samedi 23 août 2008

Castoriadis dans le Labyrinthe 1/2 - La psychanalyse et l'autonomie

J'ai fini le premier tome des Carrefours du Labyrinthe de Cornelius Castoriadis, voici un premier billet faisant la synthèse de deux chapitres qui concernent la psychanalyse et son élucidation par Castoriadis, avant, demain, de revenir sur un volet économique.



Epilégomènes à une théorie de l’âme que l’on a pu présenter comme science



Malgré une novation radicale, la psychanalyse n’a fait qu’amplifier les apories datant du Timée concernant l’âme. Elle n’est pas scientifique parce que son objet est signification vivante (logoi embioi), par définition et, quoiqu’en disent les structuralistes, indécomposable. Sa novation : l’analyse n’est pas théorie de son objet, mais pratico-poiétique : faire parler son sujet – on aurait aujourd’hui le sentiment que cela découle d’une théorie, en réalité ce n’est fondé que lorsque l’analyste entre lui-même dans le projet de l’anto-analyse : se comprendre pour se transformer. Projet de transformation, pas de savoir ! Il faut donc tenir qu’une transformation du sujet est possible (« Où ça était, Je dois devenir »). Mais elle se voudrait scientifique, et est née d’un « rendre compte et raison », mais selon un principe qui apparaît aussitôt vide : si tout énoncé était nécessairement vrai ou faux même à propos de l’avenir, il n’y aurait plus rien de contingent, ni de vérité puisque nous ne pourrions plus nous penser origine de ce qui sera (Aristote). L’individu est irréductible : la psychanalyse n’échappera pas à cette aporie : quid de la création (et même, si l’on peut déceler de la répétition, cela signifie que tout ne se répète pas) ? Si le passé n’était pas création, nul besoin d’y revenir : la cure est la prise de conscience de l’autocréation ! Et la question de la topique, laissée à l’abandon après Freud [cf. les neurosciences] Elle ne peut pourtant pas être une simple métaphore, mais ne peut trouver conceptualisation scientifique, et cela ni par accident ou provisoirement, mais par essence. « Mais ce qui ne se laisse pas calculer, se laisse encore penser. » Philosophique, mais pas philosophie (activité pratico-poïétique), la psychanalyse peut élucider un pan de la philosophie : celui de la liberté de l’Homme face aux déterminations : il doit tout vivre comme sens, sens qui subit des distorsions historiques (chez l’individu, chez la société). Sublimation et réalité sociale : ces questions ne doivent pas être esquivées, mais courageusement affrontées (autocréation par l’imaginaire social et individuel).



La psychanalyse, projet et élucidation



1960-75 : la psychanalyse parisienne se décompose et Un destin si funeste (1976) de Roustang en est une illustration. Roustang dépasse le lacanisme pour interroger la psychanalyse, Castoriadis y répond.
Pour Roustang, le lacanisme est un monstrueux circuit aliéné et aliénant, mais ne fait que répéter le péché originel de la psychanalyse dont la théorie est le « délire de plusieurs ». Mais Roustang lui-même oublie/nie l’inscription de la psychanalyse dans le social-historique et semble vouloir sauver la théorisation lacanienne en ne mentionnant pas sa pratique, pris qu’il est dans l’idéologie de la « maîtrise » : l’abjection de la pratique lacanienne correspond au refus de l’altérité, tout serait soumis à la répétition et l’inane combinatoire de la structure. Ainsi pour Lacan, ainsi pour Freud ? Mais Castoriadis montre que la pratique freudienne se faisait en dépit de sa théorie, alors que chez Lacan, les deux étaient en phase. Chez Freud en effet : possibilité de penser une autre situation individuelle ; le meurtre du père n’est possible qu’avec le pacte des frères (refus de la maîtrise). Privé d’assurance théorique, privé d’assurance pratique, l’analyste a besoin d’une prothèse : dogme codifié, ou pouvoir d’un seul (maître). Alors destin funeste ? On ne peut déjà pas comparer la situation de Freud avec toutes celles ultérieures puisque Freud, dans une position unique, a institué la psychanalyse et son histoire. L’occultation de l’histoire, de la socialité, de l’individu, de la création, est un point aveugle de la théorie psychanalytique. L’imagination radicale est dévoilée et en même temps recouverte par Freud.
Se pose la question de la volonté, du projet de l’analyste, plus que son « désir ». Est-ce l’élucidation, la pensée, l’autonomie du patient ? Les sociétés psychanalystes qui calquent le rapport maître – disciple sur le modèle de la famille ne peuvent s’y résoudre. Pourtant, le disciple n’est pas le fils, le modèle familial est lui-même daté et inscrit dans une société. Et puis, pour l’idéologie parisienne, la pensée n’existe pas, mais seule la théorie, délire de plusieurs quand le délire serait la théorie d’un seul. Exit la question de la vérité ! Cette conception les oblige à avoir la même théorie et donc à forcer les autres à l’adopter : violence, maîtrise, esclavage. Or l’étayage sur le social-historique, la création, c’est ce que Freud tentait de penser avec la sublimation, évidemment marginalisée par tous ses suiveurs.
Objet psychanalytique : la transformation du sujet. Quelle transformation ? Je à la place de Ca ? Quel Je ? Un Je-norme sociale ? C’est de fait ce qui va l’emporter, avec le risque pour la psychanalyse de devenir un lieu de conservation de l’ordre social. Mai 68 (l’histoire !) a emporté le structuralisme, la psychanalyse s’est alors diluée dans le n’importe quoi médiatique et biodégradable. La suite de son histoire ?

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