lundi 25 février 2008

En repensant à la campagne

Je n'ai certes pas d'affinité avec la pensée de droite, et cela ne me laissait que peu de chances d'en apprécier le représentant "décomplexé". Mais la répulsion à l'égard de Sarkozy dépassait de loin ce que sa position sur l'échiquier politique n'aurait laissé imaginé, malgré tout. Je voyais en lui un animal politique d'un genre nouveau qui me laissait craindre toutes sortes d'attaques contre tout ce qui a émergé des Lumières, ce qu'il était alors difficile d'exprimer sans être caricaturé comme assimilant Sarko à un facho - caricature (il est vrai formulée par des opposants à Sarkozy) qui en dit long sur l'inculture politique de ceux qui la formulent, mais qui, surtout, rend le débat bien difficile. Car, si Sarkozy n'est l'héritier d'aucune des différentes traditions de pensée de la droite, cela comprend également le fascisme dont il n'est clairement pas l'héritier. Je n'ai pas ici l'ambition de revenir longuement sur ces questions, mais simplement de rappeler quelques points essentiels alors que depuis son élection l'opinion (qu'est-ce donc que l'opinion?) est passée de l'attitude la plus courtisane au lynchage dont la virulence montre tout ce dont cette opinion est porteuse d'espoirs déçus.


2 textes me suffiront, ici, pour résumer brièvement les raisons pour lesquelles il ne fallait pas que Sarkozy soit élu, selon moi, et pourquoi tout ce qui se passe ne me surprend pas.


Le premier est une tribune publiée par l'économiste Thomas Piketty dans Libération qui expliquait que le programme économique de Sarkozy était totalement abracadabrantesque puisque se proposant de faire 2 fois mieux que Thatcher en 2 fois moins de temps tout en réduisant la dette et en finançant son programme... Il fallait être fou pour croire tout cela possible. Or, Sarkozy, il représentait après Mitterrand II et Chirac le retour du volontarisme politique et c'est, je pense, l'une des raisons majeures de son élection. Démonstration était faite par Piketty que tout cela n'était que poudre aux yeux et que les déceptions allaient vite arriver. A l'heure où la France est plongée dans une vision anxiogène de la mondialisation supposée déposséder les États de leurs possibilités d'action, un retour du volontarisme politique aurait en effet été le bienvenu... si seulement il reposait sur des bases solides et réalistes, pas en forme de ballon de baudruche appelé à se dégonfler dans les 6 premiers mois d'exercice présidentiel. Du "triomphe" du "travailler plus pour gagner plus" (slogan le plus stupide qui soit, mais qui a laissé croire que c'était possible) au fameux aveu sur le pouvoir d'achat signifiant que le Président n'y pouvait rien, il n'y aura en effet pas eu longtemps. Sa visite à Gandrange est symptomatique de ce grand n'importe quoi qui promet ce qu'il ne peut promettre et qui ne trompe plus personne. C'est désastreux. Comment ce pays va-t-il de nouveau pouvoir croire en l'action politique et ses marges de manœuvre ?


Le second texte a eu une diffusion beaucoup plus confidentielle : Le sarkozysme est un anti-humanisme par Pierre Cornu et Jean-Luc Mayaud, historiens. Il est pourtant plus important parce que remontant au plus profond, au plus essentiel, au plus archaïque. Les auteurs posent la question de la légitimité de son élection, non pas en tant que contestation d'un vote démocratique, mais en tant que liquidation des Lumières et de leur projet "d'aspiration humaine au bonheur, à la connaissance et au partage", en tant que "courant souterrain et proprement pathologique de remise en cause radicale du contrat social et du statut de l’Autre". C'est pour cela que sont mélangées dans son discours obsession de la délinquance, origine ethnique, formes de sexualité, appels à "l'Histoire" (en réalité à la mémoire, donc à l'oubli) et aux Grands Hommes (même de gauche révolutionnaire ! mais en tout cas jamais des XVIIè ni XVIIIè siècles... jamais, et c'est significatif de son reniement des Lumières), à la religion... Le tout au service d'un "utilitarisme post-humaniste" : l'efficacité. Rien, à partir de ce constat fait avant son élection, ne peut surprendre dans ce qui s'est passé depuis. Les tests ADN, les chiffres d'expulsés, la rétention de sûreté, les attaques contre la non-réciprocité des lois, la tentation de contourner le Conseil Constitutionnel, la commémorativite morbide en CM2, le discours raciste de Dakar, les discours de Latran et de Riyad et leur fond néo-clérical, l'attaque au pénal du Nouvel Obs', la mise en avant de sa vie privée, etc.


Le problème, c'est qu'on n'a pas su montrer cela durant la campagne, en se faisant piéger par la victimisation appuyée sur un "TSS" caricatural. Il s'agit donc d'adopter une meilleure stratégie, car la gauche est manifestement loin de se remettre sur pieds, et rien n'indique que la chute de Sarkozy soit irréversible. En ce sens, l'Appel à la vigilance républicaine publié dans Marianne me semble à la fois trop consensuel et trop stigmatisant (c'est un exploit de réunir les deux)... Il faudrait faire attention au retour de flamme. Et réfléchir au meilleur moyen de contrer le moulin à parole sarkozyste qui, tous les jours, produit de nouvelles inepties dont chacune nécessite de longs développements et réflexions. Il y a là un défi important à relever.

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