mardi 25 mars 2014

Corcuff versus Lordon, la gauche en double impasse

Philippe Corcuff était parti de Charlie Hebdo, qu'il a assez tôt dénoncé avec lucidité. Bon. Depuis, ses prises de position me laissent pourtant perplexe. Ces jours-ci, ça dépasse les bornes. Cet article du 21 mars ferait sourire s'il était l'oeuvre d'un antifa de bas étage... 

Il se pose en défenseur de l'altermondialisme des années 90. D'ac! et quel en est le bilan, monseigneur? A ce titre, il attaque les figures... les "intellectuels adulés" à la gauche de la gauche... faut insuffler un peu de perfidie... sous-entendre, insinuer qu'ils sont quasiment les gourous d'une secte de décérébrés prêts à gober tout et n'importe quoi pourvu que ça brille un peu. Il n'y va pas à fond, on le sent sur la retenue et c'est dommage, parce que d'autres y vont franco et sont nettement plus rigolos : Caro Fourest, Cricri Barbier, nous font rire tous les matins (ah! oui, je suis un tantinet critique envers les médias, désolé Philippe). Corcuff, lui... 

Les  cibles? Todd, Lordon, Durand, Ruffin. Accusés de réduire à néant l'internationalisme dans un contexte de "national-racisme". National-racisme? Je n'ai pas lu Kaufmann, mais d'où ça sort, ça? D'un livre... mais de quelle réalité?

La critique de Montebourg est édifiante. Ce n'est pas ici qu'on lira des lignes de soutien à ce triste sire conducteur de train sur une voie de garage. Mais le paragraphe qui lui est consacré par Corcuff est assez pathétique, réduisant le livre du futur-Ministre à des clichés racistes. Le pire étant la dernière phrase : le made in France c'est cocardier et productiviste. Et hop! la décroissance passera par tous les avions et cargos du monde. 

Vient le gros morceau de la démondialistion : Todd. Lui, il est accusé d'essentialisme. Ce qui est une grosse tare. N'en discutons même pas : il est absurde de prétendre que Todd parle de structures familiales fermées et figées dans le temps, il martèle systématiquement le contraire. Simplement, il prend des photographies : à cet instant T, telle population est avec une structure familiale précise. Evidemment, on peut ajouter que de tels fondements civilisationnels et anthropologiques ne changent pas du jour au lendemain, tout cela prend du temps, mais ça évolue. Jamais Todd n'a prétendu le contraire, c'est absurde. 

Lordon, ensuite. Il est accusé de confondre "souveraineté populaire" et "souveraineté nationale" et donc de vouloir revenir au nationalisme. Corcuff ne voit pas, en effet, que Lordon réhabilite la "souveraineté populaire". Lordon ne réhabilite pas la Nation, il réhabilite le Peuple. Pas de démocratie sans souveraineté populaire. Or, aujourd'hui, qui fait peuple? On peut regretter qu'il n'y ait pas de peuple européen, ou de peuple charento-centrais, ou de peuple mondial. C'est plutôt mon cas, c'est certainement aussi celui de Lordon. Mais, on peut regretter aussi que ce soit l'Etat qui décrète le Peuple... on peut préférer que le Peuple fasse la Patrie. Ce n'est pas à quelques oligarques de former manu militari un peuple européen. Aujourd'hui, il n'existe donc pas. Il n'y a donc aucun espoir démocratique au niveau européen actuellement. En tant que démocrate, il nous faut donc partir de ce qui nous constitue Peuple, pour le dépasser ensuite. 

Il est agaçant d'être dans cette impasse à deux têtes pour la gauche. Nous, nous accusons les Corcuff de faire le jeu de l'impérialisme, du colonialisme, de l'oligarchie. Et eux, ils nous accusent de faire le jeu du nationalisme, du racisme, du populisme. 

Nous sommes (tous, je crois) internationalistes. Pourquoi? 1/ parce que les nations sont (encore) l'espace de la démocratie potentielle 2/ parce que nous nous pensons comme des ponts vers l'Autre et que nous entendons tisser des solidarités (de classe?) par-delà les nations. J'aurais envie de citer Péguy, mais Corcuff prendrait cela pour une référence rouge-brune, non? Je le fais, quand même!...

Notre socialisme [...] n'était nullement antinational. Il était essentiellement et rigoureusement, exactement international. Théoriquement il n'était nullement antinationaliste. Il était exactement internationaliste. Loin d'atténuer, loin d'effacer le peuple, au contraire il l'exaltait, il l'assainissait. Loin d'affaiblir, ou d'atténuer, loin d'effacer la nation, au contraire il l'exaltait, il l'assainissait. Notre thèse était au contraire, et elle est encore, que c'est au contraire la bourgeoisie, le bourgeoisisme, le capitalisme bourgeois, le sabotage capitaliste et bourgeois qui oblitère la nation et le peuple.

Comment en sortons-nous?

4 commentaires:

  1. Je crois que ce qu'il faut expliquer à ces types qui ont peur du retour au nationalismes en écoutant/lisant Todd et Lordon, c'est que le sentiment européens, s'il est bien existant, c'est pas *encore* assez fort pour faire émerger un sentiment de communautés assez fort.
    C'était le cas de la France il y a 6 ou 7 siècles, où le sens de communauté régionale était encore fort, et où l'émergence du sentiment national était en chantier.
    Je pense que ce sentiment viendra, mais ce sera un processus lent.

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  2. Corcuff stigmatise simplement le manichéisme d'une certaine pensée de gauche qui est dans une dynamique de désignation de l'Ennemi, pensée simplificatrice et pauvre, manichénne et binaire, qui ferait croire que c'est en sortant de l'euro et de l'UE, de retourner à la détestation de l'Allemagne (version Todd) pour résoudre la crise ...Le délabrement de la pensée de la gauche critique dont parle Corcuff est bien réel, puisque les thèmes qu'elles utilisent sont les mêmes que ceux du FN.

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  3. Corcuff stigmatise simplement le manichéisme d'une certaine pensée de gauche qui est dans une dynamique de désignation de l'Ennemi, pensée simplificatrice et pauvre, manichénne et binaire, qui ferait croire que c'est en sortant de l'euro et de l'UE, de retourner à la détestation de l'Allemagne (version Todd) pour résoudre la crise ...Le délabrement de la pensée de la gauche critique dont parle Corcuff est bien réel, puisque les thèmes qu'elles utilisent sont les mêmes que ceux du FN.

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  4. C'est faux. C'est le FN au contraire qui a piqué des thèmes de la "gauche". Non seulement elle se fait dépouiller, mais en plus elle renie ce qui la justifiait, liquidant au passage tout ce qui la différenciait de la droite.
    Il me semble important de repartir des fondamentaux, Marx, Debord, etc. C'est pas un facho qui a théorisé l'armée de réserve du capitalisme etc.

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