lundi 12 décembre 2011

Le pré-cinéma (première partie)

Au commencement était Platon. Il est obligatoire de commencer par les Grecs, mais les peuples du Magdalénien provoqueraient déjà la stupéfaction des plus obtus des revenus de tout. C'est quasiment une platitude de parler de l'allégorie de la caverne. Les prisonniers sont au cinéma, ils fixent un écran et prennent les ombres pour la réalité. 



Quant à Aristote, il utilise un sténopé. Le bougre se met en tête de décrire une éclipse solaire, il l'observe à travers la première chambre noire de l'histoire : une pièce dont un mur est percé d'un trou étroit (littéralement sténopé) formant une image inversée sur le mur lui faisant face. On notera qu'il aurait pu observer directement le Soleil, comme le fera un ahuri (Belge) que nous retrouverons plus tard et qui en devint aveugle. Il ne l'a pas fait, car il n'était pas né de la dernière pluie. 

Images projetées à quelques mètres sur un mur par les deux trous d'un sténopé à miroir

Au cours des siècles, cet instrument est utilisé à des fins d'astronomie. Notre ami Leonardo en décrit le principe en 1514 :
« En laissant les images des objets éclairés pénétrer par un petit trou dans une chambre très obscure, tu intercepteras ces images sur une feuille blanche placée dans cette chambre […] mais ils seront plus petits et renversés »


On note cette fâcheuse attitude consistant à donner les réponses aux questions qui se posent. Cela dit, il a en partie tort, mais il n'est plus là pour que nous puissions lui taper sur les doigts et constater qu'il fait moins le malin après ça. Tant pis. A partir de ce moment-là, la camera obscura, ainsi dénommée, prend d'assaut les ateliers de peintres qui s'en servent, tel Vermeer, tel Rembrandt, par exemple, pour peindre leurs chefs-d’œuvre.

En 1646, Athanasius Kircher (Ars Magna Lucis et Umbrae) décrit la camera obscura et l'image réversible, d'accord, mais aussi les lanternes magiques. La lanterne magique, c'est l'inverse de la camera obscura : c'est une chambre noire dans laquelle une source lumineuse envoie ses rayons ayant traversé une plaque en verre dessinée de quelque monstre ou spectre vers un mur-écran.
De petites histoires sont imaginées (Cadet Rousselle) tandis qu'un certain Robertson dépose en 1799 le brevet du Fantascope et propose des spectacles de fantasmagories, qui font sensation.

Tout cela est bien gentil, et c'est même extraordinaire, mais il y a plus fort encore. Après tout, n'importe quel arbre est capable de faire la même chose : les petits "trous" laissés entre les feuilles de celui-ci sont autant de sténopés naturels, mais allez repérer qu'un morceau de ciel bleu est à l'envers !... Je n'ai pourtant pas pour intention d'abattre les arbres. Il y a mieux, disais-je, parce que l'illusion du mouvement peut être obtenue à partir d'images fixes. 

Les Grecs, toujours eux, avaient constaté le phénomène de la persistance rétinienne. Croyez-le ou non, notre œil n'est pas parfait et une image s'y imprime, c'est le mot : une empreinte y subsiste, un moment certes, mais y subsiste. Mon bon ami Isaac Newton a pu élaborer un disque (à son nom désormais) composé des couleurs du spectre solaire et qui, une fois mis en rotation, laisse apparaitre du blanc (du moins en théorie, parce que moi, je n'ai jamais vu que du gris-rose).
Merci Mathilde, Cécile et Camilla.

Par l'utilisation d'une lampe stroboscopique, on alterne les phases lumineuses (flashs) et les phases obscures. Ah... et on déjoue en quelque sorte ce défaut de notre œil, et on distingue de nouveau ces couleurs que nous avions fondues en du blanc. Étonnant, non ?

Mais j'ai pris un peu d'avance. Je n'aurais pas du. En 1826, le Dr Paris, londonien comme son nom l'indique, invente le thaumatrope. "Invente" 15 000 ans après l'invention, mais le lobby des Magdaléniens n'a pas jusqu'à ce jour fait parler sa puissance de feu pour récupérer la paternité de l'invention.

Florent Rivière mérite un coup de chapeau
Un thaumatrope ? Un prodige tournant. Vous connaissez certainement l'oiseau dans la cage, ou le poisson dans le bocal, des grands classiques. Deux images chacune sur une face d'un disque se superposent lors de sa rotation.

Je retrouve trois ans plus tard mon ahuri (Belge), celui qui s'est aveuglé (pour la Gloire et pour la Science). Joseph Plateau, il s'appelait. Il a inventé - tenez-vous bien, le phénakistiscope en 1833. Ce mot-là signifie "observation trompeuse". Notez comme les noms de ces jeux sont extravagants et extraordinaires. Ce n'est d'ailleurs pas fini. Ces noms sont porteurs d'une poésie et d'un mouvement, à l'image si j'ose dire des objets qu'ils désignent. Mais revenons au phénakistiscope. Dominique Auzel (Emile Raynaud, et l'image s'anima) laisse Baudelaire en parler : 
"Supposez qu'un mouvement quelconque, par exemple un exercice de danseur ou de jongleur, divisé et décompensé en un certain nombre de mouvements ; supposez que chacun de ces mouvements, - au nombre de vingt, si vous voulez - soit représenté par une figure entière du jongleur ou du danseur, et qu'ils soient tous dessinés autour d'un cercle de carton. Ajustez ce cercle, ainsi qu'un autre cercle troué, à distances égales, de vingt petites fenêtres, à un pivot au bout d'un manche que vous tenez comme on tient un écran devant le feu. Les vingt petites figures, représentant le mouvement décomposé d'une seule figure, se reflètent dans une glace située en face de vous. Appliquez votre œil à la hauteur des petites fenêtres, et faites tourner rapidement les cercles. La rapidité de la rotation transforme les vingt ouvertures en une seule circulaire, à travers laquelle vous voyez se réfléchir dans la glace vingt figures dansantes, exactement semblables et exécutant les mêmes mouvements avec une précision fantastique. Chaque petite figure a bénéficié des dix-neuf autres. Sur le cercle, elle tourne et sa rapidité la rend invisible ; dans la glace, vue à travers la fenêtre tournante, elle est immobile exécutant en place tous les mouvements distribués entre les vingt figures."

Extraordinaire. Mais là encore, le principe date de plusieurs millénaires. On le retrouve chez les précolombiens (une assiette Mochica) et même un vase retrouvé en Iran datant de 5200 ans (la cité Brûlée). Bref, lisez le livre de Marc Azéma : La Préhistoire du cinéma. C'est passionnant.

Mais une personne, une seule, peut observer ce mouvement. Alors le jeu est perfectionné, nombre d'inventeurs se saisissant de la question. Dès 1835, William Georges Horner remplace la roue du phénakistiscope par un tambour ouvert et percé de fentes, muni d'une bande de dessins placés entre les fentes dans la partie inférieure du tambour. C'est le zootrope (animal qui tourne), qui permet une observation à plusieurs, en faisant tourner le tambour et en regardant par les fentes (entre les fentes, le noir empêche la superposition des images sur notre rétine).





Plus tard en 1877, c'est Émile Raynaud qui améliore le jeu en remplaçant cette fois les fentes par un prisme de miroirs au centre du tambour. Nul besoin d'éclipse, et la luminosité est parfaite. Il appelle ce jeu le praxinoscope (observation d'une action) qu'il améliorera lui-même jusqu'au théâtre optique.




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