dimanche 22 mars 2009

Et c'est ainsi qu'Ahmad Jamal est grand



Le printemps m'apporta un miracle. Les quelques dernières semaines écoulées, je m'immergeais joyeusement dans le jazz, aussitôt converti ; et l'une des figures m'ayant le plus marqué était peut-être celle d'Ahmad Jamal. Ce vendredi 20 mars, je pars donc à la recherche d'informations le concernant lorsque je tombe sur une phrase qui retient mon attention : "Ahmad Jamal en concert". Je n'y crois pas. J'estime la vérification indispensable. Et quelle ne fut pas alors ma stupeur de constater une réponse dans le moteur de recherche du marchand de culture ? Je n'étais pas au bout de mes surprises. Le concert était prévu à Lyon, à l'Auditorium. Diantre ! La lucidité devait me quitter à ce moment-là. Et c'était regrettable, puisqu'il me fallait encore prendre connaissance de la date : "21 mars 2009". De par ma chandelle verte ! Le sang-froid ayant été définitivement perdu, je ne savais plus si la date du jour était le 20, le 21 ou le 22. Nous étions bel et bien le 20 et il ne me restait plus qu'à aller me procurer, fébrilement, ma place (l'une des dernières) pour aller voir le lendemain sur scène l'un des derniers grands jazzmen ! Stupéfiant.


21 mars 2009, 20h30. Les lumières s'éteignent. Les musiciens entrent. James Cammack à la basse, James Johnson à la batterie et Manolo Badrena aux percussions. Et voilà Ahmad Jamal, avec sa démarché hésitante de vieille légende. C'est parti. Il va malheureusement m'être assez difficile de parler des morceaux. Je me contenterai donc de faire part de mes impressions. Il s'agit d'être clair : ces presque deux heures de concert étaient fabuleuses. Le jazz a cette puissance dans ses gènes qui bouleverse, choque même. Nietzsche disait qu'on écoute avec les muscles. Oui. Pour le jazz, on l'écoute avec les muscles lisses, avec les tripes, cette musique prend au ventre et terrasse tout sur son passage en élevant vers d'insensés cimes l'auditeur. Ce sentiment ne se rencontre nulle part ailleurs, je crois. "Sans la musique, la vie serait une erreur" - Nietzsche, toujours.


Le jazz est la Musique. Jamal maintenant. Il est impressionnant - on s'en serait douté. Que fait Ahmad Jamal qui n'en fait pas un humain comme un autre ? Il pointe de l'index, et il le pointe vers ses musiciens. Je sens le doute poindre : vous vous dites qu'il est tout à fait normal de pointer de l'index, surtout en France, surtout pour désigner les bougnoules à expulser du territoire. C'est à la mode. Hélas ! vous n'avez rien compris. Car il ne fait pas de la délation, il organise son concert. Il donne ses ordres. Et on s'exécute. Voilà le moment où il lance un défi à son bassiste, qui prolonge les notes de son piano et se lance dans un solo sous le regard du maître. Interminable. Le maître en arrive à poser les bras sur son piano, puis regarde le batteur comme pour indiquer à un autre élève quelque chose qu'il fallait remarquer dans ce solo. [je pense un peu au sketch de Coluche : "Ah celui-là quand il commence, y en a pour des heures"] Et finalement le maître reprend la parole. Magistral, et pour cause. Ce n'est pas tout. Jamal se démarque du commun des mortels par sa capacité à faire rire. Il joue avec son batteur, s'en amuse comme un gamin de 79 ans, et tape furieusement les notes de son piano dans un grand éclat de rire. Communicatif, le rire. Où l'on vérifie qu'il n'y a nul besoin d'être humoriste pour faire rire. Au contraire, peut-être, de nos jours. Tout le concert fut grandiose. Alternent les percussions furieuses du percusionniste cubain sorte de Papageno psychopathe, les emballements d'ensemble, les notes de Jamal à peine effleurées. Non, il n'enlève pas la poussière de ses touches, il joue la note telle une plume tombant dessus. Une ligne de basse en particulier m'a époustouflé : elle évoquait. Quoi ? C'est bien la question ! Peut-être une armée pléthorique en ordre de marche, mais qui ne ferait pas hurler le métal et cracher le feu, mais sautillerait au contraire dans les herbes et les ruisseaux.


Voilà, j'en arrive à écrire n'importe quoi. La seule raison en est mon incapacité à trouver les mots pour être à la hauteur de ce dont je fus témoin ce soir. J'abandonne. Ahmad Jamal est trop grand. D'ailleurs, il n'a pas été invité par Obama, comme aucun des grands jazzmen vivants, lors de l'investiture de ce dernier, ce qui à la fois déshonore Obama et honore Jamal. Respect.

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