mardi 25 novembre 2014

L'âge du Christ

Grunewald


A trente-trois ans, si tu n'as pas été crucifié, tu as raté ta vie.


Rien n'est fini, tout commence*













Extrait du livre de Marc-Edouard Nabe :

J'ai trente-trois ans. Tous les hommes meurent à trente-trois ans, tous les hommes de trente-trois ans ressuscitent. D'abord la mort. Qu'est-ce qui est mort en moi ? Tant de choses... Il faut bien accepter que les choses meurent en vous à votre place, sinon c'est le colt sur la tempe. La multiplication des petits suicides, ça me connaît. J'en aurai tué des Moi haïssables, et même des Moi adorables ! A cet âge, je n'ai plus que trois obsessions : l'art, l'amour et la religion, dans le désordre. Il y a toujours quelque chose de vrai dans ce qu'on me reproche. Ça ne m'aide pas à mieux me connaître, ça m'aide à ne plus avoir envie de me connaître. Je gâche ce que je veux, je me suicide quand je veux, à chaque livre je me suicide. Il est trop tôt pour réfléchir. J'ai envie de foncer. Michel-Ange, en sculptant, disait : "Je hais ce marbre qui me sépare de ma statue." D'après ce que je crois comprendre, si j'étais moins exalté, méprisant, malin, fanfaron, religieux, froid, excessif, organisé, injuste, ma littérature serait acceptable. Ça me dégoute, les gens qui se recherchent eux-mêmes. Il n'y a rien à trouver au bout de soi-même. J'aimerais bien m'intéresser à moi, mais je me tombe des mains. Souvent, je m'imagine sous la forme d'un instrument de musique : un saxophone, un trombone. Quand je mourrai, on me remettra dans ma boîte, dans mon étui. Au départ, on nous offre une mélodie, il faut l'harmoniser. Ça sonne ou ça ne sonne pas. Autour de moi, je ne rencontre que des êtres en chantier ou en ruine. Je ne vois pas l'intérêt de passer ma vie à me demander pourquoi c'est moi qui la vis. Je ne suis pas le premier homme à avoir trente-trois ans, mais j'ai le droit d'être effaré de constater que la plupart des trentenaires passent de trente-deux à trente-trois ans sans se poser de questions. Ils franchissent le cap à la légère. Ils ne ressentent pas combien ce chiffre fatidique, à la fois christique (33) et diabolique (2*33=66), desquame l'homme de sa jeunesse comme un serpent se débarrasse de sa vieille peau.









* titre d'un livre de Vaneigem et Berreby sur lequel je tombe ce jour...

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