qualitatif est plus ou moins arbitraire et d'autant moins selon l'examinateur (discussion avec collègues et élèves). L'anti-rigueur, la grâce, est aussi nécessaire. "Quid d'une pédagogie qui ne saurait sourire ?"

VII/ Les valeurs de l'éducation

On ne peut se passer des valeurs en éducation, pourtant, en parler est délicat (il faut passer outre positivisme, relativisme et indifférence). C'est un problème pédagogique et politique résumé par Alain : "nous n'avons pas besoin d'une élite éclairée, mais d'un peuple éclairé." Mais qu'entendre par "valeurs" ? Ce qui vaut la peine d'être enseigné (choix). 2 catégories :
1/ ce qui unit : ce qui intègre l'individu durablement à une communauté aussi large que possible (attention : on ne peut l'établir par une statistique, sinon on enseignerait l'astrologie au lieu de la physique). Place à la mémoire, à la socialisation
2/ ce qui libère : de ce qui domine ou aveugle. Ce qui est transférable (on apprend plus que ce qu'on apprend). Enseignement actif, avec effort sans lequel on ne peut rien (mais qui ne peut tout).
2 critères antagonistes ? Ajoutons le critère de la joie (Spinoza, passer d'une valeur moindre à une valeur supérieure). L'école est un luxe, marque de démocratie. L'éducation invite au sacrifice, s'oppose au sacrilège. Il reste du sacré, même si l'Homme moderne en est devenu juge. L'humanité est sacrée pour l'Homme, ce qui permet de dépasser l'antinomie entre intégration et libération, fidélité et progrès.


Conclusion

- ouvrage qui privilégie l'enseignement scolaire
- ce n'est qu'une philosophie de l'éducation
- problème non résolu de l'efficacité de l'éducation (il restera toujours une place pour le "génie du maître")

"On n'en finit jamais de devenir un Homme."

Citations :

"L'Homme n'est ce qu'il est que par l'éducation" Kant
"L'expérience n'est pas transmissible, seul le dogmatisme l'est" Aragon
"Laisser mûrir l'enfance dans l'enfant" Rousseau
"Malus, puer robustus" Hobbes

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