mercredi 17 février 2010

Arrêter d'écrire pour sauver la littérature

Il avait tout prévu, ou plutôt... tout choisi !... Gamin, on l'appelle "nabot", il prend Nabe comme pseudonyme. Assumer... dépasser... sublimer... Bien des années après on l'empêche d'écrire, il arrête d'écrire. Assumer... dépasser... sublimer... Parce que chez Nabe, arrêter d'écrire ? ça donne 700 pages et un pavé dans la mare. Marre de cette Grande Confusion que déjà Guy Debord dénonçait entre tout et n'importe quoi faite pour que plus rien n'ait de sens et que tout ne soit plus que divertissement - diversion - et consommation.

On ne refait pas le match qui a amené Nabe à arrêter d'écrire, qui en veut le résumé n'a qu'à lire Le Vingt-septième livre, l'un des seuls que l'on trouverait en librairie, celui qui servit de préface à la réédition du mythique premier Au régal des vermines (1985). Parler de littérature est encore un moyen de la trahir, si c'est épargner au lecteur de "critiques" de lire l'œuvre...

Nabe hurlait chez Pivot dans la non-moins mythique émission Apostrophes de 1985, que nous vivions dans un "grand Larousse en désordre". C'est son crime : prétendre qu'il y a une différence entre Louis-Ferdinand Céline et Patrick Modiano. Inacceptable dans un monde tombé dans le gouffre de la Démocratie Libérale Tolérante, où tout se vaut. La démocratisation de la culture est la nouvelle panacée, comme si la société était assaillie par tous les maux. Comme si ?... Elle les accepte les maux, et refuse les mots, ou alors faut-il qu'ils soient vidés de leur sens. Un bon langage bien neutre et aseptisé, au lit, et la France qui se lève tôt pour travailler plus pour gagner plus ira pour le mieux.

Pour les gros balourds qui servent de gardiens du temple, s'attaquer à la démocratisation de la culture est forcément fasciste. Alors que c'est par anarchisme mystique et artistique que Nabe est mis en mouvement. Incapables de voir la différence entre la culture et l'Art, ils sont persuadés de faire le Bien. Ils ont en leurs temps raté, piétiné, laissé crever, tous les Van Gogh, Lautréamont, Charlie Parker, etc. pour la simple raison qu'ils sont trop installés pour percevoir ce qu'il peut y avoir de révolutionnaire dans l'Art ; trop morts pour être happés par le vivant. Mêmes causes, mêmes effets aujourd'hui.

Alors Marc-Edouard Nabe a décidé de se passer de ce monde de cultureux. Ce 28e livre, L'homme qui arrêta d'écrire, n'est pas le premier à être édité par l'auteur lui-même... mais il est plutôt "anti-édité", dit-il. Pas de code barre, couverture et 4e minimalistes, il n'est en vente que sur sa plate-forme marcedouardnabe.com. C'est ça, arrêter d'écrire : exit ! les éditeurs, les libraires, les critiques, tout un système qui parasite l'auteur en faisant du mouton lecteur un veau d'or. Rideau ! Rideau... Un monde en train de s'écrouler, cinéma, musique, littérature, presse et leurs industries en péril qui cherchent désespérément des solutions contre les pirates, les blogueurs, le gratuit, le partage, sans jamais se douter un seul instant que c'est d'eux-mêmes que vient le problème. Édifiante est l'émission d'Arte présentant 8 journalistes en colère, qui semble d'ailleurs être un pur plagiat d'un passage de L'homme qui arrêta d'écrire.


Que faire ? D'abord, court-circuiter les milieux culturels. C'est fait. Mais, si Prince, Radiohead en musique, et maintenant Nabe en littérature ont pu le faire, c'est qu'ils avaient déjà leur armée de fans. Nabe a vendu les 1000 exemplaires imprimés avant d'aller faire sa seule apparition TV chez F.-O. Giesbert. Comment un nouvel artiste totalement inconnu pourrait se sortir du marasme ? Il faudrait pouvoir dépareiller ce qu'on nous confusionne. Montrer les différences. Faire tomber les masques. Expliquer que si la plupart des vrais artistes, reconnus comme tel avec un siècle de retard, ont crevé de faim, c'est parce qu'ils ne suscitaient que l'indifférence ou le mépris de leurs contemporains ; et donc, qu'il y a toutes les chances pour qu'il en soit de même aujourd'hui avec de faux artistes glorifiés pendant que les vrais sont laminés. Taddeï expliquait du temps où il travaillait à Canal, qu'une génération aurait à porter la honte de célébrer Alexandre Jardin pendant qu'elle ignore Marc-Edouard Nabe... Toujours cette même histoire...


C'est un vieux monde que les médiateurs et milieux culturels veulent défendre. Il n'a pas à être sauvé. Les plus cohérents des libéraux racontent que les crises économiques permettent de se débarrasser des entreprises malades remplacées par de plus efficaces et innovantes... C'est d'ailleurs assez nietzschéen dans le genre ma maladie est une bénédiction. Il est temps de ne plus écouter ceux qui prétendent sauver les artistes, alors qu'ils ne sauvent qu'eux-mêmes et leur commerce culturel, sur le dos de l'Art...


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Article repris sur :

3 commentaires:

  1. Bonjour, je reviens sur le cliché du "pavé dans la mare", qui est beaucoup exploité dans la blogosphère en ce moment à propos de l'actualité de Nabe...

    Je lis en ce moment Kamikaze (journal intime 4), et voici ce qu'écrivait Nabe le 2 octobre 1988 :

    "... l'important n'est pas d'avoir d'emblée de millions de lecteurs, mais un cercle d'admirateurs sincères, naïfs, enthousiastes qui ne fera que croître comme des ronds dans l'eau d'une mare, de plus en plus grands lorsqu'on jette un objet dedans, un livre par exemple..."

    ps1 - avez-vous lu le dossier dans Chronic'art d'avril : Marc-Edouard Nabe le vrai voyou de la littérature ?

    ps2 - ne pas taire

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  2. Bonjour tilly... Oui, "sincères, naïfs, enthousiastes", c'est nous. C'est étonnant comme on peut trouver dans le Journal intime des phrases qui font sens des années plus tard. Il a une cohérence dans sa démarche artistique...

    J'ai vu sur le forum que Nabe était dans Chronic'art, la couverture est fabuleuse, je vais me le procurer.

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