dimanche 4 mai 2014

Pour une gauche de gauche, ignorons l'Epouvantail

Dans un monde sensé... Nous ne sommes pas dans un monde sensé. Le bruit et la fureur, le tumulte et le fracas! Tant mieux, aussi. Un Moulin n'est pas seulement un moulin, c'est aussi un Géant. 

Je reviens. Dans un monde sensé, quelqu'un comme Frédéric Lordon n'aurait pas à se justifier perpétuellement de ne pas être un facho. Il a raison. Une table n'est pas un papillon et la guerre n'est pas la paix. On n'imagine pas (et on a peut-être tort) Attila se présentant comme défenseur de la Paix et de la Liberté. 

Evidemment, aujourd'hui, le Dictionnaire est rayé de la carte! supprimé! inversé! Si bien que ce sont d'immenses précautions qu'il faut prendre, si on veut avoir un espoir d'être compris. Je ne fais généralement pas cet effort, peut-être. En fait, je préfère largement l'attitude de Lars von Trier accusé d'être pro-nazi et qui entonne "Nous, les nazis..." ; ou encore celle de Dieudonné, accusé 100 fois par jour d'être antisémite et qui réalise le film L'Antisémite. De telles bouffonneries, loin d'être des aveux, remettent à leur triste place les Censeurs et Inquisiteurs; mais, pas aux yeux de tout le monde. 

Parfois, il faut expliquer les choses clairement. Et les expliquer comme si on parlait à un journaliste de 7 ans (ou même de 77 ans). 

Je me sens de gauche. Je définis ce que j'entends par là : je suis pour l'extension perpétuelle du domaine de l'autonomie. Est autonome celui ou celle qui définit ses propres lois. Est autonome celle ou celui qui a pu se libérer des contraintes qui pèsent sur sa personne. Exemple de contrainte : "Dieu a dit, tu feras ceci ou cela." Le but de l'action politique, de gestion de la cité, est donc de permettre autant que possible à chaque citoyen(ne) de devenir lui-même (elle-même), d'accomplir sa destination comme on ne dirait plus aujourd'hui. Bref d'être maître de sa vie. Pour que cela soit possible, il faut organiser la société de manière à réduire toujours plus l'indigence, l'exploitation, qui sont d'ailleurs très inégalement réparties parmi les êtres humains. D'où la lutte des classes.

Pause. Personne ne prononce plus ces termes "lutte des classes". Aujourd'hui, la lutte des classes est impossible, et le terme même est impossible. C'est comme ça. C'est fini. L'hyperclasse a gagné. Il n'y a plus d'exploités, mais des défavorisés. On ne peut ni ne veut se battre pour des gens qu'ont pas eu de bol. Conséquence : l'échiquier politique dans son intégralité médiatique est de droite. Plus ou moins charitable, la droite : les uns veulent donner un peu plus de miettes aux pauvres (pardon, aux revenus modestes) que les autres. Mais, c'est la droite, du PS au FN. On sent bien que le FDG voudrait être de gauche, mais il est pris dans un jeu institutionnel (et idéologique, aussi) qui fait qu'il rentre toujours au bercail au lieu de tirer les conséquences de ses analyses parfois justes. 

Face à constat, moi, de gauche, je n'ai plus qu'à m'opposer à tout ça. Or, un parti semble s'opposer aux mêmes (UMPS) : le Front National. Qu'est-ce que le Front National? Un parti bien pratique qui a été mis en avant dans les médias le jour où le Parti Socialiste a abandonné toute velléité de gauche : il a fallu remplacer le discours sur les structures économiques et sociales par un nouveau marqueur de "gauche" (les guillemets sont désormais obligatoires) : l'antiracisme. Ça ne pouvait fonctionner que si la droite était raciste. Donc, le Front National. Un magnifique épouvantail, avec un leader qui adore par ailleurs cette posture : Jean-Marie Le Pen. Aucune chance, strictement aucune, pour lui d'arriver au pouvoir (il ne voulait d'ailleurs pas), mais de quoi faire tourner la politique nationale autour de cet ogre malfaisant. En deux étapes, le raisonnement : 
1/ Le Pen = Hitler
2/ Quiconque semble s'approcher de Le Pen s'approche donc de Hitler

Voilà comment interdire, de fait, toute une série de prises de position, par peur de ressembler au Croquemitaine. Le Parti Communiste était contre l'immigration massive (voulue par le patronat), mais cette position est devenue impossible, néo-nazie. Jaurès disait la nation indispensable à l'avènement du socialisme, mais cette position est devenue impossible, néo-nazie. Et caetera. Stratégie de la tétanisation des forces de gauche.

Changement de configuration avec Marine Le Pen. Comme toujours, on peut se demander si c'est Marine qui fait le changement, ou si c'est le changement qui fait Marine. C'est secondaire par rapport aux objectifs de cet article. Je passe. Marine Le Pen, elle, veut prendre le pouvoir. L'hypothèse est déjà plus crédible, avec 30 ans de saccage alterné par ses deux opposants : le PS et l'UMP. De quoi faire frémir dans les chaumières. Si bien que, même ceux qui admettent l'aveu de Jospin : "l'antifascisme est du théâtre" ; même ceux-là sont sur le pied-de-guerre pour lutter contre le FN. Le raisonnement, lui, est toujours le même :
1/ Le Pen = Hitler
2/ Quiconque semble s'approcher de Le Pen s'approche donc de Hitler

Bon. La diabolisation qui fonctionnait bien, déborde de toutes parts. D'abord parce que la gauche a déserté la "gauche". C'est difficile à suivre? Les classes "populaires" comme disent les gens importants, les travailleurs et les travailleuses, ont compris que les partis de "gauche" (en réalité de droite) les trahissaient. Ils ne votent plus ni PC ni PS. Deuxième point : de moins en moins de monde croit en cette pseudo alternance droite-gauche. Le succès (relatif) de Bayrou à l'époque était le baroud d'honneur d'un anti-UMPS dans le système. C'est tombé à l'eau, avant d'avoir eu l'occasion de couler à pic. Du coup, la plupart des citoyen(ne)s de ce pays sont opposés aussi bien à l'UMP qu'au PS, et souvent même au système "démocratique" en lui-même. 

Les coups contre l'UMPS ne viennent donc plus uniquement de l’Épouvantail qu'ils avaient installé pour ça. Ils viennent de toutes parts. Donc, il faut diaboliser tous azimuts, aussi. Et c'est ainsi que : 
- François Asselineau, qui se rêve en nouveau de Gaulle, est systématiquement assimilé au FN
- Etienne Chouard est sommé de retirer un lien vers le site de Alain Soral au prétexte que celui-ci blabla
- les "citoyens constituants" sont traités de fascistes dans une manifestation de gauche
- Jacques Sapir subit des procès en sorcellerie de la part d'Alexis Corbières du FDG
- Frédéric Lordon est systématiquement renvoyé au FN quand il explique qu'il faut sortir de l'UE
- etc.

Toute idée non convenable, qui ne rentre pas dans le cadre médiatique UMPS, est assimilée au FN = Hitler. 

Moi-même, il m'arrive très souvent d'être soupçonné d'être favorable au FN. De telles accusations sont parfaitement insensées et grotesques et je les traite comme cela d'une manière générale. Mais aujourd'hui, répondons-y.

1/ je suis démocrate au sens : tirage au sort des représentants (Etienne Chouard), et suppression des partis politiques (Simone Weil). Conséquence : je suis opposé à tout parti politique, quel qu'il soit, et ce simple fait devrait me dispenser de me positionner sur l'un d'entre eux, par exemple le FN. A la limite, je concède une bienveillance toute relative pour des partis confidentiels et exclus des médias (POI, UPR, M'PEP, PRCF, ...)

2/ le FN n'a jamais eu le pouvoir. Ce point aussi devrait me dispenser d'avoir à me positionner sur ce parti. Il est extraordinaire de tant déblatérer sur un parti qui n'a aucune responsabilité directe dans la situation dans laquelle nous sommes. Tout le temps passé à parler du FN est du temps durant lequel les responsables et coupables sont oubliés. Mes flèches vont à l'UMP et au PS.

3/ si le FN arrive un jour au pouvoir, c'est que le système l'aura voulu. C'est, en effet, ce qu'on peut commencer à penser, tant le FN est promu dans les médias désormais. Mais cet état de fait n'est en aucun cas une surprise ni une nouveauté. Le système (moyen de défense des grands intérêts des "honnêtes gens") est prêt à promouvoir n'importe quel régime, tant qu'il défend, justement, les grands intérêts. La monarchie quand il faut, la République quand ça permet d'avoir des chambres de notables, convenables, mais aussi le fascisme quand la populace commence à se mêler de ce qui ne la regarde pas. Qui a grossi les rangs pétainistes? Le centre-gauche, les milieux d'affaires. C'est la thèse de Guillemin d'une continuité d'Adolphe Thiers à Adolf Hitler. La clé, c'est l'Argent. L'extrême-droite était antisémite en 1940, d'accord, mais elle est plus nationaliste qu'antisémite, et l'Action Française était plus avec de Gaulle qu'avec Pétain. En revanche; le centre-gauche est "Républicain", d'accord, mais tant que la République pouvait préserver leurs intérêts. Si c'est Pétain et Hitler qui tiennent les rennes, hop! pas de problème. Et, en fait, on retrouve la définition communiste du fascisme : "le fascisme est la dictature terroriste ouverte des éléments les plus réactionnaires, les plus chauvins, les plus impérialistes du capital financier" (Dimitrov). Pasolini ne disait pas autre chose, d'ailleurs. Donc, même si le FN arrive un jour au pouvoir, ce serait un épiphénomène d'un problème plus large qui est précisément celui contre lequel la gauche devrait se battre dès aujourd'hui : le capitalisme.

4/ Il me semble qu'il suffit de lire n'importe quel article de ce journal en ligne pour comprendre que mon positionnement politique est loin d'être le même que Marine Le Pen qui prétend qu'il y a des bateaux entiers qui arrivent peuplés de Mohamed Merah. Mais si ce ce point n'est pas clair, je peux donner des précisions aux journalistes de moins de 7 ans.

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